Les banques privées, un « business model » en question

L'inflation réglementaire et la transformation digitale pèsent sur la rentabilité des banques privées. Celles-ci vont devoir repenser leurs modèles de rémunération.
Christine Lejoux
Le nombre de millionnaires est appelé à croître de 7,1% d’ici à 2018, pour s’élever à plus de 18 millions dans le monde, d’après McKinsey.

Serait-ce la fin d'une époque dans l'univers feutré de la banque privée, où seuls les patrimoines supérieurs à 250.000 euros, en règle générale, ont droit de cité ? Selon un rapport publié à l'automne dernier par le cabinet de conseil en stratégie McKinsey, la rentabilité des banques privées européennes a stagné en 2014, à 25 points de base (0,25%) des actifs sous gestion, soit une baisse de 10 points par rapport au pic de 35 points de base atteint en 2007, avant l'éclatement de la crise des « subprimes » (crédits hypothécaires américains risqués). Et si les bénéfices des banques privées européennes ont augmenté de 8,9% en 2014, cette moyenne ne doit pas occulter le fait qu'un établissement sur six a perdu de l'argent, au cours de cette même année.

Ce n'est pourtant pas le travail qui manque pour les banques privées. Certes, les 400 personnes les plus riches de la planète ont vu leur fortune fondre de 19 milliards de dollars en 2015, en raison de la baisse des marchés boursiers et des prix des matières premières, mais elles demeurent assises sur un tas d'or de près de 4.000 milliards de dollars, un montant supérieur au PIB (produit intérieur brut) de l'Allemagne, selon une récente étude de l'agence Bloomberg. Mieux, le nombre de millionnaires est appelé à croître de 7,1% d'ici à 2018, pour s'élever à plus de 18 millions dans le monde, d'après McKinsey. « Globalement, l'environnement macro-économique et de marchés n'a pas été mauvais pour les banques privées, ces dernières années. Ce marché demeure assez porteur dans le monde, y compris dans les pays matures, avec une croissance de l'ordre de 2% à 4% par an selon le pays, très supérieure à celle de l'économie », relativise d'ailleurs Patrick Folléa, directeur de Société Générale Private Banking France.

MIF II et la fin des rétrocessions en gestion déléguée

Reste que la crise financière de 2008 a considérablement modifié les us et coutumes en matière d'investissement : nombre d'épargnants fortunés préfèrent désormais des placements moins risqués et donc moins rémunérateurs, pour eux comme pour les banques. Une tendance qui, couplée à la faiblesse des taux d'intérêt, pèse sur les marges des banques privées, moins touchées cependant que la banque de détail. « Dans le contexte actuel de taux très bas, la banque privée a l'avantage de disposer d'une palette de produits beaucoup plus large. Nous pouvons en effet proposer à nos clients davantage de supports en unités de compte, ainsi que du capital-investissement et des produits structurés, par exemple », nuance Béatrice Belorgey, directeur de BNP Paribas Banque Privée France. « Ces dernières années, les trois grandes composantes d'un patrimoine que sont l'immobilier, les actions et les obligations se sont plutôt bien tenues, en France », renchérit Patrick Folléa.

Ce que la crise de 2008 a également modifié en profondeur, pour les banques privées, c'est le cadre réglementaire. En témoigne la directive européenne MIF II (Marchés d'instruments financiers), qui, à moins d'être reportée d'un an, doit entrer en vigueur le 1er janvier 2017. Destinée à mieux protéger les épargnants, elle mettra un terme aux rétrocessions que les banques privées perçoivent des sociétés de gestion dont elles distribuent les OPCVM (organismes de placement collectif en valeurs mobilières), dans le cadre de la gestion sous mandat [par opposition à la gestion conseillée, dans le cadre de laquelle les clients pilotent eux-mêmes leur portefeuille, tout en étant accompagnés ; Ndlr].

Près d'une personne sur deux éligible à la banque privée n'y recourt pas encore

Des rétrocessions qui ont représenté pas moins de 13% des revenus des banques privées européennes, en moyenne, en 2014, d'après McKinsey. « L'entrée en vigueur de MIF II entraînera certainement une modification de la structure des rémunérations des banques privées. Celles-ci se trouveront en nécessité de facturer progressivement leurs conseils, mais cela prendra du temps », estime Patrick Folléa. Pour mémoire, il est de tradition, dans les banques privées, de ne pas faire payer le conseil en ingénierie patrimoniale, l'établissement se rémunérant via la vente de produits financiers. Un modèle économique qui semble difficilement tenable, à l'aune de la fin des rétrocessions en gestion sous mandat prévue par MIF II.

Le patron de la banque privée de la Société Générale en France n'en prend pas moins les contraintes réglementaires « avec philosophie, celles-ci étant incontournables et pouvant même constituer des opportunités, dans la mesure, par exemple, où les grands acteurs du secteur, auront plus de facilités que les autres à les intégrer. » De la même façon, Béatrice Belorgey assimile la prochaine entrée en vigueur de MIF II à un « relèvement des barrières à l'entrée » du secteur de la banque privée, lequel garde d'autant plus de potentiel en France que « près d'une personne sur deux éligible à des services de banque privée n'y recourt pas encore, nombre d'entre elles s'estimant à même de gérer seules leur patrimoine. »

Le défi de la transformation digitale

Outre la réglementation, un autre défi attend les banques privées, dans les prochaines années : celui de la transformation digitale. Certes, « la révolution numérique dans la banque privée sera de moindre ampleur qu'au sein de la banque de détail, le conseil patrimonial relevant de l'intime », souligne Béatrice Belorgey, mais « les jeunes entrepreneurs sont de plus en plus demandeurs d'interactions à distance, car ils ont peu de temps à consacrer à la relation bancaire et sont très autonomes dans l'utilisation des outils numériques », reconnaît la responsable de la banque privée de BNP Paribas en France. A tel point que le développement d'offres sur Internet permettrait aux banques privées de conquérir 42 millions de nouveaux clients dans le monde, soit 66 milliards de dollars de revenus supplémentaires, estime McKinsey.

« La révolution numérique représente un enjeu énorme pour nous, elle va considérablement modifier notre façon d'exercer notre métier. L'intelligence artificielle permettra d'apporter aux clients des services qui n'existent pas encore, des solutions sur mesure, dans le domaine de la gestion d'actifs mais aussi de l'ingénierie patrimoniale par exemple. Certains acteurs du numérique ont commencé à proposer des offres, certes encore très simplifiées, mais nous devons nous doter d'une capacité de réponse », analyse Patrick Folléa.

Selon ce dernier, « les impératifs réglementaires et la révolution numérique représentent des investissements considérables pour les banques privées. » Une opinion partagée par McKinsey, qui évalue à 10 milliards d'euros d'actifs sous gestion la taille critique en dessous de laquelle une banque privée n'est plus rentable, compte tenu de l'inflation des coûts. Le cabinet de conseil juge donc inévitable une concentration du secteur sur le Vieux Continent, certains acteurs indépendants risquant de sortir du marché au profit de ceux qui sont adossés à une banque de détail. « Il y aura une concentration du secteur en Europe, variable selon les pays. Il n'y aura pas de mouvement de fond en France, contrairement à ce qui pourrait se passer en Suisse, où le nombre d'acteurs est très important », précise Patrick Folléa.

Christine Lejoux

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Commentaire 1
à écrit le 13/01/2016 à 9:35
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"L'intelligence artificielle permettra d'apporter aux clients des services qui n'existent pas encore, des solutions sur mesure, dans le domaine de la gestion d'actifs mais aussi de l'ingénierie patrimoniale par exemple. " Ça sent fortement la pub...

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