Le changement climatique, un double enjeu d'avenir pour les villes portuaires

Les ports doivent à la fois anticiper les conséquences du changement climatique, en protégeant les villes et régions proches, et contribuer à la lutte contre ce changement. par Philippe Matthis, Directeur général du Port de Bruxelles, Président de l'AIVP
Les grands ports -ici Hambourg- se préparent à une érosion de leurs recettes, et à une reconversion dans une nouvelle logique de développement durable

A l'occasion de la prochaine COP 21 à Paris, il est essentiel de rappeler quels en sont les enjeux pour les villes portuaires réunies au sein de l'AIVP, le réseau mondial des villes portuaires.

Les villes portuaires sont naturellement particulièrement concernées par le changement climatique et expriment régulièrement et fortement depuis plusieurs années leurs inquiétudes à l'occasion des travaux internationaux organisés par l'AIVP. Ce sujet avait été mis à l'ordre du jour de notre conférence mondiale de Buenos Aires dès 2010.

Élévation du niveau des mers, phénomènes climatiques extrêmes

L'élévation déjà sensible du niveau des mers autant que l'augmentation en nombre et en intensité des phénomènes climatiques extrêmes constatés ces dernières années sont à l'évidence un sujet de préoccupation majeur pour les acteurs du développement urbain autant que pour leurs partenaires du monde économique et portuaire alors même qu'ils n'en appréhendent pas encore toujours clairement et concrètement les conséquences possibles. A l'évidence, l'une des grandes difficultés de ce dossier est de parvenir à faire coïncider le «temps géologique» propre au phénomène avec le temps « politique » urbain et portuaire ! Pas facile d'engager des financements publics sur un phénomène aujourd'hui peu ou pas du tout perceptible localement et prévu pour s'étendre sur des décennies voire des siècles, alors que les dossiers chauds économiques et sociaux se multiplient. Difficile d'engager des actions de préventions coûteuses alors même que des incertitudes fortes demeurent sur l'intensité du phénomène et sur ses effets attendus sur les espaces littoraux.

Un moment clé

Le premier enjeu pour les villes portuaires est pourtant de parvenir à anticiper les conséquences de ce changement climatique. A cet égard, la COP 21 est une formidable opportunité d'échanges internationaux sur les stratégies à adopter pour développer les stratégies de résilience de nos villes et régions portuaires. Il s'agit d'un moment clé pour la prise de conscience par de nombreux acteurs du développement local qu'il est temps d'agir et qui plus est, qu'il est temps de le faire en étroite collaboration entre partenaires locaux. Un développement local que nous voulons qualifier de durable ne pourra se faire que si les collectivités locales et les acteurs portuaires et économiques élaborent ensemble une stratégie commune.

Surélever les infrastructures existantes?

Faut-il d'ores et déjà penser à surélever les infrastructures existantes pour protéger à la fois la ville et le port comme le préconisent des experts de l'Université de Berkeley en Californie que nous avons fait travailler sur la question ? Doit-on anticiper comme l'a fait Rotterdam en surélevant de 2 mètres la nouvelle zone portuaire de Maasvlakte gagnée sur la mer ? Comment limiter les effets des crues, des ouragans et autres cyclones (souvenons-nous de Katrina et de Sandy submergeant La Nouvelle Orléans et New York !) et améliorer la résilience de régions littorales toujours plus fortement urbanisées ?

Tout le travail d'une association comme l'AIVP sur ce sujet consiste à diffuser auprès des acteurs locaux des messages d'alertes. Des experts interviennent régulièrement sur le sujet pour faire le point sur les évolutions de la situation. Nous cherchons également à valoriser des expériences innovantes qui participent à la mise en œuvre de projets ville-port durables incluant cette dimension « climat ». N'oublions pas par ailleurs que l'AIVP est une organisation internationale et nous devons prendre en considération la grande diversité des situations techniques et financières selon les pays. Une fois encore, les Pays du Sud les plus pauvres sont aussi les plus exposés aux risques. Un effort de solidarité internationale s'impose donc. Beaucoup de ces pays maritimes du Sud participent à nos travaux et il est aussi de notre responsabilité associative de favoriser dans la mesure de nos moyens leur accès aux connaissances et aux expériences pour les aider à mettre en œuvre leur propre stratégie.

Anticiper les conséquences du réchauffement, participer à le limiter

Si anticiper les conséquences du réchauffement est indispensable pour les villes portuaires, participer activement à le limiter sous cette désormais fameuse barre des 2° reprise comme objectif international est un devoir. Partout les initiatives se multiplient et c'est dans cette dynamique que je vois un deuxième enjeu pour l'avenir de nos villes portuaires face au changement climatique.

Une formidable opportunité de reconversion pour les ports

La lutte contre les GES suppose la disparition progressive des énergies fossiles : pétrole, gaz et charbon qui ont eu une importance considérable pour l'économie de nombreuses villes portuaires depuis le milieu du siècle dernier. Ce changement de paradigme industriel global, impacte déjà de nombreux établissements portuaires qui anticipent une réduction progressive des volumes transportés et donc des recettes portuaires et des emplois. D'Hambourg à Marseille, de Durban à Sydney, c'est le cas de la plupart des grandes places portuaires du monde. Les grandes zones industrialo-portuaires des années 60-70 liées à ces trafics devront évoluer et le territoire régional en sera fortement impacté.

La révolution énergétique en marche pose de multiples problèmes industrialo-portuaires locaux mais c'est aussi une formidable opportunité de reconversion pour nos villes portuaires dans une nouvelle logique de développement durable. Nous suivons avec attention à l'AIVP le développement des nouvelles filières dans les énergies marines renouvelables (EMR), l'éolien off shore mais aussi les hydroliennes, l'énergie des vagues etc. Des villes portuaires comme Esbjerg au Danemark, Bremerhaven en Allemagne ou plus récemment comme Nantes - Saint Nazaire en France ont fait ce pari de se positionner sur ce marché.

EMR, hydrogène, ces nouvelles filières énergétiques qui se mettent en place aujourd'hui créent de nouveaux emplois directs et indirects et donc de la richesse pour nos villes portuaires. De par leur situation littorale ou fluviale, de par leurs infrastructures existantes et de par leurs compétences, les villes portuaires sont particulièrement bien armées pour accueillir ces nouveaux développements industriels. Une condition toutefois est à respecter : celle de l'élaboration de stratégie commune entre les collectivités, les ports et les industriels concernés.

Restauration des milieux naturels, nouveaux espaces de loisir

La lutte contre les GES peut aussi prendre des chemins qui s'avèrent particulièrement intéressants pour le développement de nouveaux liens ville-port. La restauration de milieux naturels littoraux ou fluviaux permet d'atténuer les effets des crues et submersions marines. C'est aussi l'opportunité de redonner aux citoyens de nouveaux espaces de loisirs comme l'ont fait par exemple Toronto au Canada, Nimègue au Pays-Bas et bientôt New York. Dans les régions tropicales, des mangroves sont protégées et replantées. Naturellement, le changement dans les modes de propulsion des navires et le développement des postes à quai alimentés par réseau électrique éliminent une partie importante des nuisances et favorisent les implantations urbaines avec « vues sur le port ». Comme à Stockholm, Vancouver ou Los Angeles, la relation ville port en sera pacifiée.

Les collaborations entre acteurs industriels sur les territoires portuaires se multiplient. Le port de Göteborg en Suède, par exemple, annonce pour cette année être « neutre en carbone » en ayant recours aux énergies renouvelables et en ayant fortement réduit par ailleurs ses émissions. Partout les projets d'économie circulaire se mettent en place autour du port qui devient le catalyseur privilégié des initiatives. Dans ce contexte, le projet de plan régional d'économie circulaire en cours d'élaboration à Bruxelles pourrait bientôt avoir valeur d'exemple.

Des réseaux de chaleur

Logements et équipements publics bénéficient aussi des réseaux de chaleur issus des activités industrialo-portuaires. Amsterdam, Marseille, San Francisco... partout les initiatives se multiplient et nous suivons naturellement avec le plus grand intérêt ces évolutions. Lutter contre les GES devient aussi pour nos villes portuaires une formidable occasion de penser autrement leur territoire ville-port. Je veux aussi voir dans ces nouveaux défis une opportunité de travailler différemment entre tous les acteurs de la ville portuaire pour le bien de la communauté locale autant que pour notre grande communauté globale. Innovons et échangeons nos expériences, l'AIVP est fière de pouvoir participer à ce défi.

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