Les transferts dans le foot, florilège d'innovations financières

TPO, TPI, « soccer bonds »... Les argentiers du football rivalisent d'inventivité pour financer les transferts de joueurs, sur un marché qui a explosé au cours des vingt dernières années.
Christine Lejoux
4,18 milliards de dollars en 2015, c'est le nouveau record du marché mondial des transferts des joueurs de football.

Eliaquim Mangala n'est pas le plus connu des 23 joueurs appelés par le sélectionneur Didier Deschamps pour défendre les couleurs de l'équipe de France, durant l'Euro de foot 2016, qui se déroulera du 10 juin au 10 juillet dans l'Hexagone. Pourtant, ce joueur de 25 ans n'est autre que le défenseur le plus cher de l'histoire du football, depuis son transfert du FC Porto à Manchester City, en août 2014, pour 53,8 millions d'euros. Outre son montant record, cette opération est emblématique de la pratique très controversée de la TPO (third party ownership), qui a cours depuis toujours en Amérique du Sud, notamment au Brésil, et qui s'est beaucoup développée dans le sud de l'Europe, ces dernières années. La TPO est un mécanisme par lequel des tiers indépendants des clubs de foot achètent une partie des droits économiques d'un joueur, afin de percevoir une part du montant de son futur transfert.

Démonstration, avec le cas Mangala

En août 2011, le jeune Eliaquim est transféré du Standard de Liège au FC Porto, au prix de 6,5 millions d'euros. Quelques mois plus tard, le club portugais, en quête de liquidités, cède 33,3% des droits économiques d'Eliaquim Mangala au fonds d'investissement Doyen Sports Investments Limited, basé à Malte, pour quelque 2 millions d'euros.

S'ensuit la vente de 10% supplémentaires à la société londonienne Robi Plus, derrière laquelle se trouve Lucien d'Onofrio, ancien agent de joueurs. Trois ans plus tard, en août 2014, survient le fameux transfert record de Mangala à Manchester City, pour près de 54 millions d'euros. Encore propriétaire de 56,7% des droits économiques du joueur, le FC Porto perçoit alors 30,5 millions d'euros sur le total de 53,8 millions, Robi Plus s'adjugeant pour sa part 5,4 millions d'euros et Doyen Sports, 17,9 millions. Une belle affaire pour ces deux tiers indépendants, dont la mise de départ a été multipliée par près de huit.

Quand la Fifa réussit à faire interdire la TPO

Sur le papier, la TPO apparaît donc comme un partenariat gagnant-gagnant entre les fonds d'investissement, ou autres tiers indépendants, et les clubs de foot. Les premiers s'assurent de confortables retours sur investissement, et les seconds peuvent aligner des joueurs qu'ils n'auraient jamais les moyens de s'offrir, sinon. En effet, le marché des transferts de joueurs a explosé au cours des vingt dernières années, en raison de l'arrêt Bosman du 15 décembre 1995, qui a mis un terme à la limite de trois joueurs étrangers par équipe. L'an dernier, le marché mondial des transferts a d'ailleurs atteint un nouveau record, à 4,18 milliards de dollars (3,68 milliards d'euros), selon la Fifa (Fédération internationale de football).

Depuis lors, le fossé n'a cessé de se creuser entre les clubs riches à millions, comme le PSG, et les autres. En particulier certains clubs portugais et espagnols, qui ont souffert de l'assèchement du crédit bancaire dans le sillage de la grande crise financière de 2008. C'est donc au sein de la péninsule ibérique que la TPO est la plus répandue sur le Vieux Continent, ainsi que dans certains pays d'Europe de l'Est, alors qu'elle est interdite en France, au Royaume-Uni et en Pologne. Il faut dire que la TPO soulève une question éthique fondamentale, à savoir l'influence des fonds d'investissement et autres tiers indépendants sur le déroulement des matchs et sur les carrières des footballeurs. Imaginons un fonds qui détiendrait deux joueurs, A et B, dans deux équipes différentes, sur le point de se rencontrer. Si la cote du joueur A a grimpé au point d'envisager un transfert lucratif, le fonds pourrait être tenté d'inciter A et B à s'entendre, de sorte que l'équipe de A gagne le match...

Estimant que « la TPO a des effets négatifs sur le football et ses valeurs », et afin de « protéger l'intégrité du football et des joueurs, ainsi que l'indépendance des clubs dans leur gestion du recrutement et des transferts », la Fifa a décidé en décembre 2014 d'interdire la TPO.

Entrée en vigueur le 1er mai 2015, cette interdiction avait été contestée par Doyen Sports, le club belge FC Seraing United et la ligue de football professionnel espagnole, qui la jugeaient contraire au droit européen de la concurrence. Mais la Cour d'appel de Bruxelles a donné raison à la Fifa, le 17 mars dernier, en soulignant « l'opacité de la propriété des droits économiques des joueurs par des tiers, l'absence de contrôle par les instances dirigeantes, l'importance de ce phénomène mondial et des sommes engagées ».

... Les fonds inventent la TPI et deviennent prêteurs

Qu'à cela ne tienne, après la TPO, voici la TPI. Dans le cadre de la third party investment, le fonds ou autre tiers indépendant se contente de prêter de l'argent à un club afin de l'aider à financer l'acquisition d'un joueur. Contrairement à la TPO, le fonds n'est pas ici propriétaire d'une partie des droits économiques du joueur. Garanti par les droits TV et les indemnités de transfert perçus par le club, le prêt est remboursé lors du transfert du joueur, l'argent allant directement au fonds créancier. Une technique illustrée par le cas de Bernardo Silva, transféré du Benfica Lisbonne à l'AS Monaco en 2015, pour la somme de 15,75 millions d'euros. Selon un courrier adressé par la Compagnie monégasque de Banque à l'AS Monaco en juillet 2015, et rendu public par le site Football Leaks, la première des trois échéances de 5,25 millions d'euros, a priori dues au Benfica, a en réalité été versée à l'entité XXIII Capital Limited. Laquelle n'est autre qu'une société londonienne spécialisée dans l'octroi de facilités de crédit aux industries du sport, de la musique et du divertissement.

« Les dérives potentielles de la TPI »

Les largesses de XXIII Capital ne se limitent pas à la Primeira Liga portugaise. Début janvier 2016, dans le cadre d'une opération de titrisation structurée par Guggenheim Partners, XXIII Capital a en effet vendu à des investisseurs américains pour 73 millions de dollars d'obligations adossées à des créances sur des clubs de la Premier league (Championnat d'Angleterre), de la Bundesliga allemande, ou encore de la Serie A italienne. Notés A par l'agence d'évaluation financière Kroll Bond Rating Agency, et servant un coupon de 3,7%, ces soccer bonds sont les premiers du genre. Ils pourraient bien être suivis d'autres initiatives, Vincent Labrune, le président de l'OM (Olympique de Marseille), s'étant par exemple dit « ouvert à la TPI », dans un entretien à l'AFP, le 1er février dernier.

En effet, si la TPI est autorisée dans la plupart des pays européens, elle ne l'est pas en France. Ce qui n'est pas pour déplaire à Christophe Lepetit, chargé d'études économiques au CDES (Centre de droit et d'économie du sport) de Limoges.

Dans une tribune diffusée le 3 février sur Francefootball.fr, il souligne que « les dérives potentielles de la TPI ne sont pas si éloignées de celles de la TPO ».

Christophe Lepetit en veut pour preuve l'origine incertaine de l'argent prêté par les fonds aux clubs, et le risque que ces derniers subissent des pressions de la part des fonds créanciers pour réaliser des transferts dans un but purement financier et non dans une logique sportive. Sans oublier l'éventualité que les clubs deviennent financièrement dépendants de ces prêts, dans la mesure où ce mécanisme les prive d'une partie des plus-values sur les transferts à venir. Les argentiers du football vont devoir se creuser encore la tête pour trouver l'innovation financière parfaite.

Christine Lejoux

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