« Notre solution va préserver l'intégrité du groupe Alstom » (Christophe de Maistre, Siemens)

Cheville ouvrière française du projet de rapprochement du groupe allemand avec Alstom, Christophe de Maistre précise les détails de l'offre conjointe de Siemens et du japonais Mitsubishi sur le groupe français. Ingénieur formé chez Siemens, où il a fait l'essentiel de sa carrière, germanophile (son père a longtemps travaillé chez Michelin en Allemagne), parlant le chinois (Christophe de Maistre a effectué une bonne partie de sa carrière en Chine), cet expatrié rentré en France en 2010 pour que ses cinq enfants y fassent leurs études universitaires est un farouche défenseur de l'européanisation des politiques industrielles.
Christophe de Maistre, PDG de Siemens France. / DR

LA TRIBUNE - Siemens a finalement déposé, lundi 16 juin, une offre conjointe avec le japonais Mitsubishi Heavy Industries (MHI). Pouvez-vous en présenter les grandes lignes et la différence avec celle, concurrente, de GE ?

CHRISTOPHE DE MAISTRE - Avec notre partenaire Mitsubishi Heavy Industries, nous proposons une grande alliance industrielle. C'est une solution qui va préserver l'intégrité du groupe Alstom et le renforcer dans tous ses métiers, ses salariés et toutes les parties prenantes. Elle renforcera sa position de groupe diversifié de dimension mondiale tout en consolidant sa structure financière. Elle lui permettra de rester une entreprise française cotée avec des centres de décision en France.

Dans le cadre de ce projet, MHI créera avec Alstom trois coentreprises dans les turbines à vapeur, dans les réseaux électriques et dans l'hydroélectrique, alors que nous reprendrions l'activité des turbines à gaz.

Pour les observateurs, l'offre de Siemens est a minima, pour reprendre une partie seulement du pôle énergie d'Alstom, les turbines à gaz. On est loin du schéma initialement envisagé. Qu'est-ce qui a pesé dans votre décision : les craintes de casse sociale de part et d'autre du Rhin ? Ou les risques de concurrence, voire de contentieux juridiques sur certains contrats d'Alstom ?

Avec cette alliance industrielle avec MHI, la pérennité d'Alstom sera assurée. Nous avons pris notre temps afin d'en étudier avec précision toutes les composantes industrielles pour définir la meilleure solution pour toutes les parties prenantes.

Les aspects de concurrence et de contentieux ont fait évidemment partie de notre analyse, mais le projet que nous avons présenté propose plusieurs transactions afin de préserver le périmètre actuel d'Alstom dans presque toutes ses activités.

Siemens propose de former avec Alstom un nouveau champion européen du ferroviaire, en devenant actionnaire à long terme d'une nouvelle société, à créer. C'est un renoncement au projet d'un « Airbus de l'énergie » allemand et d'un « Airbus des transports » français, trop politique ?

Pas du tout. Nous sommes plus que jamais déterminés à créer un champion européen du ferroviaire. La mobilité est un moteur de croissance important pour Siemens et s'inscrit dans notre plan d'entreprise « Vision 2020 ».

Et ensemble, avec Alstom, nous réitérons notre engagement de créer un champion européen solide de dimension mondiale dans l'énergie. Cependant, comme dans toutes nos décisions d'investissements stratégiques, nous prenons notre temps pour consulter l'ensemble des parties prenantes, analyser tous les éléments et faire de manière rigoureuse nos due diligences.

Quelles garanties apportez-vous sur le maintien des usines et des emplois en France des activités que vous proposez de reprendre ?

La préservation des emplois industriels est au coeur de nos préoccupations. Cette alliance industrielle, qui a été élaborée en concertation avec les syndicats et les pouvoirs publics, en est la preuve. Par ailleurs, avec M. Miyanaga [PDG de MHI, ndlr], nous sommes allés la présenter au président de la République, au Premier ministre et au ministre de l'Économie. Nous avons pris trois engagements : préserver les emplois sur une durée de trois ans, créer plus de 1.000 emplois en France et 1.000 postes d'apprentissage.

Si l'offre de GE sur le pôle énergie d'Alstom l'emporte, un concurrent très sérieux de Siemens va naître. Considérez-vous cela comme une menace ?

Ce n'est pas le fondement de notre démarche. Ce n'est pas une opération défensive, mais une alliance stratégique créatrice de valeur à long terme pour Alstom, ses salariés et toutes les parties prenantes.

Quelle sera votre stratégie en France ? Certains disent que Siemens n'ayant pas de site de production en France dans le matériel ferroviaire, c'est un handicap face à Alstom ou à Bombardier dans l'obtention des marchés publics.

C'est évidemment faux : depuis plus de cent soixante ans, nous sommes un acteur industriel français, avec 7000 employés, 7 usines et 9 centres de recherche dont celui de Châtillon pour les métros automatiques, qui porte fièrement l'héritage de Matra et travaille pour la France comme pour l'export.

C'est d'ailleurs ce centre qui nous a permis de gagner les deux principales lignes automatiques du futur métro de Riyad. Nos autres centres de compétences français interviennent pour l'ensemble du groupe Siemens à travers le monde dans des secteurs de pointe comme la métallurgie, le transport et la distribution d'énergie, la conception et la production de progiciels, la détection incendie et la mécatronique. Dans d'autres domaines, nous sommes leader en France, notamment dans la santé, dans la protection feu, dans l'automatisme industriel et dans la transmission de l'énergie.

Avec 2,3 milliards de chiffre d'affaires en France, dont un tiers réalisé à l'export, nous contribuons grandement au rééquilibrage de la balance commerciale française, sans compter que notre groupe achète pour 2 milliards en France auprès de ses partenaires, soutenant ainsi le tissu de ses 9000 fournisseurs français. Ce décalage de perception sur Siemens provient, à mon sens, des domaines où notre part de marché est historiquement faible, comme le matériel roulant ou certains volets de la production d'énergie. Au final, je retiens pour ma part l'affirmation du ministre du Redressement productif, qui soulignait récemment qu'en matière économique le gouvernement ne pratiquait pas le droit du sang, mais le droit du sol.

N'y a-t-il pas aussi une difficulté à percevoir la stratégie du groupe ?

La stratégie du groupe en France est d'y réussir son implantation sur le long terme. Nous voulons être un partenaire de la réindustrialisation de la France, parce que nous y croyons et avons des solutions originales à proposer. Et c'est d'autant plus opportun que la France a dans le domaine ferroviaire une compétence particulière qui couvre les marchés d'Afrique du Nord et d'un certain nombre de pays émergents. Nous voulons utiliser la France en tant que plate-forme pour conquérir d'autres marchés.

Si vous n'êtes pas reconnu sur le marché français, notamment sur le Grand Paris, vous aurez du mal à assurer votre croissance sur les autres marchés...

C'est vrai pour les produits que le groupe conçoit et produit en France, notamment notre métro automatique léger : pour être pertinent sur un marché étranger, il faut l'être d'abord chez soi, et un succès commercial en France est la condition pour la conquête des marchés à l'export.

Plus largement, Siemens n'est pas une société allemande, mais une société multinationale, dont le premier marché est les États-Unis. Et d'ici deux ou trois ans, le deuxième sera la Chine. Nous savons que, pour réussir en France, nous devons être une entreprise française, présente et reconnue dans l'ensemble de la chaîne de valeur de nos métiers.

À l'instar de nos métiers ferroviaires où, sur la ligne 14, le président de la RATP accueille chaque année des centaines de visiteurs professionnels sur un ouvrage que nous avons réalisé il y a seize ans. À noter que la ligne 1 fut encore plus difficile sur le plan technologique. Ce n'était pas un greenfield, comme la 14, mais l'automatisation sans interruption de service de la ligne la plus fréquentée de Paris, qui ne ferme que quelques heures chaque nuit. Cette ligne avait d'énormes contraintes dues à son ancienneté.

Or, nous avons mené ce projet à terme grâce aux technologies développées dans le centre de compétences de Châtillon. Forts de cette expérience, nous avons procédé à la resignalisation complète d'une première ligne du métro de New York, dont la circulation ne s'arrête jamais !

Siemens semble énormément intéressé par les chantiers de transports du Nouveau Grand Paris. N'avez-vous pas envie que tout aille un peu plus vite ?

Paris est la première conurbation européenne et son potentiel est gigantesque. Si l'on regarde les tendances de fond, on constate une augmentation constante et permanente de la mobilité des Franciliens. De 3 à 5 % par an même pendant la crise. Si l'on ajoute à cela le nombre grandissant de touristes, on voit que la pression est de plus en plus forte sur des infrastructures de transports qui n'ont pas bénéficié d'investissements suffisants.

Pour Siemens, le réseau du Nouveau Grand Paris est une opportunité fantastique, car il sera pensé en tout automatique, une technologie où Siemens est totalement légitime : le métro automatique a été inventé au début des années 1980 par Matra Transport, dont nous sommes les héritiers.

Vos méthodes de travail, de fonctionnement, avec vos partenaires ou vos salariés, sont assez proches parfois de ce qui se pratique en Allemagne...

Si notre démarche en matière de croissance est menée à partir de la France, notre méthode reste influencée par nos racines allemandes. C'est vrai pour l'importance que nous accordons à l'apprentissage et à la formation professionnelle. C'est également vrai pour l'attachement à une relation étroite avec nos sous-traitants, dont nous emmenons bon nombre avec nous à l'étranger pour partir à la chasse aux contrats ensemble.

Tous nos projets en France, y compris dans l'énergie, adoptent la même démarche. Je vais prendre un exemple : nous étudions actuellement la création d'un pôle ferroviaire de pointe en Île-de-France, d'un cluster avec nos sous-traitants. Mais c'est surtout la méthode qui me semble importante, à savoir celle de regrouper nos fournisseurs et d'implanter un centre de formation duale. Je ne vois pas l'intérêt de monter une usine pour la fermer dans dix ans. Nous voulons montrer que les méthodes de formation allemandes peuvent parfaitement fonctionner en France.

En Allemagne, Siemens forme 10000 apprentis par an. On peut aussi le faire en France, comme nous l'avons déjà fait aux États-Unis ou en Espagne. Ce n'est pas le destin de l'Allemagne ou de l'Autriche de faire vivre un système de formation duale ni une fatalité française de ne pas savoir le faire. Ce n'est pas si compliqué que cela. Ce cluster, c'est notre idée, et un élément de notre stratégie de développement. Et puis, il va bien falloir former les futurs travailleurs de l'usine du futur !

Cela ressemble à un changement de modèle...

Un peu, oui. Nous ne sommes plus forcément sur le modèle de Matra, qui concevait, mais faisait faire par d'autres. Pour autant, il faut souligner que ce modèle produisait déjà des résultats remarquables : le Cityval, notre nouvelle génération de métros automatiques légers, déjà choisi par Rennes Métropole pour sa deuxième ligne de métro, est à 85 %
made in France, un taux sans équivalent.

Où en êtes-vous sur le dossier hautement symbolique de la liaison automatique Saclay-Palaiseau ?

Le métro automatique léger est idéal pour cette ligne en raison de son coût notablement plus faible, de son insertion facile dans l'univers urbain et dans l'écologie du plateau, de la flexibilité de son utilisation et de son impact réduit sur les sensibles installations de recherche du plateau. Nous avons proposé une solution clés en main avec la RATP et Bouygues.

Mais il est vital d'accélérer le calendrier : un territoire comme Saclay doit être connecté à Paris pour attirer les étudiants et les chercheurs du monde entier. On ne peut pas continuer à avoir un des plus grands clusters du monde isolé, sans moyens de liaison fiables. Il faudrait faire une exception dans le phasage du Nouveau Grand Paris, réaliser rapidement cette ligne, avec un calendrier à suivre et des pénalités pour les industriels responsables du projet en cas de retard. Mais, pour cela, il faut une décision politique forte.

La liaison avec Saclay comme le futur Roissy Rail ne sont pas des projets pour le plus grand nombre, ils ne vont pas forcément améliorer la vie des Franciliens. Avez-vous le sentiment qu'ils font partie de ces projets, comme celui du péage urbain, que les politiques ont des difficultés à assumer ?

Les Londoniens ont fait d'énormes efforts en matière de mobilité urbaine. Nous avons d'ailleurs travaillé avec eux sur les péages urbains. Mais à Paris, c'est très difficile à annoncer.

Pourtant, toutes les grandes villes s'y mettent, grâce à des technologies intelligentes et discrètes. Londres a utilisé pratiquement toute la palette de nos technologies et leur péage a fêté ses dix ans d'existence en 2013. Nous aimerions le faire en France, mais sans casser quoi que ce soit, sans toucher à la beauté de la ville, en oubliant les imposants portiques, et montrer que cela fonctionne très bien. Si chacun a le choix de prendre sa voiture pour se rendre dans le centre-ville, en revanche, il faut assumer le fait que ce choix a un prix.

Ce n'est pas en multipliant les places de parking que l'on résoudra le problème de pollution. Si l'on veut obtenir des résultats, il faut inviter les gens à utiliser les transports publics, les Parisiens comme les autres. Il n'y a pas d'alternative à long terme. Le modèle du péage urbain est de plus en plus utilisé dans le monde. Certes, cela ne se décide pas du jour au lendemain, mais il est nécessaire d'avoir une vision à vingt ou trente ans, comme dans tous les marchés de transport.

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Commentaires 5
à écrit le 20/06/2014 à 14:41
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Sabordage complet de la totalité d'Alstom au programme. Bouygues exfiltrerait ainsi son capital vers de cieux étrangers. Assurément la solution GE première version sauf pour le montant trop modeste (il manque 10 milliards au chiffre de départ qui dev...

à écrit le 20/06/2014 à 13:51
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La solution Mitsubishi-Siemens est de toute façon plus rassurante que General Electric, compte tenu des autres relations industrielles et politique d'égal à égal entre les 3 pays.

le 20/06/2014 à 14:11
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Vous avez tord, vous regardez le problème par le petit bout de la lorgnette. Notre montegourde national est passé par là.

le 20/06/2014 à 14:18
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je dirais plutôt un dépeçage en règle qui ouvre la voie a une reprise totale d'Alstom par Siemens et Mitsubishi dans quelques temps, ne croyons pas que Siemens a la moindre envie de voir un Alstom puissant et indépendant alors que les allemands essay...

le 20/06/2014 à 14:28
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la vraie réponse est simplement que SIEMENS redoute une alliance GE/ALSTOM qui deviendrait un concurrent susceptible de le racheter dans qq années

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