Défense : pour qui sonne le glas... (2/3)

Grandeur et décadence des armées françaises... Mercredi après-midi débute l'examen en séance des crédits de la mission Défense du projet de loi de finances (PLF) pour l'année 2013. Le PLF devrait en principe être voté le 20 novembre. En trois volets, voici les principales déclarations à l'occasion de leur audition à la commission de la défense de l'assemblée nationale du chef d'état-major des armées, l'amiral Edouard Guillaud, puis des chefs d'état-major terre, air, marine et enfin du délégué général pour l'armement.
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Après un premier volet sur les déclarations d'Edouard Guillaud, chef d'état-major des armées, voici dans ce deuxième volet les principaux points évoqués par le chef d'état-major de l'armée de terre, Bertrand Ract-Madoux, le chef d'état-major de l'armée de l'air, Denis Mercier, et, le chef d'état-major de la marine, Bernard Rogel, lors de leur audition devant la commission de la défense de l'assemblée nationale au mois d'octobre :

Le chef d'état-major de l'armée de terre, Bertrand Ract-Madoux

"J'ai pu constater que ce budget avait été, à juste titre, qualifié de budget d'attente ou de transition par le ministre de la défense et le chef d'état-major des armées. Cette attente ne sera pas sans conséquence pour une armée de terre qui représente, comme j'ai coutume de le dire, 20% du programme 146, 20% de la préparation opérationnelle hors titre 2 (personnel) des armées et 20% de l'entretien programmé des matériels (EPM) des armées. Or dans ce processus de recherche d'économies de court terme, elle supportera, en 2013, une grande part des efforts du ministère. L'armée de terre supportera ces efforts, tout d'abord, dans le domaine des équipements dans la mesure où, sur les années 2012 et 2013, l'armée de terre devra contribuer à hauteur d'environ 40% du total des reports ou annulations en autorisations d'engagement ainsi que des crédits de paiement. Cet effort apparaît encore plus disproportionné pour la seule année 2013, avec une part dans la réduction des engagements estimée à 76%. Cela s'explique par ses nombreux petits programmes particulièrement propices aux économies de court terme et par le fait que plusieurs programmes majeurs tels SCORPION et le porteur polyvalent terrestre (PPT), n'ayant pas encore été notifiés, pouvaient donc être décalés".

"Les conséquences immédiates en seront notamment le décalage à l'été 2013 de la notification des travaux complémentaires d'architecture pour le programme SCORPION. Si cette mesure qui affecte le programme majeur de l'armée de terre est surtout emblématique, d'autres auront des conséquences capacitaires plus importantes telles que l'impossibilité de projeter plus de 4 hélicoptères Caïman (NH90, ndlr) jusqu'à fin 2016 ou la rupture capacitaire sur le segment des porteurs logistiques terrestres à partir de 2015".

"L'armée de terre supportera également une part importante des efforts du ministère dans le domaine des effectifs. Sa contribution ira ainsi au-delà de l'objectif fixé par la loi de programmation militaire (environ 2700 postes en 2013) en raison d'une accentuation de la pente de déflation, consécutive aux décisions contenues dans la lettre plafond de cet été".

"Récemment pointée du doigt sur les questions de masse salariale et d'avancement, souvent à tort, l'armée de terre saura, enfin, prendre les mesures qui s'imposeront pour maîtriser sa masse salariale. Mais il va sans dire que les révélations de l'été 2012, par médias interposés, ont été un choc. J'étais d'ailleurs lundi avec les représentants des officiers de l'ensemble des régiments réunis en séminaire. Ce sujet d'inquiétude était sur toutes les lèvres. Il dépasse bien évidemment la seule catégorie des officiers car la restriction de l'avancement, dont je rappelle qu'il se fait presque essentiellement «au choix», c'est-à-dire au mérite, aura un impact sur «l'escalier social» qui est la force des armées et qui permet, à chacun, selon ses capacités, d'accéder à des responsabilités supérieures. Je vous rappellerai ainsi que 70% des sous-officiers sont issus des militaires du rang et que 70% des officiers ne sortent pas directement des écoles de Coëtquidan".

"Il y a derrière mes propos l'inquiétude de voir la cohérence d'un outil efficace et aguerri, affaiblie par des mesures budgétaires de court terme et de voir les données budgétaires préempter les débats stratégiques en cours (...). La France possède aujourd'hui avec l'armée de terre un outil remarquable qui, malgré les réformes lourdes, n'a jamais fait défaut pour répondre à ses engagements opérationnels. Mais elle est dans une situation d'équilibre qu'il lui est de plus en plus difficile de préserver. Son format est tout «juste insuffisant», expliquait un récent rapport du Sénat. Il ne faut, en effet, pas oublier qu'en 2009, l'armée de terre, avec le même format, était en situation de «surchauffe» opérationnelle. Je pense donc qu'elle a effectivement atteint un seuil plancher au-dessous duquel elle ne pourra descendre sans renoncements capacitaires, renoncements qui lui feront perdre sa cohérence et son efficacité et pourrait affecter l'image de la France. Car c'est bien avec le volume de la force terrestre projetable (aujourd'hui 73.000 hommes) que doivent se raisonner les contrats opérationnels et non avec les effectifs de l'armée de terre au sens large (135.000 militaires et civils)".

"Je vous ai dressé, pour reprendre l'expression du chef d'état-major des armées, un panorama de l'armée de terre parfois sombre mais sans concession. Je ne peux vous cacher, non plus, que l'adhésion aux réformes s'érode sensiblement. En l'absence de perspective d'améliorations rapides, la lassitude commence à gagner les esprits".

"Toutes les difficultés de l'armée de terre ont une seule origine: la lente et immuable érosion du budget de la défense. Les intentions du Livre blanc de 2008 étaient pourtant bonnes, puisque l'effort a porté sur les équipements et nous sommes très heureux de ceux que nous avons reçus. Mais nous n'avons plus aujourd'hui les moyens suffisants pour les faire fonctionner, compte tenu de la réduction des crédits consacrés au fonctionnement, à l'entretien du matériel et la contraction de la masse salariale. Nous avons par exemple perdu, sur quatre ans, une année complète de crédits d'entretien programmé du matériel pour nos hélicoptères. Pour les autres équipements, nous avons perdu une part significative du budget. Dans le même temps, près de 4000 postes de maintenanciers ou mécaniciens ont été supprimés. Le Livre Blanc de 2008 nous avait été présenté comme la perspective d'une armée plus petite mais avec plus de moyens. Ce n'est en réalité pas le cas. Nous sommes aujourd'hui encore capables d'assurer les contrats opérationnels de 2008 mais plus de les soutenir dans la durée".

"Je n'ai pas parlé de rupture mais de risques de rupture capacitaire sur certains équipements. C'est notamment le cas pour les véhicules légers tout-terrain P4, les hélicoptères, les camions logistiques. Ces programmes sont souvent victimes de leur taille modeste. Nous pouvons déployer 30.000 hommes mais nous ne pouvons pas les faire tenir dans la durée sur le plan des munitions. La réduction des stocks nous interdit de fait la soutenabilité dans la durée. La Libye a affecté certains stocks, avec notamment la consommation de 425 missiles Hot par nos hélicoptères de combat. Il n'y a néanmoins pas de carence car nous disposons de stocks de crise et de guerre. Il faudra également lancer le programme MMP dans le domaine de l'antichar, le remplacement des MILAN étant impératif".

 

Le chef d'état-major de l'armée de l'air, Denis Mercier

"La première concerne le maintien de l'activité aérienne pour nos équipages. Elle est essentielle pour garder des compétences, préserver un niveau suffisant de sécurité aérienne et garantir le moral de nos aviateurs. Nous sommes confrontés à la difficulté de contenir les coûts de maintien en condition opérationnelle (MCO). En 2012, l'écart entre les ressources disponibles et les besoins d'entretien programmé des matériels aéronautiques de l'armée de l'air a atteint 300 millions d'euros. Cela se traduit par une pression de plus en plus forte sur la formation et l'entraînement des forces et en conséquence une érosion du capital des savoir faire opérationnels. Malgré les efforts que je salue du ministère sur le domaine, en 2013, le déficit d'activité sera d'environ 20% par rapport au besoin nominal d'entraînement des équipages. C'est acceptable dans un budget d'attente, mais nous approchons d'un seuil qui pourrait devenir critique. Notre cohérence repose sur notre capacité à trouver le bon équilibre entre notre format et les ressources dédiés à l'entretien programmé de nos matériels".

"Ma dernière crainte concerne la construction budgétaire. Les trajectoires financières actuellement envisagées nous amènent à court terme sous le seuil des engagements déjà passés. En poursuivant dans cette direction, nous serons amenés à annuler certaines commandes, avec des pénalités à la clé, et nous serons dans l'impossibilité de procéder aux nouvelles acquisitions, celles qui nous permettront de mettre en place des modes de fonctionnement source d'économies. Les drones, les MRTT, qui n'entrent pas encore dans la construction budgétaire, sont en position de vulnérabilité. La phase 2 de la quatrième étape du système de commandement et de conduite des opérations aériennes (SCCOA) n'est pas prévue dans le projet de loi de finances 2013. Ses reports successifs fragilisent notamment nos capacités de détection sur le territoire national".

"Le report de nombreux programmes d'équipement, décidés en amont des travaux du projet de loi de finances, pourrait aussi s'avérer préjudiciable à notre capacité opérationnelle. C'est le cas par exemple de ceux liés aux obsolescences du missile Aster30, du pod RECO NG, du simulateur Mirage 2000C, de la mise aux normes civiles des hélicoptères Puma et Fennec, de la rénovation des C130 et de la flotte de Mirage 2000D. Sur ce dernier point, je souligne que le Mirage 2000D au potentiel de vie encore élevé nous permettrait de disposer d'un avion, dont il nous faut déterminer le niveau de rénovation et le format, capable d'effectuer à moindre coût une large gamme de nos missions en complément du Rafale. Il existe un véritable risque de perte de capacités opérationnelles, mais aussi de capacités industrielles nationales dont les conséquences pourraient être irréversibles. Je milite pour l'étude de solutions de court terme qui permettent de conserver la réversibilité nécessaire à la préparation d'un avenir qui pourra être différent de celui d'aujourd'hui. Un avenir qui sera porté par le personnel s'il n'est pas tourné vers une simple diminution des formats mais bien vers un véritable projet".

"Aujourd'hui, le volume horaire de formation de nos pilotes est inférieur aux objectifs fixés : 160 heures au lieu de 180 pour les pilotes de chasse - et encore, certains ne volent que 120 heures. Le différentiel est encore plus marqué pour les pilotes d'avions de transport, qui devraient voler 400 heures par an, et qui n'en effectuent en moyenne que 250. Cette situation peut créer un vrai problème de compétences ; c'est d'ailleurs pour cette raison que nous avons demandé et obtenu l'acquisition de huit CASA. Certes, la simulation permet de pallier une partie du problème, mais elle ne remplacera pas le vol".

 

Le chef d'état-major de la marine, Bernard Rogel

"La modernisation de notre outil est amorcée. Elle constitue la réponse à une urgence : les réductions, temporaires ou non, de capacité - rappelons que nous avons désarmé 20 bâtiments depuis 2009, et que cela continue - et l'âge de nos outils - près de 40 ans pour la frégate De Grasse, 34 ans en moyenne pour les frégates Georges Leygues, Montalm et Dupleix ou l'aviso lieutenant de vaisseau Le Hénaff - nous placent au bord d'une rupture franche. Seules deux frégates ont été livrées au cours des dix dernières années. Quant aux forces outre-mer, elles auront perdu leur capacité en patrouille et en bâtiments de transport léger (Batral) en 2016 si elles ne sont pas remplacées. Ne resteront plus que 6 frégates de surveillance et deux patrouilleurs pour 10 millions de km2 de zone économique exclusive (ZEE). Il n'est plus possible de retarder le renouvellement de la flotte".

"Si la disponibilité des bâtiments est satisfaisante, les crédits prévus ne permettent pas d'atteindre les objectifs de la LPM, avec, pour la flotte de surface notamment, une prévision de réalisation des heures de mer de l'ordre de 12% en dessous de l'objectif de la loi de programmation militaire (LPM) 2009/2014. Par ailleurs, nous sommes contraints d'immobiliser les sous-marins nucléaires d'attaque (SNA) neuf mois avant leur période d'entretien majeur afin de respecter l'enveloppe allouée à leur maintenance. Afin d'optimiser la disponibilité, nous menons aujourd'hui une réforme importante d'organisation sur l'entretien de la flotte, nommée Dispoflotte 2015, pour gagner toutes les marges possibles. Celle de l'aéronautique est quant à elle préoccupante. Elle a conduit à réduire de 9% l'activité au deuxième semestre 2012. C'est la conséquence d'un déficit de financement d'environ 20%. Le risque est, au-delà d'un taux de disponibilité en retrait, d'affaiblir le potentiel des flottes car les stocks de rechange ne sont plus recomplétés. Là encore, toutes les solutions d'optimisation sont recherchées avec la structure intégrée de maintien en condition opérationnelle des matériels aéronautiques de la défense (SIMMAD) pour limiter les conséquences des contraintes budgétaires".

"Les crédits d'équipements d'accompagnement font l'objet d'une forte contrainte financière, qui pèsera en grande partie sur les munitions, repoussant d'une année la perspective de reconstituer les stocks. 2012 aura déjà été une année de forte réduction en matière de munitions d'infanterie et aéronautiques : cette situation doit être comprise comme une solution transitoire dans l'attente d'une nouvelle LPM, qui permettra par ses arbitrages de lever, ou tout au moins de mieux cibler, les efforts d'économies".

"S'agissant des équipements, nous avons besoin de l'ensemble des composantes pour remplir les missions qui nous incombent. Pour prendre une image, votre question équivaut à demander à un bricoleur de choisir, dans la composition de sa caisse à outil, entre le marteau et le tournevis pour intervenir sur une panne qu'il ne connaît pas encore. C'est un choix impossible ! Nous sommes dans une phase de renouvellement urgent, mais qui était prévu dans la loi de programmation militaire (LPM). C'est le cas notamment pour les frégates de premier rang et les patrouilleurs. Encore une fois, si nous ne faisons rien, il ne nous restera plus que 6 frégates de surveillance outre-mer : comme ces patrouilleurs n'étaient pas considérés prioritaires dans le dernier Livre blanc, on a assisté à une réduction temporaire de capacité (RTC), qui nous conduit aujourd'hui à désarmer tous les P 400 - lesquels ne pourront être prolongés - et les Batral, sans les remplacer tout de suite".

"Le contexte financier rend les choses difficiles : nous devons réduire la dette, qui est un enjeu majeur, faute de quoi la défense pourrait être la première touchée. La question est de savoir combien de temps va demander l'effort demandé à la défense, ce qui déterminera les réponses capacitaires. Si cet effort dure trois ou quatre ans, on retardera des programmes et on continuera à réaliser des trous capacitaires, mais on pourra garder une dynamique positive avec l'espoir de réinvestir ensuite. S'il devait au contraire prolonger une dizaine d'années, nous serions obligés de faire des choix capacitaires, qui impliqueraient d'établir des priorités entre les missions".

 

>> A LIRE CET APRES-MIDI : les principales déclarations du délégué général pour l'armement [Défense : pour qui sonne le glas... (3/3)]

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Commentaires 10
à écrit le 07/11/2012 à 20:01
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à yafoulle et d'accord avec kaki suite : les militaires ne beneficient pas de jours de repos aprés avoir travailler la nuit et egalement le weekend , ils ne sont pas syndicaliser , le droits des gendarmes et policiers ne correspondent en rien aux dr...

à écrit le 07/11/2012 à 19:29
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tout à fait d'accord avec KAKI , les militaires sont assimilés fonctionnaire quand il faut payer , en revanche , ils sont oublier généralement dans l'autre sens, par contre les policiers et les gendarmes sont mieux lotis , regarder le gouvernement so...

à écrit le 07/11/2012 à 19:22
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@xvi , les primes de certains policiers sont comprises dans les retraites , pour les militaires aucunes et aucun

à écrit le 07/11/2012 à 19:20
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cela fais plus de 15 ans que les armées font des efforts , alors , un jour il faudra arreter de taper sur les armées , la chaloupe commence a se fendiller , l'oiseau bat des ailes , et le coucou est toujours dans le nid .

à écrit le 07/11/2012 à 10:38
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Pour abonder dans le sens de M ROCARD. On veut faire des économies tout de suite de trois milliards d'euros par an ; eh bien, "y a qu'a supprimer la dissuasion nucléaire".

à écrit le 07/11/2012 à 9:19
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Je suis policier et j ai réussi l examen de brigadier en 2009 je ne sais pas quand j'en aurai le bénéfice en terme de grade et de paye ... Tous les fonctionnaires doivent être au même régime ... Un militaire qui fait carrière est un fonctionnaire

le 07/11/2012 à 13:18
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Elle est pas mal celle là: le militaire lui ne bénéficie pas des nombreux avantages du policier! renseignez-vous

le 07/11/2012 à 15:51
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Bonjour Baatel, je suis curieux de savoir qu elle est l avantage que bénéficie un policier que je rigole un peu. Par contre c'est honteux de voir le déclin de l'armée française alors que la plupart des pays se réarme. On paiera cela dans quelques an...

le 07/11/2012 à 19:01
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cher jeune policier,on voit que vous n'avez même pas mis une paire de rangers pendant 10 mois dans une caserne de l'armée un militaire n'a jamais été un fonctionnaire, c'est un amalgame que vous faites car nous servons l'état français. Quelques exemp...

le 07/11/2012 à 23:07
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Comme on y va ! Il ne s'agit pas des personnels qui chacun selon leur "statut" ont des particularités bien spécifiques ...a chacun son "métier avec ses obligations et ses droits . N'en parlons plus , et même il faut savoir que tout le monde n'a pas d...

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