L'innovation logistique au secours des villes durables

Menacé par les futures réglementations locales, le secteur du transport et de la logistique invente des solutions de livraison et de stockage pour rendre les villes plus durables et respirables.
Aussi innovants soient-ils, les nouveaux moyens de transport de marchandises réclament l'élaboration de nouveaux modèles économiques afin d'amortir les coûts d'investissement. (Photo: un barge affrétée par Franprix pour transporter ses marchandises dans la capitale en polluant moins - septembre 2014)

Sous la pression des futures réglementations locales, le transport de marchandises est appelé à faire évoluer ses moyens de livraison et son organisation logistique. En effet, la loi Transition énergétique pour la croissance verte autorise les collectivités à instaurer des zones à circulation restreintes (ZCR) aux véhicules les plus polluants et à encourager le recours à des engins moins émissifs. En prévision de ces réglementations, certains opérateurs de transport prennent un temps d'avance.

C'est le cas du transporteur DHL Express qui dispose déjà d'une vingtaine de véhicules verts. Premier à avoir introduit les triporteurs pour livrer les colis en ville, l'expressiste expérimente un véhicule utilitaire Renault Kangoo ZE embarquant une pile à combustible à hydrogène de 5 kW. La technologie fournie par le grenoblois Symbio Fcell sert de prolongateur d'énergie à la batterie électrique. Grâce à ce bouquet énergétique, l'autonomie du véhicule passe de 120 km à plus de 300 km.

"Cette expérimentation a démarré en mars dernier pour une durée de dix-huit mois à Lyon, ville qui dispose d'une station de distribution d'hydrogène pour ravitailler ce véhicule", indique Michel Akavi, PDG de DHL Express France.

Le stockage au plus près des destinataires

L'implication des villes est d'ailleurs stratégique pour aider la profession à adopter de nouveaux moyens ou de nouvelles organisations. Paris en a pris la mesure en lançant le programme d'expérimentation « logistique urbaine durable ». Pas moins de 22 projets portés par des transporteurs, des industriels ou des entreprises de services vont être déployés pour une durée de trois à douze mois.

Un quart de ces expérimentations porteront sur la création d'espaces de stockage au plus près des destinataires. Ce qui évitera aux livreurs de faire de multiples arrêts.

C'est d'ailleurs l'argument invoqué par Inpost France, filiale du groupe polonais éponyme qui opère 7.000 espaces de consignes automatisées. Appelés aussi Abricolis, ces derniers sont destinés au commerce en ligne. Lorsqu'un colis est déposé dans un casier, le destinataire reçoit par SMS un QR code qui lui servira de sésame pour ouvrir la consigne. La France, qui enregistre déjà 200 Abricolis, devrait en compter 500 d'ici à la fin de cette année.

Exploiter davantage les voies fluviales

L'idée de créer des zones de stockage en centre-ville inspire aussi UPS. L'expressiste s'engage à acheminer par camion jusqu'à une aire de livraison une plateforme mobile. Il s'agit d'une remorque abritant des colis prêts à être livrés par des opérateurs d'UPS circulant à vélo ou à pied.

« Ce concept a déjà séduit Hambourg et Cologne, mais il génère un surcoût de livraison qui nous oblige à chercher de nouveaux gains de productivité », rapporte Édouard Barreiro, directeur des affaires publiques à UPS.

Encore plus inventif, Libner, un carrossier basé à Saint-Maixent-l'École (Deux-Sèvres) a imaginé un poids lourd baptisé BIL (base intelligente de logistique) qui embarque à la fois des marchandises et un engin électrique. Ce dernier est conçu pour livrer jusqu'à 800 kg de marchandises dans les zones à circulation restreinte. Il dispose à cet effet d'une autonomie de 120 km, rechargeable en trois heures. Le camion séduit : « Plusieurs précommandes ont déjà été signées auprès de France Boissons », indique Christophe Troubat, directeur associé au cabinet Design Way, chargé du design et de la commercialisation du BIL.

Pour désengorger les rues de la présence de poids lourds et limiter les émissions polluantes, pourquoi ne pas exploiter davantage les voies fluviales ? Des armateurs y travaillent. À commencer par le belge Blue Line Logistics. Cette PME expérimentera sur la Seine sa plateforme logistique fluviale, nommée Zulu. À la différence des traditionnelles péniches de type Freycinet, cette dernière est conçue pour accueillir jusqu'à 300 tonnes de marchandises en palettes ou en conteneurs souples

« Notre barge nécessite très peu d'infrastructures portuaires grâce à sa grue qui facilite la manutention », explique Antoon Van Coillie, un des codirigeants de Blue Line Logistics.

galement organisateur de transport, cet armateur belge dispose de deux unités. En 2015, il a signé ses premiers contrats avec des producteurs de matériaux et de boissons. Et il prévoit de construire en 2016 deux barges destinées aux besoins des Parisiens.

Emprunter la voie fluviale pour éviter les embouteillages et réduire son incidence écologique suscite aussi l'adhésion de Steelcase, chef de file mondial de l'aménagement des espaces de travail (3 milliards de dollars de chiffre d'affaires et 10.000 collaborateurs).

« Nous avons conçu un conteneur multimodal en acier qui voyagera en péniche jusqu'au plus près de son point de livraison, avant d'être déchargé par camion », déclare le chef de projet, Yann de Pontbriand.

D'une capacité de 20 mètres cubes, ce conteneur est aisément manoeuvrable par un engin de levage mais surtout il est aussi pliable, une fois libéré de sa cargaison. « Nous comptons commencer nos premières livraisons à Paris en 2016 », indique le chef de projet.

De 30 à 60 véhicules de livraison voyageant par navette fluviale

L'intérêt des industriels pour le fret fluvial confortera sûrement la Compagnie fluviale de transport (CFT). Cet armateur parisien a planché, pour sa part, sur un concept de bateau appelé Distri-Seine, qui embarquera de 30 à 60 véhicules de livraison, avec leur chargement. Ces derniers seront rangés en rangs d'oignons sur deux niveaux, grâce à 15 ascenseurs aménagés dans la cale. Le navire, breveté par CFT, dispose d'une double motorisation. Il fonctionne au diesel hors agglomération et passe à l'électricité quand il achemine en ville les véhicules au plus près de leur lieu de livraison. « Autre particularité, notre bateau ne nécessite pas d'infrastructures portuaires ou d'engins de manutention », fait valoir Ferenc Szilágyi, le chef de projet qui présentera en décembre prochain, à l'occasion de la COP21, un premier prototype doté de deux ascenseurs.

Aussi innovants soient-ils, ces moyens de transport réclament l'élaboration de nouveaux modèles économiques afin d'amortir les coûts d'investissement. Une étape essentielle pour dépasser le cap de l'expérimentation.

Dans ce contexte, il est indispensable que les élus donnent une visibilité sur les réglementations qu'ils comptent mettre en place d'ici cinq à sept ans.

« Il faudrait, par exemple, que les véhicules de livraison les moins polluants puissent livrer les colis lorsqu'il n'y a pas d'embouteillages en ville », suggère Philippe Deysine, délégué général du pôle de compétitivité logistique Novalog.

Pour ce dernier, l'innovation touche aussi les contenants qui sont appelés à se standardiser afin d'optimiser le remplissage des véhicules. Autre révolution attendue, celle des outils numériques qui vont contribuer à fluidifier et mutualiser les opérations de ramassage ou de livraison. Comme cette application développée par Instafret, qui connecte en temps réel un expéditeur francilien avec un transporteur, afin de limiter les répercussions écologiques de la livraison.


[ ENCADRÉ ]

L'enlèvement des colis pour... 1 euro !

Le ramassage des colis auprès des expéditeurs est aussi touché par cette évolution. Témoin, Cubyn, une PME de 11 personnes, qui se positionne sur la logistique dite du premier kilomètre - et non pas du dernier! - en proposant aux commerçants en ligne et autres expéditeurs un service tout-en-un.

« Moins de trois heures après avoir reçu la demande, nous collectons les produits, les emballons et les remettons au transporteur pour 1 euro seulement, hors le coût d'acheminement », résume Adrien Fernandez Baca, le PDG et fondateur de la startup.

L'entreprise travaille avec un réseau de coursiers qui disposent de son application.

"Résultat, lorsqu'une commande arrive, elle est attribuée au professionnel le plus proche", explique le dirigeant qui, après Paris et sa banlieue, cible plusieurs autres grandes villes.

(E. K.)

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