Espace : le projet Ariane 6 à nouveau sous tension

Selon nos informations, la ministre en charge de l'espace, Geneviève Fioraso, et le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, vont installer le 11 juin un comité de concertation État-industrie, le Cospace. Ce comité aura pour objectif principal d'élaborer des feuilles de routes technologiques pour l'industrie spatiale. Un événement qui va permettre à la ministre de reprendre la main sur le dossier Ariane 6, qui rencontre une nouvelle fois une forte opposition.
La ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, en charge de l'espace, Geneviève Fioraso doit affronter de nouvelles critiques contre le programme Ariane 6 Copyright Reuters

Après une petite éclipse, la ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, Geneviève Fioraso, reprend la main sur le dossier spatial. Avec le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, elle va installer le 11 juin prochain le comité de concertation État-industrie, le Cospace, à l'image de celui qui existe dans le domaine de la recherche aéronautique civile, le Corac. "Ce comité aura pour objectif principal d'élaborer des feuilles de routes technologiques permettant la convergence des efforts de l'ensemble des acteurs nationaux", avait expliqué fin mars au Sénat Geneviève Fioraso. Il n'est que temps qu'elle revienne aux affaires... du spatial, très souvent animé par des débats idéologiques, qui dérapent en guerre de religion. C'est aujourd'hui un peu le cas avec à nouveau le dossier Ariane 6, qui agite le petit monde spatial. Un dossier qui avait été pourtant déjà pacifié l'été dernier par la ministre lors de la préparation de la conférence ministérielle de l'Agence spatiale européenne (ESA) qui s'est tenue en novembre dernier à Naples.

Mais le feu couvait visiblement encore. Signé par douze anciens hauts responsables dans le domaine spatial, dont Fredrik Engström, un ancien directeur des lanceurs à l'Agence spatiale européenne (ESA) et Yves Sillard, qui a été Délégué général pour l'armement (DGA), la prestigieuse Académie de l'air et de l'espace a adressé le 17 mai dernier un courrier au directeur général de l'ESA, Jean-Jacques Dordain, dans lequel elle expirme de sérieuses inquiétudes sur les "décisions en cours de préparation pour le développement de la nouvelle génération de lanceurs Ariane". Selon l'Académie, "une configuration Ariane 6 de type PPH a été retenue sans prise en considération sérieuse de solutions alternatives. Elle remplace la propulsion liquide par la propulsion solide pour les deux premiers étages du lanceur. Ceci ne revient pas seulement à préjuger du résultat - c'est surtout le mauvais choix". Les auteurs de ce courrier assurent par ailleurs sur la foi d'une analyse préliminaire que "les coûts sont similaires" entre une Ariane 6 utilisant la propulsion solide de type PPH et une Ariane 6 utilisant la propulsion liquide. Les promoteurs, notamment le CNES, du projet Ariane 6 assurent que la propulsion solide est la solution la moins chère.

Une Ariane 6 aurait des conséquences industrielles "irréparables"

Les auteurs de ce courrier estiment également qu'une Ariane 6 basée sur la configuration PPH "n'aura pas la souplesse nécessaire pour desservir à la fois le marché des satellites de télécommunications moyens et celui des satellites lourds". Et de regretter "l'idée d'éliminer a priori les lancements doubles dans les objectifs de conception". Selon eux, c'est "pour le moins surprenant quand on connait les économies drastiques générées par cette possibilité, sans parler du fait que tous les concurrents d'Arianespace entreprennent des développements dans ce sens. Le bouleversement de l'industrie européenne des lanceurs qui résulterait du développement d'Ariane 6 sur la base d'une configuration PPH serait irréparable". Car "il serait extrêmement difficile de maintenir le caractère européen d'un tel programme et de rassembler autour de lui un large support des Etats membres".

Clairement, les auteurs du courrier redoutent que l'Allemagne ne monte pas à bord in fine d'Ariane 6. Pourquoi ? Parce que les Allemands ont développé un savoir-faire dans la propulsion liquide, rappelle un observateur fin connaisseur des affaires spatiales. Cette compétence permet à Berlin de revendiquer un tiers de la charge de travail environ de la filière lanceur en Europe. C'est pour cela que l'Académie de l'air et de l'espace réclame "de toute urgence" la réouverture des "études de configuration d'Ariane 6". "Les études actuelles d'Ariane 6 ne répondent pas aux questions qui se posent au niveau technique et au niveau du programme. Un projet Ariane 6 véritablement européen avec un financement européen nécessite un accord politique entre les Etats", expliquent-ils.

Un débat déjà tranché par Geneviève Fioraso

En plein coeur de l'été 2012, Geneviève Fioraso avait réussi à remettre les industriels (Astrium et Safran) et le CNES, qui divergeaient gravement sur l'avenir de la filière lanceur, autour d'une table pour partir unis à la conférence ministérielle de l'ESA à Naples. "C'était ma condition. Si on y allait en ordre dispersé, on s'affaiblissait", avait-elle alors expliqué à La Tribune. Notamment face aux Allemands. Elle était finalement parvenue à arracher un accord aux industriels et au CNES avant de partir à Naples. A la conférence ministérielle de l'ESA, Paris avait ainsi réussi un joli tour de force en imposant dans le calendrier de l'ESA, face à une Allemagne très réticente, le programme Ariane 6. "Avant la ministérielle, l'Allemagne voulait Ariane 5 ME et une forte contribution à la Station spatiale internationale (ISS), expliquait un très bon observateur du dossier. Après, il y a Ariane 6 dotée d'un budget, Ariane 5 ME, qui reste et, enfin, un accord plus équilibré sur l'ISS". Du coup, l'ESA se retrouve avec deux programmes lanceurs en développement. "Après des discussions intenses, la France et l'Allemagne sont aujourd'hui unies dans une vision commune de l'espace pour les 10 ans à venir, avec des engagements précis, de moyen et long terme", avait expliqué le ministère dans un communiqué.

Après la ministérielle, Geneviève Fioraso n'a pas lâché les industriels. La ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche a institué des rendez-vous réguliers avec le CNES et les industriels du spatial afin de fluidifier les relations entre les grands patrons de cette filière. Elle a également demandé aux industriels de travailler sur une feuille de route pour Ariane 6. C'est dans ce contexte qu'elle avait convié le 10 décembre au ministère pour un déjeuner les grands patrons du CNES et des principaux industriels de la filière spatiale (Astrium, Safran, Thales Alenia Space, Air Liquide et Arianespace) pour échanger sur les résultats de Naples et établir la feuille de route jusqu'au prochain conseil ministériel de 2014. Elle souhaitait instituer des rendez-vous réguliers tous les semestres environ avec les mêmes participants. Elle les verra à nouveau le 11 juin.

Création du Cospace

Pour relever les défis industriels dans le domaine spatial, Geneviève Fioraso a décidé avec l'accord du ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, "d'instituer un comité de concertation État-industrie, le Cospace, à l'image de celui qui existe dans le domaine de la recherche aéronautique civile, le Corac". Une idée qui avait été lancée par son prédécesseur, Laurent Wauquiez, qui préconisait la création d'un comité de concertation de la politique spatiale. Il verra finalement le jour sous la responsabilité de Geneviève Fioraso. Elle a rappelé lors de son discours "à quel point l'espace représente un objectif stratégique pour la France et pour l'Europe, du fait des enjeux de défense et de sécurité qu'il recouvre et de la diversité de ses applications. Ces dernières concernent de nombreux secteurs de la vie du pays, qu'il s'agisse de l'observation de la Terre et de l'environnement, des télécommunications ou encore du triptyque : localisation, navigation, datation par satellite". Et de souligner que "l'espace est à la fois un outil de développement économique et une composante essentielle de l'autonomie de décision et d'action de la France et de l'Europe".

Face au "retour en force" de l'industrie américaine dans le domaine des télécommunications que dans celui des lancements associés "mais aussi, à terme plus ou moins rapproché, des pays émergents", le Cospace devrait permettre de resserrer les liens entre les industriels et l'Etat. Car, selon elle, "la politique spatiale française doit pouvoir s'appuyer sur des capacités industrielles nationales techniquement performantes et compétitives. Le modèle économique de notre industrie repose notamment sur une présence importante du secteur commercial, ce qui conditionne les emplois". Mais aujourd'hui, Geneviève Fioraso pourrait avoir l'impression d'avoir reculé de plusieurs cases avec le courrier de l'Académie de l'air et de l'espace.

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Commentaires 7
à écrit le 08/06/2013 à 21:33
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Bonjour, pour le développement future de cette fusée cette charge est trops importante pour le France, mais dans le cs d'une coopération européenne cela ne fonctionne pas correctement car chaque pays tire la couverture à soit, tout le monde veux être...

à écrit le 06/06/2013 à 14:32
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Encore un exemple où il est temps que l'on passe vraiment à une gestion européenne et non pas par les états.

à écrit le 06/06/2013 à 10:56
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Veut-on rééditer l'exploit des fusées EUROPA aux tirs tous avortés,avec une politique de lanceurs peu claire et où chacun se préoccupe des "retombées" industrielles et travaille dans son coin sans se préoccuper de l'intégration du lanceur.

à écrit le 05/06/2013 à 12:15
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c'est mal parti.Le résultat final est prévisible : ce sera le même bordel que pour les drones !! 10 bonnes années de perdues .....

à écrit le 05/06/2013 à 11:12
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Coquilles : "qui agite le petite monde spatial." petit "des conséquences industrielles "irréprarables"" irréparables

le 05/06/2013 à 11:41
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Merci à vous. Cordialement. Michel Cabirol

à écrit le 05/06/2013 à 9:34
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Une parabole spatiale dit (je cite) : "On a pas le cul sorti des ronces!"

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