Des banques au crowdfunding, comment séduire les financeurs

Pour changer d'échelle, l'économie sociale et solidaire (ESS) a besoin de diversifier ses sources de financement. L'intervention de Bpifrance, qui apportera 500 millions d'euros au secteur d'ici à 2017, doit faire levier sur les financeurs privés, jusqu'alors réticents à investir dans l'ESS, un concept flou et risqué à leurs yeux.
Nicolas Dufourcq, directeur général de Bpifrance, souhaite « structurer un marché du capital-investissement naissant sur le secteur de l'ESS ». / DR

L'économie sociale et solidaire (ESS) doit changer d'échelle. Tel est le vœu du gouvernement, conquis par la résistance à la crise de ces associations, mutuelles, entreprises et autres coopératives alliant activité économique et utilité sociale. Mais, le nerf de la guerre de cette ambition, comme partout, c'est l'argent.

Certes, il existe depuis de longues années des structures spécialisées dans le financement de l'ESS, comme les associations France Active et Adie, les sociétés de capital-risque comme PhiTrust, les clubs d'investisseurs à l'image des Cigales, ou bien encore les établissements financiers collecteurs d'épargne solidaire, laquelle ne représente au passage que 0,1 % du patrimoine financier des Français. Sans oublier les philanthropes, les business angels et, bien sûr, les subventions publiques.

Mais tout cela n'est pas suffisant pour faire changer l'ESS d'échelle, surtout dans un contexte de réduction des déficits publics. Et l'ESS a d'autant plus besoin de diversifier ses sources de financement que ce secteur est aujourd'hui « marqué par le développement d'une culture entrepreneuriale, caractérisée par l'essor d'entreprises sociales, au côté des structures traditionnelles à but non lucratif », souligne le commissariat général à la stratégie et à la prospective, dans un document de travail publié en juin. Un « social business » dont la montée en puissance nécessite un recours croissant aux capitaux privés.

L'aide aux démunis, un secteur qui fait peur

Le problème, c'est que l'ESS demeure en marge des circuits de financement traditionnels.

« Alors qu'elle représente environ 10 % du PIB, l'ESS ne capte qu'une toute petite partie d'après nos estimations, moins de 300 millions d'euros, hors secteur agricole - des flux des organismes d'investissement dans les sociétés non cotées. Lesquels représentent plus de 30 milliards d'euros pour les seuls fonds communs de placement à risque [FCPR] », détaille Pierre Valentin, directeur général délégué du Crédit coopératif, dans le livre blanc sur le financement de l'ESS, publié par le pôle de compétitivité Finance Innovation.

Si nombre de financeurs dits classiques se tiennent à l'écart de l'ESS, c'est d'abord parce que ce concept d'économie sociale et solidaire est largement méconnu.

« L'ESS recouvre une grande variété de statuts juridiques et de tailles, ce qui peut effrayer les investisseurs et les banques, publiques comme privées », avait reconnu Benoît Hamon, le ministre délégué à l'ESS, lors des rencontres sur le financement du secteur, qui s'étaient tenues le 2 juillet à Bercy.

Et puis, dans l'esprit de bien des financeurs, économie sociale et solidaire rime avec risque élevé, les structures de l'ESS ayant généralement vocation à venir en aide à des personnes en situation précaire, peu, voire pas du tout, solvables.

C'est donc pour favoriser l'accès de l'ESS aux circuits de financement traditionnels que Benoît Hamon a précisé la définition de celle-ci, dans son projet de loi présenté en conseil des ministres le 24 juillet dernier. Lucrativité nulle ou limitée, gestion désintéressée, gouvernance démocratique : voici le nouveau portraitrobot de l'ESS, un concept que le ministre a élargi aux entreprises, afin de tenir compte de l'essor du « social business. »

Multiplier les garanties qui rassurent

Surtout, le projet de loi sur l'ESS s'appuie sur Bpifrance, qui doit flécher 500 millions d'euros vers le secteur d'ici à 2017. L'idée étant que l'implication de Bpifrance dans le financement de l'ESS rassure les investisseurs privés et les incite à soutenir à leur tour le secteur.

« Nous ne sommes pas là pour nous substituer aux acteurs privés du financement de l'ESS, mais pour faire levier », avait précisé Vincent Dauffy, directeur du développement et du marketing chez Bpifrance, lors des rencontres de Bercy, le 2 juillet.

Et d'expliciter : « Pour inciter les banques à distribuer des crédits aux structures de l'ESS, la meilleure réponse réside dans les garanties. D'où notre rapprochement avec Sogama, spécialisée dans l'octroi de garanties de prêts bancaires aux associations. »

De la même façon, « si on veut que les banques jouent leur rôle, il faut qu'elles soient rassurées sur le haut de bilan [des structures de l'ESS, ndlr] », rappelle Bernard Pagès, directeur du pôle commercial au Crédit coopératif.

Dans cette optique, Bpifrance va notamment créer un fonds de fonds, doté de 50 à 100 millions d'euros, qui prendra des participations dans des sociétés d'investissement spécialisées dans le financement de l'ESS et, plus particulièrement, « d'entités à fort impact social ».

L'intervention de Bpifrance permettra de « structurer un marché du capital-investissement naissant sur ce secteur », avait insisté son directeur général, Nicolas Dufourcq, lors de la remise de son rapport sur le financement de l'ESS à Benoît Hamon, le 31 mai. En clair, la Banque publique d'investissement va défricher le terrain de « l'impact investing », une nouvelle classe d'actifs qui allie rendement financier et retour social sur investissement. Né aux États-Unis en 2007, l'impact investing pourrait peser 500 milliards de dollars d'ici à 2014, à l'échelle mondiale, soit un taux de croissance annuelle de 60 % en moyenne depuis 2009, d'après une étude réalisée par JPMorgan, la fondation Rockefeller et le Global Impact Investing Network (GIIN).

1,2 milliards d'euros en plus d'ici à 2020

Autre mode de financement innovant vers lequel l'ESS peut se tourner, et auquel Benoît Hamon lui-même « croit beaucoup » : le crowdfunding, ou financement participatif, qui met en relation -via des plates-formes Internet -des porteurs de projets en quête d'argent avec des particuliers désireux d'investir, de prêter ou de donner.

« L'ESS a toute sa place dans le crowdfunding car les gens investissent pour la beauté d'un projet », affirme Arnaud Poissonnier, patron de la plate-forme de financement participatif Babyloan.

De fait, sur les 40 millions d'euros collectés ces quatre dernières années en France grâce au crowdfunding, près de 20 % ont été alloués à des projets solidaires. Or, le marché du financement participatif devant tutoyer les 6 milliards d'euros en France d'ici huit ou dix ans, c'est donc 1,2 milliard d'euros qui pourraient être affectés à l'ESS au cours de cette période, selon Arnaud Poissonnier.

Et, d'ici là, le marché des « social impact bonds » aura peut-être commencé à se développer en France. La rémunération de ces nouvelles obligations, qui ont vu le jour au Royaume-Uni en 2010, est indexée sur le rendement social des projets qu'elles servent à financer, comme la réduction du taux de récidive des détenus de la prison privée de Peterborough, dans l'Est de l'Angleterre. On n'arrête pas le progrès, dans le financement de l'ESS...

 

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Commentaire 1
à écrit le 25/10/2013 à 19:52
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Le problème n'est pas celui d'une machinerie démultipliante ou à effet de levier. L'article cite de multiples intervenants dans un domaine déjà varié et flou ; des organismes adaptés tels l'ADIE ou France Active apportent aide et assistance par un m...

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