Le design : un précieux levier de croissance

Longtemps perçu comme superflu, voire luxueux, le design est enfin reconnu pour ce qu'il a toujours été : une valeur ajoutée au service de la compétitivité des entreprises.
Le design des produits Apple est une force pour faire aboutir l'acte d'achat. / Reuters

S'il est de plus en plus plébiscité par les acteurs économiques et les pouvoirs publics, c'est que le design est créateur de valeur et de croissance. Pourtant, il peine encore à pénétrer les PME-PMI. Pourquoi ? En France, le design est encore trop souvent perçu comme un simple style, alors qu'en Italie, en Grande-Bretagne ou dans les pays nordiques, il est considéré comme un maillon essentiel de la chaîne prospective des entreprises.

Mais au fait, c'est quoi le design ? Car de nos jours, tout est design et le design est partout ; on parle de design industriel, mobilier, graphique, textile, de services, d'espaces publiques, hospitalier, culinaire, sonore, lumière, etc. La liste pourrait s'agrandir à l'envi. À mi-chemin entre un ingénieur et un artiste, le designer reste avant tout un créatif au service de la fonction et de la finalité d'un projet.

C'est un « écoutant » hors pair, doté d'un bon sens pratique et stratégique ; un médiateur qui sait faire le lien entre les différentes équipes d'une entreprise, où il intervient de l'amont à l'aval d'un projet. Son trait final, la touche qui fera que l'on reconnaîtra son style in fine, lui confère une dimension artistique nécessaire à la valeur esthétique d'une réalisation.

Ajouté à la dimension technologique, le résultat collaboratif du design sur l'entreprise apportera la différenciation indispensable à toute forme compétitive d'un projet. Innovation et design forment l'union sacrée de tout succès entrepreneurial.

Les PME souffrent d'un déficit de compréhension

Exemple phare et didactique : Apple. À quoi tient la réussite des Mac, iPad et autres iPhone, si ce n'est à la performance de leur technologie alliée à celle du design de leur forme et de leurs applications qui rend leur utilisation intuitive et donc ultra-facile.

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Autre exemple, tout aussi proche de notre quotidien : le stylo Bic Cristal, qui marque l'apogée domestique du plastique dans les années 1950 et qui permet la démocratisation du stylo à encre. Encore aujourd'hui, c'est le stylo le plus vendu dans le monde.

À chaque nouvelle technologie correspond une nouvelle forme sur laquelle ingénieurs, designers et autres spécialistes travaillent de concert ; le designer se révélant parfois un chef d'orchestre hors pair.

Pierre-Yves Panis, directeur design et user experience chez Orange, a l'habitude de dire que « le design est une fonction comme une autre dans l'entreprise. Il a la capacité à amener de l'observation et à comprendre le potentiel d'une marque ainsi que les attentes des usagers, et d'utiliser l'ensemble des outils de production à bon escient ».

Mais, si les grands groupes industriels ont compris depuis longtemps la valeur ajoutée du design (les secteurs automobile, transport, grande distribution, les industries du luxe ont tous un département design intégré), les PME-PMI souffrent d'un important déficit de compréhension du design.

Bien souvent, parler design au gré d'une conversation entre non-initiés revient à parler de Starck sans trop savoir que lui aussi surfe sur la transversalité des secteurs en créant des bateaux, des brosses à dents, des chaises, des motos, des voitures, des bouteilles, des hôtels, des éoliennes, des chaussures, etc. Et si finalement le maître du design est plus connu pour ses excentricités et ses provocations, il est sans aucun doute celui qui a réussi à démocratiser le design dans le quotidien des consommateurs en prouvant que le beau n'était pas forcément cher ; en tous les cas, pas systématiquement.

Un pays d'ingénieurs, plus que de designers

Reste qu'aujourd'hui, la confusion des genres perdure dans les esprits des dirigeants d'entreprise qui assimilent bien souvent le designer à une star ingérable plutôt qu'à un créatif à forte valeur ajoutée.

« En France, il y a un besoin urgent d'éduquer les entreprises au design », souligne Pierre-Yves Panis qui, accompagné de directeurs design intégrés comme Gilles Rougon chez EDF, Philippe Picaud, chez Carrefour, Anne Asensio chez Dassault Systèmes, et François Lenfant chez GE Healthcare, a créé, il y a un an et demi, le collectif « designcode », qui vise à promouvoir la création de valeur par le design pour l'entreprise, et plus directement le design management.

Tous sont membres du collège des designers de la Mission design, mise en place en juillet 2013 par le ministère du Redressement productif et le ministère de la Culture. Une mission qui a la lourde tâche de rattraper le retard avéré en France.

Son responsable, Alain Cadix (ancien directeur de l'une des plus prestigieuses écoles de design, l'École nationale supérieure de la création industrielle, l'Ensci-Les ateliers), travaille depuis longtemps au renforcement des liens entre entrepreneurs et designers :

« En France, le retard reflète une dimension culturelle profonde ; nous sommes plus un pays d'ingénieurs que de designers. Or, les deux doivent travailler ensemble. Dès lors que l'objet, le service, la machine, le système sont conçus pour un usager, un utilisateur, un consommateur, dès lors qu'il y a un homme dans la boucle, le designer doit intervenir. »

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La poussette pour enfants handicapés, Jetti, labélisée Étoile de l'Observeur en 2011. C'est grâce au design que son concepteur, la PME Cintrafil, a pu diversifier son activité.

Le design éligible au crédit d'impôt innovation

Plusieurs actions ont déjà été menées par la Mission design ; elles ont été présentées lors d'un rapport en octobre 2013. Parmi les plus notables, l'éligibilité des dépenses de design dans le crédit d'impôt innovation qui permet au design d'être enfin reconnu comme un levier de croissance par le ministère de l'Économie.

Puis, la dotation financière faite à BPI France pour que le financement de l'innovation ne soit pas systématiquement technologique ; elle sera opérationnelle en 2015. Enfin et même si la Mission design recherche encore des moyens supplémentaires, elle est en train de mettre en place des résidences de designers au sein de clusters et grappes d'entreprises, sur toute la France.

« Car il faut travailler au niveau des territoires pour que les régions et grandes agglomérations considèrent le design comme un facteur d'attractivité et de compétitivité », ajoute Alain Cadix, en pleine préparation du 3e Rendez-vous Design, qui se tiendra le 22 mai à Paris aux Docks de la mode et du design.

Là aussi, le pouvoir des territoires est considérable, car les régions ne sont pas en reste quant à la promotion du design. Outre les aides mises en place par les conseils régionaux, des institutions et événements ont vu le jour sous l'impulsion des décideurs, comme l'ouverture de la Cité du design à Saint-Étienne en 2009.

L'établissement, porté par la Ville de Saint-Étienne, Saint-Étienne Métropole, région Rhône-Alpes et le ministère de la Culture, participe à la valorisation du design auprès de tous les publics, en organisant des expositions, des conférences et rencontres, mais aussi en accueillant l'École supérieure de design, et en produisant la Biennale internationale de design de Saint-Étienne. Car l'ancien bassin industriel que fut la ville à ses belles heures n'a pas perdu de vue que le soutien à l'innovation est un véritable levier de performance.

Et la Cité du design contribue largement à cette valorisation, elle qui organise régulièrement des événements en ce sens, comme « Design map, designers créateurs de valeur pour l'entreprise ». Le prochain Design map débutera d'ailleurs les 5 et 6 juin autour d'une convention d'affaires en charge de planifier des rendez-vous pour les entreprises en recherche de prestations design ; il se poursuivra jusqu'en janvier 2015 avec l'exposition d'une cinquantaine de réalisations entrepreneuriales régionales issues d'une démarche design.


Philippe Starck, la star des designers français.

Les régions sont fortement mobilisées

Depuis cinq ans, les actions en région se multiplient largement. Lille a créé sa plateforme design en 2011, souhaitant développer et valoriser le design dans le Nord-Pasde-Calais. En Île-de-France, c'est Le Lieu du Design qui a ouvert en 2009 et qui, au travers de ses expositions, conférences, workshops, n'a de cesse de défendre le design comme valeur ajoutée à l'entreprise, et le prouve avec ses succès d'accompagnement.

Ainsi, celui de la société Avent Lidar Technology (concepteur de système de diagnostic embarqué sur éolienne), qui, en 2011, cherche à améliorer l'un de ses derniers produits, Wind IrisTM, dont le volume et le poids le rendaient difficilement transportable au sommet des éoliennes.

En accompagnant le projet, Le Lieu du Design a fait appel à l'agence de design Axena, qui a considérablement amélioré l'ergonomie, la compacité, la portabilité et l'installation du Wind IrisTM, ainsi que son interface informatique de pilotage ; et a également permis l'obtention des aides financières de la région Île-de-France et d'Oséo. Le résultat est parlant : en 2012, l'entreprise a réalisé un chiffre d'affaires de 2,30 millions d'euros, soit une augmentation de 257 % par rapport à 2011.

Moteur de compétitivité des entreprises

Des exemples d'entreprises qui réussissent par le design, il y en a un nombre insoupçonné. Et ce n'est pas Anne-Marie Boutin, présidente de l'Agence pour la promotion de la création industrielle, qui dira le contraire, elle qui a créé l'APCI en 1983, sous la houlette de Jack Lang et Laurent Fabius, à l'époque respectivement ministres de la Culture et de l'Industrie et de la Recherche. Car il ne faudrait pas croire que la revendication du design comme créateur de valeurs soit un constat récent.

Après trente ans de persévérance, il était grand temps de reconnaître l'apport essentiel du design dans le développement des entreprises. Et tous les spécialistes du sujet s'accordent à le dire : il n'y a pas d'innovation sans design, dont la valeur ajoutée n'a d'égale que sa création de richesses. C'est une réalité démontrée : le design rend les entreprises plus compétitives.

« Ce que le design apporte à l'entreprise dans un premier temps, c'est la différenciation. Le design permet de faire un produit qui va se démarquer des autres sans que cela soit pour autant plus cher, énonce Anne-Marie Boutin. Parfois, le projet est même plus rentable que prévu. Il faut bien comprendre que le designer travaille dans la transversalité des services, ce qui améliore bien souvent le temps de réalisation des produits. Il joue un grand rôle dans le choix des matériaux et techniques en optimisant les procédés de fabrication. Voilà pourquoi le designer est une valeur ajoutée à l'entreprise. »

D'ailleurs, depuis 2009, la Commission européenne a mis en place la European Design Innovation Initiative qui place le design comme stratégie de développement.

« Plusieurs études européennes ont démontré que les entreprises ayant eu recours au design sont deux fois plus innovantes que la moyenne et résistent mieux aux crises », poursuit Anne-Marie Boutin.

En France, l'APCI, la Cité du design et l'Institut français de la mode ont mené une enquête en 2010 auprès des entreprises françaises utilisatrices du design. Le résultat est instructif Alors que le taux de pénétration du design dans les PME est seulement de 20%, 75% des entreprises concernées affirment avoir augmenté leur chiffre d'affaires, 75% avoir accru la satisfaction client, 60 % avoir accédé à de nouveaux marchés et 56% avoir amélioré leur compétitivité.

« Réussir grâce au design, c'est possible », conclut Anne-Marie Boutin qui, dans une démarche éducative, a créé en 1999, avec l'APCI, L'Observeur du design, un concours international récompensant l'excellence avec le Prix français du design et les Étoiles du design.

L'Observeur est ouvert aux entreprises, designers, écoles et collectivités dans tous les secteurs d'activité. Cette année, ce ne sont pas moins de 165 réalisations qui ont reçu le label de l'Observeur ; elles sont toutes présentées dans le cadre de l'exposition Formes de design, jusqu'au 2 novembre à la Cité des sciences et de l'industrie (porte de la Villette, à Paris).

L'occasion de voir de plus près ce que le design peut apporter à des secteurs aussi divers que le bâtiment, les arts de la table, la santé, l'électronique, le mobilier urbain, le packaging, la mode, la mobilité, l'électroménager, l'enfance ou encore le multimédia interactif. L'occasion aussi de constater comment le design participe au développement des entreprises.

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Table Tea for two à luminaire intégré. La PME Rototec, spécialisée dans le rotomoulage des silos et cuves à engrais, a mis son savoir-faire au service de la décoration pour mieux se diversifier.

Un moyen de diversifier son activité

Car, face à leur position parfois fragile, certains sous-traitants n'hésitent pas à faire appel au design pour diversifier leurs activités. C'est le cas du spécialiste du rotomoulage Rototec, connu pour ses silos à aliments, cuves à engrais et autres bacs de pâturage qui, grâce à l'agence de design Daney Factory, a détourné la technique du rotomoulage pour la mettre au service d'une nouvelle activité en décoration et mobilier (sous la marque Bliss), avec la création de pots de fleurs magnétiques et de tables à lumière intégrée. Idem pour Cintrafil, PME nichée au coeur de l'Auvergne, spécialiste du cintrage de tubes métalliques, qui décide de créer ses propres produits en faisant appel au design.

Résultat ? Cintrafil fabrique aujourd'hui du matériel de chantier, du mobilier urbain et du matériel médical dont Jetti, la poussette pour enfant handicapé, labélisée Étoile de l'Observeur en 2011. Même schéma chez les grands groupes de la distribution qui, à l'instar de Carrefour, ont choisi de développer leur marque et gammes de produits en faisant appel au design. Cette année, « La Prise », designée par l'équipe interne du groupe, vient de recevoir l'Étoile de l'Observeur.

« Il y a un vrai marché à prendre »

Côté start-up, on note le succès d'EOS Innovation qui, grâce à l'accompagnement du Lieu du Design, a créé e-vigilante, un robot mobile de surveillance dédié aux entrepôts et sites industriels. La jeune pousse a levé en mars dernier 1 million d'euros auprès de la société Parrot.

Le made in France a de beaux jours devant lui et certains, comme le designer Patrick Jouin, voient encore plus loin.

« L'industrie française est en train de péricliter alors qu'elle possède tous les ingénieurs et techniciens pour créer des machines ultra-performantes. Roger Tallon [designer entre autres du TGV et du funiculaire de Montmartre, ndlr] était un formidable designer de fraiseuses et machines outils.

Aujourd'hui, l'avenir, ce sont les machines de prototypage rapide, process que j'utilise depuis dix ans. Malheureusement ces machines sont en majorité fabriquées à l'étranger alors qu'il y a un vrai marché à prendre. Faire des machines de prototypage rapide en France, c'est le futur de l'industrie. » À bon entendeur...

 

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Commentaires 3
à écrit le 21/05/2014 à 17:12
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La pédagogie est notre second métier. C'est aussi à nous "d'éduquer", d'informer, de faire appréhender les enjeux et intérêts du design dans une problématique d'entreprise.

à écrit le 21/05/2014 à 10:59
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L'inculture du design est la tare majeure des prétendues élites, en particulier dans les élites politiques, mais aussi dans la nasse des fonctionnaires et assimilés fonctionnaires qui dorment et lambinent dans les structures parapubliques.

à écrit le 21/05/2014 à 10:10
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