Transition énergétique : pour encourager l'investissement privé, "les organisations internationales doivent montrer la voie"

[ INTERVIEW ] Incontournable dans la lutte contre le changement climatique, notamment dans les pays en voie de développement, l'apport du secteur privé doit toutefois être inspiré et soutenu. Stephanie Miller, directrice du département Europe occidentale à l'International Finance Corporation - qui vient de signer un partenariat avec Bouygues Bâtiment International -, explique comment.
Giulietta Gamberini
Stephanie Miller dirigeait auparavant le département Changement climatique de la Banque mondiale.

D'un côté, l'IFC (International Finance Corporation), le membre de la Banque mondiale spécialisé dans l'aide au développement via le secteur privé. De l'autre, la filiale bâtiment du groupe industriel français Bouygues, BBI (Bouygues Bâtiment International). Un partenariat inédit vient d'unir ces deux géants, sous le signe de la lutte contre le changement climatique et dans le sillon de la COP 21.

Le leader de la construction s'engage à "verdir" ses prochains projets dans les marchés émergents, en appliquant des standards de durabilité développés et testés par l'IFC. Pendant la prochaine année, au moins cinq projets devraient être ainsi certifiés, et leur volume devrait atteindre 80% du total dans les pays émergents avant 2020. Stephanie Miller, directrice du département Europe occidentale à l'IFC, qui a signé le contrat, y voit l'opportunité de séduire d'autres partenaires afin de réduire l'impact du bâtiment sur les émissions des gaz à effet de serre.

LA TRIBUNE - A quels enjeux répond ce partenariat?

STEPHANIE MILLER - Le secteur de la construction joue un rôle central dans nos politiques de développement durable et de lutte contre le changement climatique. 18% des émissions mondiales de gaz à effet de serre sont imputables aux bâtiments, part d'ailleurs destinée à croître en parallèle avec le processus d'urbanisation. Cela signifie toutefois aussi que ce secteur peut de plus en plus contribuer aux solutions, et avec des effets à long terme puisque, si une grosse partie des villes du futur n'existe pas encore, une fois construits les bâtiments seront là pour des décennies.

Comment est-il né?

L'IFC a élaboré des standards pour des constructions durables, dits Edge (Excellence in Design for Greater Efficiencies), que nous avons d'abord appliqués à nos propres projets. Nous avons ensuite commencé à les partager avec des institutions financières, divers gouvernements, des municipalités, ainsi qu'avec d'autres organisations avec des missions proches de la nôtre: Proparco en France, le CDC Group au Royaume Uni, FMO aux Pays-Bas. La conclusion d'un partenariat avec une entreprise s'engageant à appliquer ces standards à ses propres projets est l'étape ultime de ce processus, et Bouygues Bâtiment International (BBI, filiale de Bouygues Construction) la première entreprise à signer. L'objectif est de tester les Edge à grande échelle, voire de les améliorer grâce à l'apport des équipes de Bouygues, et d'entraîner grâce à cet exemple d'autres partenaires dans l'aventure: nous avons inventé l'outil, mais souhaitons le partager. En avril, nous avons d'ailleurs conclu un deuxième partenariat avec la multinationale d'architecture américaine HOK.

Pourquoi Bouygues comme premier partenaire?

Bouygues, avec qui nous travaillons régulièrement, avait déjà été amené à utiliser l'outil Edge sur un certain nombre de projets, et dialogue avec nous depuis des années. Le groupe a également ses propres politiques de développement durable et a manifesté la volonté de s'engager davantage dans cette voie à l'occasion de la COP 21. A travers ce partenariat il affiche des objectifs très concrets, quantitatifs et mesurables.

Qu'est-ce que garantit la certification Edge?

L'application de ces critères assure une économie de ressources de 20% par rapport aux standards locaux dans trois domaines: l'eau, l'énergie et les matériaux utilisés. 
Pour les architectes, ingénieurs et constructeurs qui travaillent sur un projet, ils constituent autant des objectifs que des outils. Certes, d'autres standards de très bonne qualité existent... mais pour beaucoup de nos clients travaillant dans des pays émergents ou en voie de développement ils se sont révélés être trop complexes et donc chers à mettre en place, puisqu'ils nécessitent un important accompagnement. Notre objectif a en revanche été de simplifier le plus possible, sans pourtant baisser en qualité.

On n'arrête pas de le répéter, l'investissement privé est fondamental pour réaliser la transition énergétique. Que peuvent faire les organisations internationales pour lever les freins?

Montrer la voie, en testant de nouveaux instruments financiers, mais aussi en montrant le potentiel de marché de nouvelles solutions techniques qui favorisent la transition énergétique. Lorsque les projets manquent, il faut toutefois aussi aller au-delà de cette dimension d'impulsion: préparer le marché, en intervenant au niveau législatif d'abord, puis en accompagnant les projets pour les rendre intéressants pour les investisseurs. Afin d'accroître notre impact, nous avons récemment embrassé cette nouvelle démarche. Notre projet Scaling solar, visant à accompagner les gouvernements intéressés dans la mise en place d'appels à projets dans le solaire, en est une illustration. Il a contribué à l'essor d'un marché viable au Zambia.

Vous soumettez aussi vos projets à des critères de développement durable. Qu'est-ce qu'ils apportent à vos partenaires?

Nous appliquons à nos projets de tels critères, rigoureux, depuis des années désormais. Si beaucoup de grosses sociétés internationales ont des équivalents en interne, ils sont souvent une nouveauté pour les plus petites entreprises locales, notamment dans les secteurs les moins directement concernés. Nous les aidons à atteindre nos standards tout au long du projet, et ce soutien est beaucoup apprécié: 90% des clients que nous avons assistés sur des questions environnementales ou sociales affirment que nous les avons ainsi aidés à améliorer leurs relations avec leurs investisseurs et les communautés locales, à renforcer leur réputation et la valeur de leur marque et à établir des pratiques saines de gestion des risques. Quand ils les appliquent concrètement, ils découvrent par ailleurs que les économies de ressources ainsi engendrées sont plutôt rentables.

Propos recueillis par Giulietta Gamberini

Giulietta Gamberini

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Commentaires 2
à écrit le 10/06/2016 à 2:35
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Quand on voit que les sicav type Mirova ont des parts de 50.000 à 100.000 euros donc très peu accessibles aux particuliers et que le Financement participatif dans les énergies renouvelables etc n'a que très peu d'avantages fiscaux voire pas du tout, ...

à écrit le 09/06/2016 à 23:56
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Il est clair qu'il faut abattre encore plus d'arbres pour produire encore plus de billets ! Seuls les milliardaires sont écolos et filantropes!

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