Paiement fractionné : la valorisation de Klarna chute de 85% à 6,5 milliards de dollars

Selon le Wall Street Journal, le géant suédois du paiement fractionné serait proche de boucler un nouveau tour de table qui ferait passer sa valorisation de 45,6 milliards de dollars l’an dernier à 6,5 milliards de dollars. Cette nouvelle levée de fonds, que cherche à boucler depuis des mois la fintech, serait d’environ 650 millions de dollars, essentiellement auprès d’actionnaires existants. Elle confirme la chute des valorisations dans la fintech ces derniers mois.
Le spécialiste suédois du paiement fractionné Klarna a affiché de lourdes pertes en 2021.
Le spécialiste suédois du paiement fractionné Klarna a affiché de lourdes pertes en 2021. (Crédits : Klarna)

C'est un air de déjà vu d'éclatement de bulle financière. Selon le Wall Street Journal, le champion suédois du paiement fractionné (buy now pay later, BNPL) serait en passe de boucler son nouveau tour de table, d'un montant de 650 millions de dollars, qui ferait passer la valorisation de la fintech de 45,6 milliards de dollars à seulement 6,5 milliards de dollars. Cette levée de fonds serait souscrite auprès d'un pool d'actionnaires déjà existants, mené par Sequoia Capital, précise le quotidien financier, citant des sources anonymes.

Cette nouvelle valorisation représente une chute de 85% par rapport à la valorisation atteinte en juin 2021 lors du précédent tour de table d'un montant de 639 millions de dollars, alors que Klarna surfait en pleine vague du BNPL dans le monde, dans le sillage de l'explosion du commerce en ligne post-covid. Des rumeurs en février dernier prêtaient à Klarna une valorisation proche de 60 milliards de dollars.

Mais depuis les mauvaises nouvelles s'accumulent sur la société alors que le contexte économique et financier s'est profondément dégradé depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Sur l'exercice 2021, la fintech a annoncé une perte d'exploitation de 748 millions de dollars et annoncé en mai un plan de suppression de 700 postes, soit 10% de ses effectifs.

Violente correction

En mai, l'agence financière Bloomberg évoquait le souhait de Klarna de lever jusqu'à un milliard de dollars, sur la base d'une valorisation de 30 milliards de dollars. Puis, début juin, le Wall Street Journal rapportait des négociations pour un tour de table de 500 millions, sur la base d'une valorisation de 15 milliards. Et aujourd'hui, la valorisation globale serait finalement de moitié.

Cette correction violente de la valorisation touche d'ailleurs l'ensemble du secteur de la fintech, qui multiplie les plans de licenciements et qui doit s'accommoder de valorisations bien inférieures. C'est notamment le cas du spécialiste britannique du paiement de proximité SumUp , qui vient de réaliser une levée de fonds de 590 millions d'euros (capital et dette) sur la base d'une valorisation moitié moindre de celle estimée en début d'année. La montée des taux et la persistance de l'inflation ont mécaniquement un effet dévastateur pour des sociétés de croissance, très corrélées aux comportements des consommateurs.

Mais elle souligne également un environnement qui s'annonce bien plus difficile pour les acteurs du paiement fractionné.

Coût du risque élevé

C'est tour d'abord une industrie à faible marge, qui joue à la fois sur les volumes et un taux de risque maitrisé. Avec une inflation mondiale qui continue de rester élevée, notamment à cause des prix de l'énergie, les consommateurs vont commencer à se serrer la ceinture. Le boom de la consommation de l'après crise sanitaire, essentiellement en ligne, alimenté par des ménages gorgés d'épargne, touche à sa fin, notamment sur les secteurs très prisés par le BNPL comme l'électronique grand public ou la mode. Résultat, les volumes vont se réduire, même si de nouveaux marchés s'ouvrent, comme le tourisme.

Autre revers de la médaille, la hausse attendue du coût du risque. En France, les acteurs du BNPL reconnaissent à demi-mot un coût du risque d'environ 100 points de base, payé en général par les marchands pour soutenir leurs ventes. Mais, il est avéré que les grands acteurs du BNPL, notamment aux Etats-Unis, affichent de piètres performances en matière de gestion du risque.

Ces acteurs, avant tout technologiques, ont toujours privilégié un taux d'acceptation élevé dans des délais très rapides (sous la pression des marchands) - c'est même le cœur de leur métier - à la maitrise du risque. Ainsi, selon une étude de Financial Review, pour chaque milliard de dollars de production aux Etats-Unis, les acteurs de BNPL doivent provisionner en moyenne 19 millions de créances douteuses contre seulement... 270.000 dollars pour une carte de crédit.

Tour de vis réglementaire

La seconde source d'inquiétudes pour le secteur est l'émergence d'une réglementation beaucoup plus stricte. Jusqu'ici, le BNPL était plutôt considéré comme une facilité de paiement et non comme un crédit, ce qui permettait d'échapper à toutes les contraintes réglementaires liées au crédit. Les nouveaux acteurs se sont donc vite engouffrés dans ce Far West réglementaire au risque de multiplier les abus. Ainsi, les fournisseurs de BNPL ont peu compensé leurs pertes financières sur les créances douteuses par une multitude de frais cachés, notamment les pénalités de retard de remboursement. Mais les régulateurs et les pouvoirs publics ont commencé à mettre le holà sur ces pratiques.

Au Royaume-Uni, sous la pression des associations de consommateurs, le gouvernement souhaite imposer aux acteurs de BNPL des règles visant à vérifier la solvabilité des emprunteurs, le tout sous l'autorité du régulateur financier, le Financial Conduct Authority (FCA). La publicité et les prospectus seront également davantage encadrés. En Europe, la Commission européenne prépare une réglementation qui devrait aligner les contraintes de protection du consommateur du crédit aux facilités de paiement et des mini-prêts.

Les plus gros acteurs, comme Klarna, affichent un soutien à ses projets de réglementation qui pourraient aider à faire le ménage sur un marché devenu passablement encombré, notamment par des acteurs peu scrupuleux.

L'ombre d'Apple

La manne du BNPL a bien évidement suscité l'explosion de la concurrence, avec des dizaines de nouveaux entrants, largement financés par les fonds d'investissement. Cette source de financement risque de se tarir et entrainer faillites ou consolidation. Elle a également attiré des acteurs du paiement, qui ont vu le BNPL comme une source de diversification mais surtout de fidélisation en B2B et B2C. C'est le cas notamment du géant PayPal, mais aussi d'acteurs de paiement de référence comme Checkout.com, Stripe, Block (ex Square), qui a racheté Afterpay pour 29 milliards de dollars, mais aussi des mastodontes comme Visa, MasterCard ou American Express.

Mais c'est dans doute l'entrée d'Apple dans le champ concurrentiel qui risque de bouleverser les lignes, comme tenu de la montée en puissance depuis le Covid de son wallet Apple Pay et surtout de ses ressources financières. Et cette fois-ci, Apple compte en effet sur ses propres forces pour se développer sur ce marché, sans passer par un partenariat bancaire, contrairement au lancement en de sa carte de crédit (Apple Card). Le géant de Cupprtino avait pris soin de racheter en début d'année la fintech Credit Kudos, spécialisée dans le scoring de crédit.

Enfin, les banques elles-mêmes commencent à réagir pour reprendre une partie du terrain perdu. De plus en plus de grandes banques proposent des solutions de BNPL, notamment aux Etats-Unis (Citi, Chase, JP Morgan...).

En France, BNP Paribas a ainsi racheté Floa, un acteur historique, et La Banque Postale vient de créer sa filiale spécialisée, Django. De même, LCL (Crédit Agricole) commercialise un mini crédit instantané, proposé en exclusivité à partir de l'application mobile.

Dans un environnement plus difficile, les banques pourront même tirer leur épingle du jeu pour au moins deux raisons : tout d'abord, elles ont un accès privilégié aux ressources financières - ce qui est un atout de taille quand les taux de marché grimpent - et ensuite, elles peuvent jouer leur rôle de « tiers de confiance » auprès des marchands, notamment des plus grands. Ces derniers veulent avant tout récupérer leur argent et seront sans doute plus à même à faire confiance à une banque qu'à une fintech à l'historique plus récent.

"Les modèles comme Klarna ou Paypal reposent sur la facturation des marchands. Leurs contrats sont âprement négociés sur plusieurs années. Mais quand le coût du refinancement  et le coût du risque vont augmenter, cela va être assez compliqué pour eux d'indexer leur tarification", se plait à espérer un concurrent banquier.

Une tendance lourde de consommation

Reste que le marché du BNPL ne va pas disparaître du jour au lendemain. Le paiement fractionné s'est profondément ancré dans les habitudes de consommation et le potentiel de croissance du marché est immense. Bref, de l'avis de nombreux professionnels, il y a encore de la place ! Un mouvement de consolidation va sans doute s'opérer et c'est pourquoi les investisseurs seront plutôt incités à remettre au pot sur les grands acteurs, plus aptes à traverser la période difficile qui s'annonce.

Les acteurs de BNPL se préparent également d'ailleurs à un changement de régime. Elles profitent des données de leurs clients pour multiplier les programmes de fidélisation mais aussi pour diversifier leurs sources de revenus. Aux Etats-Unis, Affirm se lance dans l'épargne tandis que Klarna devient de plus en plus une place de marché, au risque d'ailleurs de concurrencer ses propres clients marchands. Le paiement fractionné sur le point de vente, encore peu développé, est également une piste de développement, déjà explorée par Klarna. Enfin, les acteurs de BNPL pourraient également s'attaquer aux finances personnelles et autres produits bancaires.

Mais la question de l'accès aux sources de financement sera clé dans les prochains mois. Tous ces développements coûtent chers et les levées de fonds seront moins aisées. Une fois de plus, le nerf de la guerre sera l'argent.

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Commentaires 3
à écrit le 03/07/2022 à 18:59
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Il ne faut pas voir les choses sous son propre angle. Le paiement fractionné permet (pour un particulier) d'acquérir (et non investir) à taux nul un/des biens dont le (les) prix peuvent varier fortement à la hausse dans le contexte actuel (pénurie de...

à écrit le 02/07/2022 à 21:11
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Perso ce type de piège à gogo ne m intéresse pas :toujours consommer et plus … c est faire croire aux gens qu’ils ont plus d argent qu’ils en ont ……c’ est ce qu ´ ils - les financiers flibustiers- ont appliqué aux etats… on voit ou cela les a mené...

à écrit le 02/07/2022 à 21:10
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Perso ce type de piège à gogo ne m intéresse pas :toujours consommer et plus … c est faire croire aux gens qu’ils ont plus d argent qu’ils en ont ……c’ est ce qu ´ ils - les financiers flibustiers- ont appliqué aux etats… ont à vis ou cela les a me...

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