Gestion d’actifs : le géant BlackRock se montre moins vert et plus capitaliste

Dans sa traditionnelle lettre annuelle aux dirigeants d’entreprise, le PDG du premier gestionnaire d’actifs au monde, Larry Fink, se montre plus réaliste mais moins vert, plus soucieux des parties prenantes mais moins politique. Le virage vers l’investissement durable de BlackRock initié il y a deux ans avait pourtant sonné comme le signal du basculement de l’industrie de la gestion d’actifs vers l’ESG.
Pour Larry Fink, PDG du géant de la gestion d'actifs BlackRock, le capitalisme des parties prenantes ne relève pas de la politique.
Pour Larry Fink, PDG du géant de la gestion d'actifs BlackRock, le capitalisme des parties prenantes ne relève pas de la politique. (Crédits : Reuters)

Quand une personne pèse 10.000 milliards de dollars, généralement, on l'écoute. C'est le cas de Larry Fink, PDG de BlackRock, premier gestionnaire d'actifs dans le monde et premier actionnaire des sociétés cotées au travers de ses fonds (10.000 milliards de dollars d'actifs sous gestion). Depuis dix ans, cet homme de poids dans la finance a pris l'habitude d'adresser une lettre ouverte en janvier aux dirigeants des sociétés cotées du monde entier.

L'exercice ressemble à s'y méprendre avec la lettre annuelle de Warren Buffet à ses actionnaires de Berkshire Hathaway, sa société d'investissement qui pèse plus de 720 milliards de dollars en Bourse. A ceci près que « l'oracle d'Ohama » s'adresse aux petits actionnaires alors que Larry Fink cible les puissants de ce monde, même si en réalité, il parle avant tout à ses clients investisseurs. D'où l'image du gentil d'un côté et du méchant de l'autre.

Mouvement tectonique

En janvier 2020, Larry Fink avait radicalement changé de ton : il s'était en effet converti à l'ESG ! C'est-à-dire sur le terrain de l'investissement socialement responsable (ISR) où personne ne l'attendait vraiment. Ce fut comme un coup de tonnerre dans l'industrie de la gestion et le signal pour certains que les géants américains prenaient (enfin) l'investissement durable au sérieux. « Il y a deux ans, j'ai écrit que le risque climatique constituait un risque d'investissement. Et durant cette courte période, nous avons assisté à un mouvement tectonique », se félicite aujourd'hui le PDG de BlackRock.

Ce virage à 180 degrés illustre surtout son excellent sens du timing. A l'heure où les investisseurs institutionnels, surtout en Europe, ne jurent plus que par l'ISR, il fallait bien que BlackRock réponde à la demande pour préserver ses parts de marché. Et quand la machine est lancée, elle est bel et bien lancée.

En 2021, BlackRock a collecté 104 milliards de dollars sur les fonds dédiés à l'investissement durable, soit 20 % de la collecte totale du gestionnaire d'actifs (540 milliards). Certes l'Europe représente les deux tiers de la collecte mais les Etats-Unis pèsent désormais pour un (tout) petit tiers. Au total, les fonds durables représentent un encours de 509 milliards de dollars à la fin décembre (5% du total). Un montant multiplié par deux en un an. A ce chiffre s'ajoutent  690 milliards de dollars d'encours  intégrant des « filtres » ESG.

Retour aux fondamentaux du capitalisme

Pourtant, pour la dixième édition de sa lettre, publiée mardi, Larry Fink revient aux fondamentaux. « Satisfaire les intérêts divergents de nombreuses parties prenantes d'une entreprise n'est pas chose aisée. Dans un monde polarisé, les chefs d'entreprise sont inévitablement confrontés à certaines parties prenantes exigeant une chose tandis que d'autres exigent le contraire. C'est pourquoi il est plus important que jamais que votre entreprise et vos équipes soient guidées par votre mission. Si vous restez fidèle à la raison d'être de votre entreprise (...) vous générerez des performances durables pour vos actionnaires et contribuerez à faire du capitalisme une force bénéfique pour tous », conclut la (longue) lettre de Larry Fink.

Le puissant PDG pose ici la délicate équation des parties prenantes et trouve la réponse « en restant fidèle à l'objectif de l'entreprise ». Pour beaucoup, l'objectif d'une entreprise est de réaliser des profits et finalement l'ESG peut avoir sa place si ces critères concourent à réaliser des profits. Le message sonne ainsi comme un retour en arrière après les professions de foi environnementales et sociétales de ces deux dernières années.

D'ailleurs, Larry Fink le rappelle, « le capitalisme des parties prenantes ne relève pas de la politique. Il ne s'agit pas d'un programme social ou idéologique. Ce n'est pas un capitalisme « politiquement correct ». C'est un capitalisme reposant sur des relations mutuellement bénéfiques entre vous et vos salariés, clients, fournisseurs et les communautés dont dépendent votre entreprise pour prospérer. C'est cela que réside la force du capitalisme ».

Une présence dans les énergies fossiles

L'entreprise doit donc créer de la valeur pour l'ensemble de ses parties prenantes et la clé pour les marchés (les investisseurs clients de BlackRock) reste la rentabilité à long terme. La lettre évoque ce capitalisme des parties prenantes - BlackRock lance même un pôle de réflexion sur le sujet et engage même ses clients à mieux participer au processus de votes en assemblée générale des actionnaires - mais elle s'adresse avant tout aux actionnaires qui doivent faire les bons choix pour l'entreprise. Nous sommes dans l'épure du capitalisme financier, mais plus éloigné du capitalisme vert.

Bien sûr, BlackRock s'inscrit toujours dans une perspective de zéro carbone (en 2050) mais son PDG souligne que cela prendra beaucoup de temps et qu'il s'agit d'être réaliste. Une manière de justifier que le géant de l'investissement reste présent dans les secteurs pétroliers et gaziers et d'éviter de fixer des objectifs de sortie des énergies fossiles.

« Le désengagement de pans entiers de l'économie, ou le simple transfert d'actifs à forte intensité de carbone des marchés publics aux marchés privés, ne permettra pas à la planète d'atteindre l'objectif de zéro émission nette » estime Larry Fink, « BlackRock n'applique pas une politique systématique de désinvestissement des sociétés pétrolières et gazières. Certains de nos clients choisissent de liquider leurs actifs dans ces secteurs, tandis que d'autres rejettent cette démarche ». Certains gestionnaires d'actifs européens, comme Natixis IM, déclinent des plans d'action beaucoup plus ambitieux en matière de décarbonation des portefeuilles.

Larry Fink en appelle surtout à un partenariat public privé pour accélérer la transition et estime qu'il revient aux pouvoirs publics de définir des orientations et une taxonomie (classement des investissements en fonction de la composante carbone) « cohérente ». Sur le nucléaire ou bien le gaz naturel, BlackRock prend également soin d'éluder la question. C'est finalement aux États de fixer les objectifs et aux entreprises de s'adapter, dans le respect des intérêts de ses parties prenantes, en premier lieu, ses actionnaires.

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Commentaires 4
à écrit le 19/01/2022 à 19:00
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Les retraités bénéficiaires lui sont reconnaissants, pas les français, bien sûr, puisqu'ils sont condamnés à la répartition

à écrit le 19/01/2022 à 13:59
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Un francais détruit chaque année bien plus qu'il ne crée de valeur avec son PIB/personne ! Par amenuisement définitif de resources non renouvelables = impasse sanitaire (un homme sain dans un corps sain...) au niveau de la logique du "progrès"!

à écrit le 19/01/2022 à 9:25
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Il est logique que le secteur pharmaceutique fasse partie des plus privilégiés par les fonds de gestion d’actifs. «Etant donné l’opportunisme fondamental de ces acteurs», ils investissent dans les secteurs qui leur rapportent le plus et sont en crois...

à écrit le 19/01/2022 à 9:20
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il est ruse! il investit dans l'esr, puis le fait savoir tout haut, la les gens se precipitent en se disant qu'il n'y en aura pas pour tout le monde...et discretement il modifie sa position.......tiens, ca me rappelle un industriel de l'automobile qu...

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