Quand les néobanques courtisent les ados

Des Fintech, comme Pixpay, Xaalys et Kard, proposent des applis bancaires pour les moins de 18 ans, avec une approche pédagogique souvent couplée à un contrôle parental. La réponse digitale des banques traditionnelles ne devrait pas tarder.
Juliette Raynal
La startup parisienne Pixpay a développé une appli mobile dédiée aux 10-17 ans, leur permettant de mieux gérer leur argent de poche. Une appli miroir permet aux parents de suivre leurs dépenses.
La startup parisienne Pixpay a développé une appli mobile dédiée aux 10-17 ans, leur permettant de mieux gérer leur argent de poche. Une appli miroir permet aux parents de suivre leurs dépenses. (Crédits : DR)

Carte Mozaïc au Crédit Agricole, Regliss à La Banque Postale, MyB's chez BNP Paribas, V Pay pour Société Générale et Zen au LCL... Les offres bancaires consacrées aux plus de 12 ans, âge clé à partir duquel les mineurs sont autorisés à utiliser une carte de retrait et de paiement, s'il s'agit d'un modèle prépayé ou à autorisation systématique (c'est-à-dire sans découvert possible), ne tarissent pas. « Toutes les banques ont des offres à destination des jeunes, car c'est un moyen d'acquérir de nouveaux clients. Mais, il manque à ces offres une version digitale », pointe Julien Maldonato, associé industrie financière du cabinet Deloitte.

Un vrai paradoxe compte tenu de la connectivité de cette génération, souvent présentée comme « digital native ». Selon le Credoc, 83 % des 12-17 ans étaient ainsi équipés d'un smartphone en 2018, contre 81 % chez les 40-59 ans. Plusieurs Fintech, ces startups qui utilisent les technologies pour réinventer les services bancaires et financiers, se sont engouffrées dans cette brèche, bien décidées à gagner des parts d'un marché non négligeable. Selon le baromètre Kids & Teens' Mirror de l'institut Junior City, la population des 10-18 ans reçoit chaque année en France 1,1 milliard d'euros d'argent de poche, dont une part importante est encore versée en liquide. Revenus auxquels il faut ajouter ceux issus des premiers petits boulots comme les heures de baby-sitting par exemple. « En France, 5,5 millions d'adolescents âgés de plus de 12 ans détiennent un smartphone », souligne Diana Brondel, fondatrice de la néobanque pour ados Xaalys, après dix années passées à la Société Générale.

Xaalys, Pixpay et Kard

Cette startup, basée à Paris et Dakar, compte désormais deux autres concurrents tricolores : la société Pixpay, fondée par Caroline Menager aux côtés de Nicolas Klein et Benoît Grassin, deux des cofondateurs de la startup MonDocteur, rachetée en juillet dernier par son concurrent Doctolib et la jeune pousse Kard, créée par Scott Gordon, Amine Bounjou et Fabien Penso.

Xaalys et Pixpay ont développé une offre très similaire, qui s'articule autour de trois éléments : une carte de paiement à autorisation systématique, une appli mobile pour les ados et une autre « miroir » pour leurs parents. Les premiers peuvent créer des cagnottes pour financer leurs projets, les partager pour solliciter l'aide de leurs proches et se constituer une épargne de manière ludique. Les seconds peuvent alimenter la carte, la bloquer et la débloquer, définir des plafonds, décider où elle peut être utilisée et recevoir des notifications de suivi. Le tout pour environ 3 euros par mois et par enfant.

Quelques différences les distinguent cependant. Avec Xaalys, les ados peuvent disposer d'un véritable compte bancaire, avec un RIB, et non d'un simple porte-monnaie électronique comme le propose Pixpay qui, par ce biais, vise les mineurs dès 10 ans. L'appli Xaalys met aussi l'accent sur l'éducation financière avec une série de contenus pédagogiques quand Pixpay mise sur des fonctionnalités ludiques comme la possibilité de placer son argent dans un coffre-fort virtuel ou de se faire rémunérer des missions réalisées à la maison « pour apprendre la valeur de l'épargne et du travail », explique Caroline Menager.

De son côté, Kard, dont le lancement est prévu dans les semaines à venir, se distingue par son positionnement très large qui vise les jeunes âgés de 12 à 25 ans. «Un jeune de 12 ans n'a pas forcément les mêmes besoins qu'un jeune de 25 ans, reconnaît Scott Gordon. Mais ils se rejoignent car ils sont nés avec Internet, ont des modes de consommation similaires et sont en interactions permanentes avec leur communauté», argue l'entrepreneur, qui assure que Kard «est plus proche d'un Snapchat qu'une appli bancaire». Kard, qui, comme Xaalys, offre un véritable compte bancaire proposera dans un premier temps une offre gratuite, avant de développer des fonctionnalités premium.

Soutien des business angels

Les nouveaux entrants ne disposent pas non plus des mêmes moyens. Pixpay a officialisé une levée de fonds de 3,1 millions d'euros auprès de Global Founders Capital, le fonds de l'allemand Rocket Internet, et d'une dizaine de business angels, dont Hugues Le Bret, à l'origine de Nickel, Jean-Charles Samuelian, fondateur de l'assurance santé Alan, ou encore Alexandre Prot, aux manettes de la néobanque pour les PME Qonto. « Nous voulons être la Fintech européenne de référence pour les adolescents, affirme, ambitieuse, Caroline Menager. Nous visons 2 millions d'utilisateurs à l'horizon 2023. » Kard, quant à elle, vient de lever 3 millions d'euros auprès d'une série de business angels, dont  Xavier Niel (Kima Ventures), Francis Nappez (cofondateur de BlaBlaCar) et Jean-Pascal Beaufret (conseiller de Goldman Sachs et ex-directeur financier d'Alcatel-Lucent). Elle aussi a des ambitions européennes, mais ne communique pas sur le nombre d'utilisateurs qu'elle compte séduire. De son côté, Xaalys n'a levé que 450.000 euros et vise 10.000 utilisateurs d'ici à la fin de l'année, puis 40000 en 2020. C'est toutefois la seule startup tricolore dont l'application est d'ores et déjà disponible.

Une contre-offensive des banques à venir

Selon Julien Maldonato, il faut s'attendre à une « contre-offensive de la part des banques du fait de l'arrivée de ces nouveaux acteurs qui viennent chatouiller le marché traditionnel ». « D'ici 12 à 18 mois, nous allons assister à des rattrapages », prédit-il.

« Aujourd'hui, 30 % du produit net bancaire des banques [l'équivalent de leur chiffre d'affaires, ndlr] repose sur les commissions. Or, les 10-18 ans représentent une population de plus de 6,3 millions d'individus selon l'Insee. Il y a donc des rentrées d'argent à prendre. Cibler ce segment est un moyen pour les banques de continuer à faire du volume », estime-t-il.

Le Crédit Agricole, première banque de détail en France avec 21 millions de clients particuliers, admet ne pas avoir encore « d'offre spécifique digitale parents-enfants », mais précise être « en pleine réflexion sur le sujet ».

Certains acteurs n'ont toutefois pas attendu l'arrivée de ces Fintech pour cibler les ados. Boursorama (groupe Société Générale) a lancé, fin 2017, l'offre digitale Kador à destination des 12-17 ans. Gratuite, l'offre est toutefois réservée aux seuls enfants des clients de la banque en ligne. Même restriction pour Morning Jump, l'offre « jeune » du toulousain Morning, détenu par la banque Edel, filiale de E.Leclerc. Aucun des deux ne communique le nombre de clients ayant souscrit à ces offres.

Fidèle à sa politique d'inclusion bancaire, la néobanque Nickel, détenue par BNP Paribas et reposant sur un réseau de 4 800 buralistes, a lancé dès 2015 un produit accessible à tous les jeunes dès 12 ans. Cette offre, qui inclut une interface de contrôle parental, ne représente toutefois que 40000 des 1,2 million de comptes revendiqués par Nickel. « Nous n'avons pas mis en place de stratégie agressive sur le développement de cette cible », justifie Marie Degrand-Guillaud, directrice déléguée de l'entreprise.

Des compétiteurs européens et américains

De par leur positionnement affirmé et leur stratégie marketing mêlant réseaux sociaux et influenceurs, Xaalys, Pixpay et Kard pourraient tirer leur épingle du jeu, mais devront faire face à d'autres challengeurs européens. Au Royaume-Uni, l'appli Gohenry, dont s'est largement inspirée Pixpay, revendique 600000 utilisateurs et est désormais disponible aux États-Unis. Ses concurrents domestiques s'appellent Osper, Nimbl et Pennybox. Outre-Atlantique, les applis fleurissent aussi. Parmi elles : Current (200 000 utilisateurs en septembre dernier), Greenlight (100 000 utilisateurs en mars 2018) ou encore Step, dont le lancement est imminent.

« On peut supposer que l'adoption de ces portefeuilles virtuels pour adolescents soit poussée par les parents qui y verront une commodité intéressante pour gérer l'argent de leurs enfants à distance », estime Julien Maldonato. À moyen terme, ces offres digitales, qu'elles soient le fruit de startups ou des banques, pourraient même devenir incontournables dans une société où les paiements liquides sont de moins en moins courants.

Des mineurs aux droits bancaires très encadrés

Les parents peuvent ouvrir un livret A ou un compte bancaire à la naissance de leur enfant, à son nom. Il pourra en disposer dès l'âge de 12 ans.À 12 ans, les mineurs ont le droit d'utiliser une carte de retrait et de paiement, à condition qu'il s'agisse d'une carte prépayée ou à autorisation systématique (c'est-à-dire sans découvert possible). Elle peut être reliée au compte bancaire de l'enfant ou de ses parents. À 16 ans, le mineur acquiert une certaine autonomie financière. Il peut ouvrir un compte bancaire à son nom, avec l'autorisation de ses parents, et utiliser différents moyens de paiement (carte bancaire et chéquier). Ses parents restent responsables de ses dettes jusqu'à sa majorité.

Juliette Raynal

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Commentaire 1
à écrit le 23/05/2019 à 10:12
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Ben elles feraient mieux de prendre un peu de recul ces banques parce que si elles veulent que les ados continuent d’être client il serait peut-être temps de leur trouver un boulot au lieu d'imposer dumping social et fiscal qui ne font que paupériser...

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