Qui est Antin, le fonds qui peut encore jouer un rôle clef dans le dossier Suez-Veolia ?

Premier fonds d'infrastructure français, avec 15 milliards d'euros d'actifs, Antin Infrastructure Partners s'intéresse de près au dossier Suez-Veolia. Sa vision : entrer au capital d'une entreprise pour mettre en place une stratégie de développement permettant d'augmenter significativement sa rentabilité. Puis la revendre au bout de quelques années.
Juliette Raynal
Alain Rauscher a fondé Antin Infrastructure Partners en 2007 après avoir quitté BNP Paribas où il dirigeait le département gaz, pétrole et mines. Ce normalien, passionné de philosophie, est aussi passé par Bain & Company, Lehman Brothers et Lazard.
Alain Rauscher a fondé Antin Infrastructure Partners en 2007 après avoir quitté BNP Paribas où il dirigeait le département gaz, pétrole et mines. Ce normalien, passionné de philosophie, est aussi passé par Bain & Company, Lehman Brothers et Lazard. (Crédits : DR)

[MAJ] Article publié initialement le 25/09/20 à 9h30 et mis à jour à 17h10

La semaine dernière, le fonds d'investissement Antin Infrastructure Partners s'est invité dans le feuilleton industriel, financier et politique de la rentrée qui oppose Suez et Veolia. Le 14 septembre, le fonds dirigé par Alain Rauscher a affirmé disposer de moyens financiers suffisants pour jouer éventuellement un rôle de premier plan dans ce dossier. Il avait été approché pour réunir les quelque 3 milliards d'euros nécessaires au rachat des 32% du capital de Suez mis en vente par Engie.

L'énième rebondissement de cette saga, avec l'annonce surprise du placement des activités Eau France de Suez sous la protection d'une fondation, n'écarte pas totalement de la scène ce nouveau protagoniste. Si, en l'état, Antin s'est retiré des négociations avec Suez, comme l'ont rapporté nos confrères de BFM Business (le fonds ne souhaitant pas se contenter d'un seul siège au conseil d'administration de Suez, trop peu pour influencer la stratégie de l'entreprise), l'histoire n'est pas finie et l'évolution du dossier pourrait peut-être changer la donne.

Un acteur discret mais puissant

Antin est donc potentiellement toujours dans la course, même si son fondateur et dirigeant cultive le secret et refuse encore de s'exprimer sur le dossier. Créé en pleine crise financière, après qu'Alain Rauscher ait démissionné de son poste de responsable du secteur énergies chez BNP Paribas Corporate Finance en 2007, Antin Infrastructure Partners est longtemps resté un acteur très discret et beaucoup moins médiatisé que ses principaux concurrents tricolores : Ardian, société de gestion née dans le giron d'Axa et présidée par Dominique Senequier, et Meridiam, l'une des premières entreprises à avoir adopté le statut d'entreprise à mission et dirigé par Thierry Déau, un ancien de la Caisse des Dépôts.

Pourtant Antin est aujourd'hui le premier fonds d'infrastructure français en affichant près de 15 milliards d'euros d'actifs, et se hisse à la deuxième place du classement européen derrière le suédois EQT (qui détient La Saur, le numéro trois des réseaux d'eau en France.) Il y a deux mois, à peine, il a levé un fonds record de 6,5 milliards d'euros.

Des crèches au pipeline

Les fonds d'infrastructure se sont développés il y a une quinzaine d'années seulement en France. Comme un fonds de capital-investissement classique, un fonds d'infrastructure investit traditionnellement dans des sociétés non cotées et qui opèrent justement des infrastructures. Les quatre grands sous secteurs ciblés sont : l'énergie et l'environnement, les transports, les télécoms et la santé et le social. Antin, qui a réalisé 24 investissements depuis sa création, a ainsi acheté pêle-mêle : port, autoroute, réseau de chaleur, hôpital psychiatrique, résidence pour autistes, crèches, mais aussi pipeline, aire de stationnement ou encore tours télécoms, en particulier celles de Bouygues Telecom, revendues quelques années plus tard au leader mondial American Tower.

Derrière ces actifs très variés, plusieurs caractéristiques communes : une plus forte résilience aux cycles économiques, des secteurs très régulés, de très fortes barrières à l'entrée ainsi que des flux de trésorerie et des résultats prévisibles avec des fluctuations modérées. Ce profil de risque atypique rend cette classe d'actifs très attractive auprès des investisseurs institutionnels, comme les assureurs, les fonds de pension ou encore les fonds souverains. Quelque 140 investisseurs ont ainsi participé à la dernière levée de fonds d'Antin, dont 40% de non-européens. Cette ouverture à l'international n'est pas isolée. Sur les 15,6 milliards d'euros levés par les fonds d'infrastructure français en 2019, plus des deux tiers l'ont été auprès d'investisseurs étrangers.

"Une réflexion permanente : préparer la cession"

Alors que Thierry Déau, le patron de Meridiam, défend un modèle de fonds d'infrastructure de long terme, avec des investissements sur 25, voire 50 ans et un revenu récurrent de l'ordre de 3 à 5%, la position d'Alain Rauscher est toute autre. Les fonds d'Antin sortent généralement au bout de quelques années seulement et son premier fonds a dégagé un taux de rendement interne brut de 24%. Une logique bien plus courtermiste donc et proche du capital-investissement classique.

Dans un entretien accordé en 2014 au Magazine des Affaires, ce normalien qui, étudiant, rêvait de devenir professeur de philosophie à la Sorbonne, explique avoir "une réflexion permanente : préparer la cession". Dans une autre interview, accordée en 2018 à la web radio Transistor (dont une émission est consacrée aux anciens normaliens), le dirigeant (parfois surnommé "le professeur" par ses collègues en référence au grand tableau blanc qui règne dans son bureau), explique sa vision du métier : entrer à 100% au capital d'une entreprise pour mettre en place une stratégie de développement permettant d'augmenter significativement sa rentabilité. Pas question de faire table rase du management en place, mais "il faut des gens ambitieux, agressifs, qui sont prêts à prendre des risques pour mener une croissance importante", explique-t-il. "La création de richesse, précise-t-il toutefois, ne se fait pas par des licenciements massifs, mais par des projets de croissance".

Un premier investissement dans l'eau

Aux Echos, il expliquait récemment, vouloir mettre l'accent sur les investissements dans la santé et le social ainsi que dans les infrastructures télécoms, la crise ayant mis en exergue leur rôle majeur. Principal investisseur européen dans la fibre, Antin Infrastructure Partners est déjà au capital d'Eurofiber, de Cityfibre et de FirstLight Fiber.

Si elle ne semblait pas faire partie de sa feuille de route, l'opportunité du dossier Suez, lui permettrait de se renforcer sur le marché de l'eau. Un terrain sur lequel le fonds basé à Paris (avec également des bureaux à Londres, Luxembourg et New York) a avancé ses premiers pions très récemment. Le 10 septembre dernier, il annonçait une prise de participation majoritaire dans le groupe Miya, plus grand opérateur privé du secteur de l'eau au Portugal. Par ailleurs, tous les secteurs dans lesquels opère Suez sont des secteurs éligibles à l'investissement en infrastructure, souligne un expert du marché.

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Les chiffres clefs

  • Près de 15 milliards d'euros d'actifs
  • 4 fonds, dont un de 6,5 milliards
  • 24 investissements
  • Une centaine de collaborateurs dans quatre pays
Juliette Raynal

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Commentaires 2
à écrit le 26/09/2020 à 14:58
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Un jeune loup aux dents longues, intelligent, fort, agile. Il nous en faut plus des comme ça. Et il faudrait qu'ils prennent en charge la SNCF, et tout le secteur public (hôpitaux compris). Tout ça a besoin d'être rajeuni et dépoussiéré. Réveillo...

à écrit le 25/09/2020 à 14:52
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Il faut pour cela que ce fond ait une vision de LT, à l'image d'un fond de pension, misant totalement sur l'innovation en partenariat avec des start-up du secteur, pour rendre les services de l'ex Suez Eau particulièrement attractifs ds ses compétiti...

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