Un été meurtrier sur les marchés : le scénario qui hante les investisseurs

ANALYSE. Le mouvement de baisse des marchés était enclenché depuis l’automne aux Etats-Unis et le début de l’année en Europe. La dégradation du climat sur les marchés s’accélère depuis l’invasion de l’Ukraine et singulièrement depuis la chute de Wall Street mercredi dernier. De plus en plus de voix prédisent un nouveau cycle baissier, qui pourrait même s’aggraver l’été prochain.
Le CAC 40, indice phare de la place de Paris, a perdu près de 7 % en trois mois, date du début de l'offensive russe contre l'Ukraine.
Le CAC 40, indice phare de la place de Paris, a perdu près de 7 % en trois mois, date du début de l'offensive russe contre l'Ukraine. (Crédits : Reuters)

Faut-il s'attendre à un été meurtrier sur les marchés ? Pour beaucoup d'investisseurs, cette semaine de baisse ne présage rien de bon. Les krachs successifs (notion vague qui désigne généralement une baisse de 10 % du prix des actifs) qui se succèdent depuis l'automne dernier, sur les valeurs technologiques ou de croissance, sur les actifs alternatifs comme les cryptomonnaies, mais aussi sur le marché obligataire, avaient jusqu'ici une explication presque rassurante : ils trouvaient leur origine dans le virement brutal des politiques monétaires face à l'inflation et s'inscrivaient finalement dans une sorte de normalisation, un juste retour des choses « à la normale », après l'extravagance de 2021.

Une forte croissance (7% en France l'an dernier) et des taux à zéro, autrement dit, le beurre et l'argent du beurre, ne pouvaient pas éternellement durer. La fin de l'argent gratuit allait ramener les investisseurs à la raison et les valorisations à leurs moyennes historiques, voire à des points d'entrée attractifs. Certains stratégistes de marché développaient même l'idée que l'inflation était un facteur de soutien pour les actions. Les bons résultats des entreprises au premier trimestre et l'absence de révision à la baisse des prévisions de croissance des bénéfices confortaient cet optimisme prudent.

Prise de conscience

C'était avant le déclenchement de la guerre en Ukraine. C'était surtout avant le carnage boursier à Wall Street de mercredi dernier. La publication aux Etats-Unis de mauvais chiffres d'activité de deux poids lourds de la grande distribution, Walmart et Target, a provoqué une violente baisse des indices américains, y compris de valeurs « value », et rappelé aux marchés que l'inflation pouvait peser sur la consommation et la profitabilité des entreprises. Résultat, les craintes d'une récession n'ont jamais été aussi élevées que depuis 2008, selon Bank of America.

« Nous assistons à une vraie prise de conscience que l'inflation n'est pas une bonne chose pour les actions car le schéma est toujours le même, après l'inflation vient la récession. Les marchés sont aujourd'hui clairement dans une anticipation de récession. Nous sommes même déjà en récession aux Etats-Unis, avec un premier trimestre négatif et un second trimestre qui ne s'annonce pas meilleur. Nous étions dans une sorte de déni jusqu'ici alors que les clignotants sont au rouge depuis des mois », avertit Eric Galiègue, président de Valquant Expertyse.

Dès lors, les scénarios les plus noirs commencent à fleurir aux Etats-Unis. Scott Minerd, responsable des investissements chez Guggenheim, prévient sur la chaîne américaine CNBC que le Nasdaq pourrait plonger de 75 % par rapport à son sommet de l'automne 2021 et que le S&P 500 pourrait déraper de 45 %, toujours par rapport à son sommet. Eric Galiègue n'est guère plus optimiste : « la baisse des marchés commencée le 24 février pourrait nous amener vers les 5.700/5.800 points sur le CAC 40, avec certes des rebonds techniques, mais plus probablement vers les 4.400 points au début de l'année 2023 ».

Une Fed agressive

La configuration des marchés conjugue à la fois des problèmes dans la sphère réelle et dans la sphère financière. Les entreprises ne pourront pas structurellement maintenir le niveau stratosphérique de leurs marges nettes alors qu'elles sont soumises à la fois à une pression sur les salaires, à l'augmentation des prix des matières premières et des intrants mais aussi, à moyen et long terme, à une « déglobalisation » de l'économie mondiale.

Ce n'est pas tant les actions qui vont baisser que la valeur des entreprises elles-mêmes. Le mouvement de baisse des profits sera d'autant plus néfaste pour les actions américaines qu'un tiers de la croissance des BPA (bénéfice par action) aux Etats-Unis résulte des programmes de rachat d'actions pour annulation. Moins de profits, moins de rachats d'actions.

Dans la sphère financière, le tableau n'est pas plus rassurant. La Réserve fédérale (Fed) a clairement indiqué qu'elle entendait continuer à relever ses taux d'intérêt, même si cela risque d'entraîner une ruine sur les marchés boursiers et obligataires. Et la Banque centrale européenne (BCE) pourrait bien lui emboîter le pas plus tôt que prévu. Jusqu'ici, depuis les années 2000, les marchés fonctionnent sur la croyance que la Fed fera tout pour sauver les marchés. Ce « put » (option de vente) de la Fed a clairement expiré aujourd'hui.

Pour le président de la Fed, Jerome Powell, rétablir la stabilité des prix est devenu la priorité des priorités. Le marché anticipe une nouvelle hausse des taux directeurs de 50 points de base en juin prochain alors que l'inflation américaine a dépassé les 8% en avril. Seul espoir : que la récession décide la Fed à ralentir son tempo de hausse des taux et de réduction de bilan. Entre-temps, il risque d'y avoir du dégât sur les marchés.

Baisse ordonnée

Derrière ce tableau assez sombre, une note positive. La baisse des marchés semble s'effectuer de manière ordonnée. En clair, il n'y a pas de mouvement de panique, de « sell off » généralisé. C'est un repli tactique, à la recherche de liquidités. Selon une toute récente enquête de Bank of America, le niveau de liquidités des gestionnaires de fonds a atteint un pic depuis septembre 2001.

«Le consensus est devenu très pessimiste, ce qui engendre des phases de rachat sur des nouvelles simplement moins alarmantes », tempère Jean-Jacques Friedman, CIO chez Vega Investments Managers. « Finalement, le Nasdaq s'est normalisé en termes de multiples de valorisation et en Europe, nous sommes à 12 fois les multiples avec des taux qui restent toujours relativement faibles », ajoute-t-il.

Ce cash peut ainsi alimenter des reprises techniques en cas de baisses jugées excessives des marchés. D'autant que les investisseurs restent extrêmement prudents sur les marchés obligataires, qui ont également fortement baissé depuis le début de l'année. Seule la dette souveraine s'est reprise dans un mouvement de « fuite vers la qualité ». Ce qui coiffe un peu la remontée des taux longs.

Cette absence de « capitulation des marchés » - même si cela pouvait y ressembler en milieu de semaine - devrait cependant inciter la Fed à poursuivre le durcissement de sa politique alors que les marchés espèrent toujours qu'elle modère son discours.

En attendant, les indices américains sont proches d'atteindre le niveau d'un véritable marché baissier, généralement défini comme étant un recul de 20 % par rapport au plus récent sommet. Le Nasdaq a largement franchi ce seuil (-30% par rapport à novembre) et le S&P 500 vient tout juste de l'atteindre.  La chute est moins rude à Paris : le CAC 40 a perdu 15 % par rapport à son plus haut de janvier dernier.

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Commentaires 9
à écrit le 22/05/2022 à 11:26
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Il est temps que les bourses reviennent à des fondamentaux sains et réels et non basés sur le « clic «  décalé de quelques secondes en 18000 kms qui est la norme aujourd’hui ou … la valeur c est ce qu’elle vaut à l instant t et non l hypothétique v...

le 23/05/2022 à 3:01
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... TANT QUE PARLE L ' ECONOMIE (Musique / Videooooo.... ) ... ; .... tout y est aussi ! . AFF ISS pe Corsica * .

à écrit le 21/05/2022 à 19:57
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... pourtant , meme avec une croi$$ance negative comme dirait le FMI et sa cheffe qui en connait un rayon d ' action$ , d ' apres les expert$ ... ; certains se regalent a foi$on ... : " L ' effondrement des valeurs tech ...

à écrit le 21/05/2022 à 11:45
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Ils ont arrêté l'économie mondiale pendant deux ans et maintenant ils font la guerre en Ukraine, c'est si elle montait encore que ce serait une anomalie.

à écrit le 20/05/2022 à 18:46
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Franchement, c'est un soulagement de voir les bourses baisser. tout le monde en avait ras-le-bol, de cette économie hors sol, où les plus riches amassaient des somme colossales, en ne faisant pratiquement rien. Tous ces gens qui nous répétaient sans ...

le 20/05/2022 à 19:56
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La Bourse, c'est d'abord le marché du capital d'occasion et le poumon de l'activité économique. Si la Bourse ne fonctionne pas bien, ce sont les entreprises qui ne trouvent pas de financement, les emplois qui ne se créent pas ou disparaissent, les p...

le 20/05/2022 à 22:52
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@Charlie La Bourse est un mal nécessaire, il n'y a pas d' autre moyen de financer l'économie. L'autre système c'est une économie dirigée généralement d'inspiration communiste qui vire rapidement dictature dont meilleur exemple est la Chine.

le 21/05/2022 à 5:36
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Bonjour Charlie ... ; .... [ TOUT RESTE A FAIRE ( Musique ) by SILMARILS ! ] . ... Pour la bourse des gaulois , il faudrait un controle cocaine tous les matin a la porte du palais Brongniart ... !!!!! . Mais dans un pays ...

le 21/05/2022 à 12:54
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Tous ceux qui défendent le rôle positif de la bourse s'en tiennent à la théorie, la pratique est bien différente car en détournant les flux financiers du financement de l'économie réelle : l'investissement dans l'outil de production et les emplois qu...

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