EADS : Tom Enders arrive, Arnaud Lagardère déserte

L'Allemand Tom Enders a pris jeudi à l'issue de l'assemblée générale d'EADS la suite de Louis Gallois à la tête du groupe aéronautique et de défense européen. Le nouveau président doit affronter toute une série de défis stratégiques. L'homme d'affaires Arnaud Lagardère, pourtant nommé jeudi président du conseil d'administration, était quant à lui absent à Amsterdam.
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Le 31 mai 2012, EADS a tourné la page Louis Gallois à l?issue de son assemblée générale des actionnaires? avec l?arrivée aux commandes du groupe aéronautique et de défense de Tom Enders. L?actuel patron allemand d?Airbus sera encadré par deux Français : Fabrice Brégier, qui reprendra le manche d?Airbus, et Marwan Lahoud, qui sera l?interlocuteur privilégié des pouvoirs publics français, via probablement une structure jusqu?alors très peu opérationnelle, EADS France, qui sera réveillée pour l?occasion. Ce seront donc les trois hommes forts du groupe. Avec la nomination d?Arnaud Lagardère à la tête du conseil d?administration, c?est une génération de quadras et de jeunes quinquas dans le vent qui prend les manettes. Ils devraient avoir très envie de doubler le rival et leader américain Boeing (53,7 milliards d?euros de chiffre d?affaires, contre 49,1 milliards pour EADS). Un objectif certes symbolique, mais qui marquera les esprits.

Les trois hommes, qui s?entendent bien ? du moins jusqu?à présent ?, souhaiteront pousser la machine EADS, qui a le potentiel d?une Formule 1, mais ne l?exploite pas vraiment. Car, aujourd?hui encore, EADS est loin d?être un groupe intégré au niveau industriel. Tom Enders a déjà provoqué un mini séisme en brisant l?un des plus gros tabous d?EADS : il a annoncé, de façon anodine, qu?il installerait le siège social d?EADS à Toulouse? près de celui d?Airbus. Finis les deux sièges sociaux opérationnels de Paris et de Munich, qui obligeaient Louis Gallois à partager son temps pour respecter les équilibres franco-allemands. Et au-delà ? Tom Enders risque de décevoir les impatients. Il ne prendra "aucune décision avant l?automne", a-t-il annoncé au Top 50 ? les cinquante plus hauts cadres du groupe. "D?ici là, il va se mettre à niveau sur les autres filiales du groupe [Astrium, Eurocopter, Cassiden, ndlr] et se faire une idée du nouveau contexte stratégique et budgétaire en discutant avec les uns et les autres", explique l?un d?eux. C?est début 2013 qu?il devrait annoncer une stratégie pour EADS et choisir les hommes qui la mettront en musique.

Éviter un gros dérapage de l?A350

De tous les programmes (A400M, A320 Néo, A380), l?A350 est le plus risqué sur le plan industriel, d?un montant de 10 milliards d?euros, avec 548 commandes déjà enregistrées. Aujourd?hui, le programme de ce biréacteur long-courrier, d?une capacité allant de 314 sièges pour la première des trois versions (l?A350-900), à 350 pour la dernière (A350-100), en passant par un modèle à 270 sièges pour la version 800, est sous tension. Même s?il s?est relativement bien tenu jusqu?à présent, il accuse néanmoins déjà près d?un an de retard sur son plan de marche, avec une première livraison prévue en 2014 pour la version prioritaire (900).

Mais l?A350 a le temps de déraper. Il est encore loin des étapes où les problèmes de l?A380 (après le premier vol) et du B787 (quelques mois avant sa première livraison) ont été révélés. En cours d?assemblage pour les premiers appareils destinés à faire des essais statiques, les vols d?essais de l?A350 sont prévus au premier semestre 2013. Aussi, tous les analystes tablent sur un nouveau retard : en gros, d?une année supplémentaire. Ce qui resterait "raisonnable" au regard de la complexité de cet appareil, même si Airbus devra s?acquitter de pénalités auprès des compagnies clientes. La maîtrise des matériaux composites, utilisés à forte dose sur cet appareil, est très complexe. Si, contrairement au B787 de Boeing, les différents éléments s?assemblent bien, des problèmes de câblage seraient apparus, dit-on chez Airbus.

En outre, certains sous-traitants, comme l?allemand Premium Aerotech, peinent à suivre le rythme. Un décalage de la première version décalera d?autant, voire plus, les versions 800 et 1000, déjà reportées l?an dernier à 2016 et 2017. La version 1000, la plus importante en termes de capacité, est sous tension. Destinée à concurrencer le B777 sur le marché des gros porteurs de plus de 350 sièges, il n?arrive pas à convaincre les compagnies aériennes. Les critiques fusent de la part des compagnies du Golfe, malgré les améliorations apportées l?an dernier.

Assurer la montée en cadence de production

En relevant chaque année les objectifs de livraisons d?avions, qui génèrent l?essentiel de son chiffre d?affaires, Airbus met la pression sur ses fournisseurs. Après avoir livré 534 appareils en 2011, l?avionneur table sur près de 570 appareils en 2012. Demain, avec la nécessaire montée en cadences de l?A320 pour éponger un carnet de commandes record, celle de l?A330 (déjà actée, selon nos sources, à onze par mois en 2014, contre neuf aujourd?hui), de l?A380 une fois résolu le problème des micro-fissures après 2013, et de l?A350, la chaîne des fournisseurs, déjà fragile, pourra-t-elle suivre ? Pour peu qu?ils soient impliqués sur plusieurs programmes d?Airbus, mais aussi sur ceux d?autres avionneurs, et la charge de travail de certains fournisseurs peut bondir de 40 %.

Une croissance d?autant plus difficile à gérer que les fournisseurs ont dû mal à recruter du personnel qualifié et que, pour les PME françaises, les crédits sont difficiles à obtenir. Résultat, Airbus surveille comme le lait sur le feu ses fournisseurs. La liste des entreprises à risque s?allonge. Même pour les grosses. Selon nos informations, Saint-Gobain peine à livrer les pare-brise de l?A320. Du coup, EADS n?hésite pas à leur donner un coup de main pour éviter toute déconvenue, voire à les racheter quand la situation est trop critique et leur production trop stratégique, comme ce fut le cas à l?automne dernier avec l?allemand PFW. La prudence est de mise. Alors que, avec le succès de l?A320 Neo, l?avionneur travaillait sur une montée des cadences de la production des A320 à 54 mois à l?horizon 2018, contre 40 aujourd?hui, cet objectif est aujourd?hui mis entre parenthèses. La hausse du rythme sera progressive et l?objectif est pour l?heure de réussir le passage à 42 exemplaires par mois.

Faire enfin décoller les ventes de l?A380

Le problème des microfissures constatées dans la voilure de l?A380 ne va pas faciliter les ventes du superjumbo. Les nouveaux clients potentiels peuvent être, en effet, tentés d?attendre le retour d?expérience de la solution trouvée par airbus à ce problème, qui ne sera mise en place que sur les appareils livrés à partir de fin 2013. En outre, airbus doit composer avec une absence de croissance sur certaines zones géographiques, or l?A380 est un avion étroitement lié à la croissance. Il n?empêche, Tom Enders et son successeur à la tête d?airbus, Fabrice Brégier, doivent à tout prix faire décoller les commandes du géant des airs. Douze ans après son lancement, en 2000, l?A380 ne compte que 253 commandes (dont un tiers provient d?un seul transporteur, Emirates). "Pour atteindre la rentabilité de l?appareil (pas celle du programme), Airbus doit attirer de nouveaux clients et vendre des appareils sans trop casser les prix", rappelle un expert.

Installer une chaîne d?assemblage d?Airbus A320 aux Etats-Unis ?

Si ce projet stratégique se révélait nécessaire pour le développement d?EADS et de sa filiale, airbus, et réalisable, Tom Enders le défendrait sans aucun état d?âme devant le conseil d?administration. Le dossier est prêt, il était même sur le bureau de Louis Gallois depuis plusieurs semaines. Le futur patron du géant européen de l?aéronautique n?est pas du genre à se laisser dicter quoi que ce soit par les États. Il l?a déjà démontré en tenant tête à Berlin au moment des négociations, pour trouver une solution aux dérives financières du programme A400M, où il n?a guère ménagé le gouvernement allemand en se montrant parfois brutal. Pas sûr qu?il goûte aujourd?hui au "made in France", proclamé par le ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg.

Et sur le fond, une chaîne d?assemblage se justifie-t-elle aux Etats-Unis ? "On s?aperçoit que les parts de marché des entreprises, qui exportent vers les États-Unis, s?accroissent significativement dès lors qu?elles installent de la production sur place, explique un haut dirigeant d?EADS. Il n?y a pas d?effet automatique, mais c?est le cas par exemple pour les constructeurs automobiles, ou les équipementiers, comme Michelin". La part de marché d?airbus aux États-Unis reste désespérément basse, de l?ordre de 20 % sur les dix dernières années, alors que l?avionneur détient plus de 50 % du marché mondial. Une chaîne d?assemblage d?A320 peut-elle casser le vieux "Buy American" des compagnies américaines ? Et peut-elle améliorer significativement la part de marché d?Airbus aux États-Unis, le plus grand marché au monde des avions court et moyen courrier ? enfin, les sous-traitants américains et européens installés en zone dollar sont-ils capables de répondre à cette nouvelle demande d?airbus ? Même les plus réticents font valoir que "la croissance de l?entreprise donne une marge de man?uvre pour implanter une chaîne d'assemblage à l?extérieur de l'Europe sans impact sur les implantations de Hambourg et de Toulouse".

L?impossible équation du rééquilibrage des activités Airbus et non Airbus

Rééquilibrer les activités défense et civiles était l?un des v?ux en 2007 de Louis Gallois à travers la fameuse "Vision 2020" d?EADS. Le portefeuille du groupe aéronautique et de défense est "fortement dépendant d?Airbus, qui représente plus de 64 % de son chiffre d?affaires, ce qui entraîne une vulnérabilité importante liée aux cycles de l?aviation commerciale et aux charges financières des programmes aéronautiques", expliquait-on alors chez EADS. Quatre ans plus tard, l?équation du rééquilibrage semble impossible? à moins d?une méga-acquisition dans le domaine de la défense et sécurité. Fin 2011, Airbus représente encore 67,4 % du chiffre d?affaires d?EADS. Soit 33,1 milliards des 49,1 milliards d?euros de chiffre d?affaires de l?an dernier. et 63,4 % pour la seule activité civile (hors airbus Military), en hausse de 12,6 % par rapport à 2010. Dans le même temps, Eurocopter représente 11 %, Astrium 10,1 % et Cassidian 11,8 % du chiffre d?affaires d?EADS.

La croissance des ventes du groupe européen (+ 3,3 milliards, à 7,4 %) est principalement liée à la division civile d?airbus (+ 12,6 %). c?est moins flagrant pour l?ebit, la contribution d?Airbus étant seulement de 34,4 %. en revanche, en termes de prises de commandes, Airbus écrase toutes les autres activités d?EADS (72 %). "Ce que l?on sait, c?est que, sur le long terme, Airbus est en croissance. C?est balistique. Le marché va croître de 4,5 % à 5 % par an sur les vingt prochaines années", développe un haut dirigeant d?EADS. Ce qui n?augure donc pas un possible rééquilibrage d?autant qu?airbus met le cap sur le développement de ses activités de services, et plus précisément sur la maintenance et l?assistance de la flotte airbus. Bref, comme on le souligne chez EADS, "la Vision 2020 est morte".

Gérer le renforcement des États dans le capital

Qu?EADS devienne une entreprise normale avec des décisions prises en fonction de l?intérêt du groupe sans se soucier du sacro-saint équilibre franco-allemand : Tom Enders l?a toujours souhaité. Mais c?est le contraire qui s?annonce. La nouvelle direction du groupe d?aéronautique et de défense va devoir en effet composer avec un renforcement du poids de la France, et surtout de l?Allemagne, dans le nouveau pacte d?actionnaires en cours de négociation. Incapable de trouver un candidat au rachat de la moitié (7,5 %) de la participation de Daimler (le représentant jusqu?alors des intérêts allemands), en cours de désengagement, l?État allemand a décidé d?entrer au capital du groupe par le biais de la banque publique KfW. Celle-ci va acquérir les 7,5 % de Daimler et peut être aussi 4,5 % d?un consortium d?investisseurs qui avaient déjà repris une tranche de 7,5 % cédée il y a quelques années par Daimler (dont KfW en possède 1 %).

Résultat, en ajoutant les 2 % détenus par des Länders, les pouvoirs publics allemands détiendront 15 % d?EADS. Équilibre parfait avec le camp français, où l?État possède 15 % aux côtés de Lagardère (7,5 %), qui veut, lui aussi, se désengager à terme. Or, cette opération nécessite une modification du pacte d?actionnaires. et la France veut en profiter pour régler, dès à présent, des problèmes plus lointains, en revoyant toute sa relation avec le groupe de médias afin d?avoir toutes les cartes en main, le jour où il sortira complètement d?EADS. Arnaud Lagardère, qui va prendre la présidence du conseil d?administration du groupe pour cinq ans, attend que le programme A350 soit stabilisé. En clair, la France cherche à avoir la possibilité de remplacer Lagardère par un autre industriel ou de racheter sa participation. Objectif : préserver les droits en matière de protection du capital d?EADS. Car, l?État n?est pas convaincu par les solutions du management, qui recommande la création d?une golden share (une action préférentielle) pour faire barrage à toute tentative d?Opa. EADS a beau rappeler les exemples de Boeing et de BAE Systems, pour l?heure, le discours n?est pas entendu. Bruxelles n?y est d?ailleurs pas favorable.

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Commentaires 10
à écrit le 04/06/2012 à 16:55
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On est toujours étonné que le "fils de"; rejeton encombrant des "stratégies" politico financières de feu JL Lagardère soit admis dans un tel cénacle industriel. Et sans vouloir mettre en doute ses compétences, force est de constater qu'il fait preuv...

à écrit le 02/06/2012 à 18:00
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Bonjour, EADS comme AIRBUS ont des problèmes récurant, câblage sur A380 et A350, retard de livraison A400 et A350 ? Espérons que avec un nouveau patron cela sera vite régler. Ils y a surement des normes et des charges à respecté pour le câblage. Pour...

à écrit le 01/06/2012 à 18:18
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Merci pour cet article complet et intéressant. Synthèse très bien présentée que tous ceux qui parlent beaucoup sans rien connaitre de la construction aéronautique feraient bien de lire...

à écrit le 01/06/2012 à 9:11
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Concernat M. Lagardère, il faut remonter du temps de M. Chirac notre plus mauvais Président plus occupé par les magouilles politiqyues et les amis que par le devenir l'industrie. Ce triste Président a fait cadeau à la Syte gèrée!!! à l'époque par Lag...

à écrit le 01/06/2012 à 8:04
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je pense que s'il n'avait pas été l'ami de sarko et si le gendarme de la bourse avait fait son boulot ,il y a longtemps que mr Lagardere aurait eu des ennuies

à écrit le 31/05/2012 à 23:17
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Que lagardere vende ses part et continue a faire mumuse avec ses sportifs. C est une veritable plaie pour eads, qui ne l interesse pas, ne l a jamais interesse et ne l interessera jamais C ets la ou on voit toute la limite de confier une industrie a...

le 01/06/2012 à 9:06
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Oui A Lagardère est un "petit héritier", qui bénéficie du travail de son père, et aussi et surtout de la commandite. En effet dans un SA normale, il y a longtemps qu'il pourrait s'absenter de toutes les réunions de travail.

à écrit le 31/05/2012 à 23:06
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oui, très belle analyse

à écrit le 31/05/2012 à 23:05
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Un article excellent ! On en redemande !

à écrit le 31/05/2012 à 19:45
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Félicitations aux rédacteurs.

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