« Nous voulons devenir le motoriste de référence » Olivier Andriès (Turbomeca)

Alors que s'ouvre le salon aéronautique de Dubaï, le PDG de Turbomeca, Olivier Andriès revient pour La Tribune sur la stratégie du groupe et les innovations en cours, avec de nouveaux moteurs de forte puissance.
Olivier Andriès, PDG de Turbomeca/ DR

LA TRIBUNE - Le marché des hélicoptères est depuis deux ans à nouveau sur une bonne dynamique. Quels sont les objectifs de Turbomeca ?
OLIVIER ANDRIES - Nous avons réalisé un chiffre d'affaires de 1,2 milliard d'euros en 2012. Soit un tiers provenant de la production de moteurs neufs et deux tiers venant de l'après vente et des services. Nous visons une croissance annuelle du chiffre d'affaires de 5 à 7% d'ici 2015. C'est l'objectif. Et la répartition du chiffre d'affaires entre la production et les services n'évoluera que très peu. 

Quelle est votre stratégie pour atteindre cet objectif ambitieux ?
Le développement de notre chiffre d'affaires sera généré par les nouveaux moteurs que nous développons, notamment dans le segment des moteurs de forte puissance, et la diversification de notre portefeuille clients. Mais Turbomeca n'arriverait pas à atteindre ces objectifs sans le soutien du groupe Safran qui lui donne les moyens de mettre en œuvre une stratégie, fondée en fait sur quatre axes. Et le premier repose sur la diversification de notre portefeuille clients. 

Ce qui veut dire que vous voulez vous émanciper d'Eurocopter ?
Nous nous sommes développés historiquement aux côtés d'Eurocopter et nous en sommes très fiers. Quand Eurocopter devenait leader mondial, Turbomeca devenait également leader mondial des moteurs d'hélicoptères. Il existe donc un partenariat très fort et très étroit entre les deux entreprises. Et, si nous nous en réjouissons, nous comprenons tout à fait qu'Eurocopter puisse faire jouer la concurrence sur les nouvelles plates-formes. Les deux sociétés évoluent sur un marché ouvert. C'est bien pour cela que Turbomeca doit développer des éléments de résilience. Ce qui veut dire que l'entreprise doit être capable de résister à tous les vents. Et l'un des éléments important de cette résilience, c'est de diversifier notre portefeuille clients. Car 80 % des moteurs neufs que nous livrons aujourd'hui le sont à Eurocopter. Nous voulons devenir le motoriste de référence. 

Faut-il parler de révolution ou de simple évolution avec le contrat de motorisation que Turbomeca a signé en juin dernier avec le rival d'Eurocopter, l'américain Bell ?
Le contrat signé avec Bell est une étape historique. En 50 ans de production de moteurs d'hélicoptère, Turbomeca n'avait jamais travaillé avec Bell et réciproquement. C'est une étape majeure dans la longue histoire de Turbomeca.

Quand vous avez commencé à discuter avec Bell, avez-vous averti Eurocopter ?
Non, pas du tout. Notre mission est de développer Turbomeca. Quand General Electric et Snecma négocient un contrat avec Boeing, ils ne demandent pas la permission, ni n'informent préalablement Airbus. C'est une règle de base. Toutes les discussions que nous avons avec tel ou tel restent absolument confidentielles. Nous avons des murailles de Chine. Tout comme Eurocopter n'apprécierait pas que nous évoquions ce qu'on fait avec eux à tel ou tel autre. Eurocopter et son PDG, Guillaume Faury, ont parfaitement compris notre stratégie et le mouvement que nous avons fait. Nous sommes deux sociétés différentes. Nous ne sommes pas intégrés verticalement. Chaque société a sa propre stratégie. La nôtre est de développer notre résilience. Mais encore une fois, la relation avec Eurocopter restera une relation très, très forte pour le meilleur bénéfice des deux entreprises. 

Finalement pourquoi ce partenariat avec Bell n'est-il pas arrivé plus tôt ?
Il y a plusieurs raisons à cela. Historiquement, Turbomeca a été longtemps perçu aux Etats-Unis, notamment, comme le motoriste d'Eurocopter. La direction générale de Bell a compris que nous étions un motoriste à part entière et que souhaitions développer notre activité avec potentiellement tous les grands hélicoptéristes du monde. A partir de là, deux grandes sociétés telles que Bell et Turbomeca devaient un jour se rencontrer. Deuxième élément important, nous avons développé ces dernières années une image positive auprès de nos 2.500 clients opérateurs à travers nos contrats de support. Turbomeca a beaucoup travaillé ces cinq dernières années sur la performance de son support. Que ce soit sur la fiabilité des moteurs et sur le niveau du service rendu. Bell a pris conscience que l'image de Turbomeca était fortement améliorée. 

A quel point votre image s'est-elle améliorée ?
Nous étions, il y a cinq, six ans, dernier de la classe pour ce qui était de la performance de notre support en service. Aujourd'hui, Turbomeca est revenu au niveau de ses concurrents en termes de prestations de services et de support. Cela veut dire que nous nous sommes fortement améliorés alors que nos concurrents sont restés peu ou prou à un niveau qui était le leur. Cette forte amélioration a été un élément fondamental dans la décision de Bell. Pourquoi ?Parce que l'image de marque de Bell repose sur la qualité de son support. Le directeur général de Bell m'a confié qu'« il était inconcevable pour nous de travailler avec Turbomeca il y a cinq ans parce que la qualité de votre support n'était pas au niveau ».

Quelles sont les autres raisons du choix de Bell ?
Quand Bell est venu nous voir à l'été 2012, nous avons beaucoup discuté de la préparation de l'avenir. Ils nous ont posé beaucoup de questions et se sont convaincus que Turbomeca était une société qui préparait son avenir en investissant beaucoup d'argent pour développer les moteurs de demain. Ils ont compris que nous serions encore un acteur dans 40 ans. Enfin, ils ont été impressionnés par le site de Bordes. Ils ne s'attendaient pas à voir au pied des Pyrénées une usine aussi moderne. 

Ce contrat avec Bell a-t-il eu un impact sur le marché ?
Effectivement. Des clients nord-américains nous ont dit que c'était très important car Turbomeca ne serait plus perçu comme le motoriste d'Eurocopter mais comme un motoriste à part entière.

La porte de Turbomeca est donc ouverte à tous les hélicoptéristes…
… Si un autre grand hélicoptériste occidental vient nous voir pour motoriser un de ses produits avec Turbomeca, nous étudierons cette opportunité. Nous ne nous interdisons rien à condition que le partenariat fasse du sens. Il n'y a pas beaucoup de grands hélicoptéristes occidentaux : Eurocopter, Bell, AgustaWestland et Sikorsky. Pour autant, je vous rappelle que Turbomeca s'était déjà diversifié en travaillant avec HAL en Inde, Avic en Chine et Russian Helicopter en Russie.

Quel est votre deuxième axe stratégique ?
L'innovation et la préparation du futur. Nous investissons 15 % de notre chiffre d'affaires en recherche et développement. Nous avons décidé de développer toute une gamme de moteurs de nouvelle génération sur le segment des hélicoptères moyens et moyen lourds de 5 à 8 tonnes (avec des turbines de 1.000 à 2.000 chevaux) ainsi que celui des hélicoptères lourds de plus de 10 tonnes (avec des turbines de 2.500 à 3.000 chevaux). Turbomeca se positionne face à Pratt & Whitney (P&W) et General Electric (GE). Dans le premier segment, nous n'avions pas d'offre. Nous avons donc décidé de développer l'Ardiden - tous nos moteurs ont des noms de sommets ou de rivières des Pyrénées -, un moteur de nouvelle génération de 1800 chevaux, qui apporte un gain de consommation de 11 % à 12 % par rapport aux moteurs de la concurrence, dont le PT6 de P&W. Nous sommes également en train de développer l'Arrano (aigle en basque), moteur de 1200 chevaux dont la première plate-forme d'application sera le X4 d'Eurocopter. Sur ce marché, Turbomeca se veut offensif. 

Quand sera mis en service l'Arrano ?
Nous avons lancé officiellement le développement de ce moteur en 2012 après une préparation technologique. La première rotation est prévue au début de l'année prochaine et la certification est prévue début 2017 avec une mise en service dans le courant de la même année. L'idée est bien sûr de pouvoir le positionner sur plusieurs plates-formes. Je ne pourrai pas commenter plus avant sur ce sujet-là. S'agissant de l'Ardiden, il va motoriser deux plates-formes, l'une russe le Kamov 62 - un hélicoptère de 7 tonnes -, et l'autre chinoise, l'AC352 (ex-Z15). Cette dernière est la version chinoise de l'EC175. Ces deux appareils doivent entrer en service en 2015.

Pourquoi avez-vous décidé de vous lancer sur le marché des hélicoptères lourds ?
Dans ce segment de marché, nous avons le Makila moteur de 2.000 chevaux, qui motorise les SuperPuma, EC225 et Caracal d'Eurocopter, mais ce moteur développé il y a plus de vingt ans, ne nous permet pas de répondre aux évolutions qui se profilent. Nous avons décidé d'investir fortement sur le marché des moteurs de plus forte puissance, soit 2500 à 3000 chevaux,  pour équiper des hélicoptères de plus de 10 tonnes. Car c'est un marché très dynamique qui s'adresse essentiellement aux clients militaires et aux opérateurs spécialisés dans l'off-shore pétrolier. Les compagnies pétrolières, qui exploitent des gisements off-shore de plus en plus éloignés des côtes, ont besoin d'appareils plus lourds dotés d'un plus long rayon d'action, donc dotés de turbines plus puissantes. En valeur, les hélicoptères lourds pèsent 40 % du marché. C'est donc un marché où Turbomeca a des ambitions. A terme, nous visons 50 % de parts de marché qui sera un duopole avec GE. C'est dans le cadre de cette stratégie que Turbomeca a engagé, avec l'appui de Safran,  il y a un an et demi des discussions avec Rolls-Royce pour racheter sa participation dans un moteur de 2500 chevaux développé en commun, le RTM322, pour des plates-formes militaires, le Merlin et l'Apache des forces britanniques et le NH90.

Quel est l'objectif avec le rachat du RTM322 ?
Cette opération totalement financée par Safran s'inscrit parfaitement dans notre stratégie de pénétration du marché des hélicoptères lourds. Sur le RTM322, nous n'avions pas la même appréciation stratégique avec Rolls-Royce sur les développements potentiels du moteur. Aujourd'hui le RTM322 est un moteur 100 % Turbomeca. Avec cette acquisition, nous récupérons le savoir-faire des parties chaudes de ce moteur, qui étaient sous la maîtrise d'œuvre de Rolls-Royce. Turbomeca acquiert la maîtrise complète d'un moteur de 2500 chevaux. Nous disposons désormais d'une totale autonomie stratégique et commerciale pour développer de nouvelles activités à partir du RTM322. Et depuis ce rachat, nous avons signé un contrat de support à l'heure de vol de 425 millions d'euros avec le ministère de la Défense britannique pour assurer le soutien de près de 400 moteurs. 

Certains estiment que vous avez payé trop cher…
Safran a payé le prix que nous croyons juste. Le RTM322 est un programme mature. Ce qui veut dire que plus de la moitié du chiffre d'affaires proviendra de l'après vente et des services. Sur les contrats de support, on est sur des contrats long terme, donc une activité résiliente comme le contrat signé avec le ministère de la Défense britannique. Enfin, Turbomeca doit encore livrer 260 moteurs neufs pour le NH90, qui vont générer par la suite du chiffre d'affaires d'après-vente. Nous avons 1.100 moteurs RTM322 qui volent. Dans le militaire, ces appareils volent 200 heures en moyenne par an. C'est de l'activité récurrente.

Avez-vous d'autres ambitions sur ce marché ?
Nous avons lancé un démonstrateur technologique (Tech 3000) en vue de développer un moteur de 3.000 chevaux. Soit un compresseur, une des turbines haute pression - un programme sur lequel Turbomeca travaille avec Snecma -, et une chambre de combustion de nouvelle génération. Ces briques technologiques sont développées dans le cadre du programme d'investissement d'avenir (PIA). Ce démonstrateur a une double vocation, une application hélicoptère et une autre pour un turbopropulseur. La première application sera très probablement dans le domaine des hélicoptères civils.

Quels sont vos ambitions dans les pays émergents ?
C'est notre troisième axe de croissance. Historiquement, nous avons une relation ancienne avec la Chine et l'Inde, qui représentent environ 20 % de notre production de moteurs neufs. La moitié des hélicoptères qui volent respectivement en Inde et en Chine sont motorisés par Turbomeca. Clairement nous avons une relation privilégiée avec les acteurs politiques et industriels dans ces deux pays, HAL en Inde et Avic en Chine tant dans la partie hélicoptères et que dans la partie moteurs. Nous avons développé des partenariats industriels et technologiques avec l'Inde et la Chine.Notre stratégie est de capitaliser sur cette relation ancienne, de poursuivre les opportunités de croissance et de rester le partenaire de référence des acteurs industriels de ces pays. Nous avons des discussions tant avec l'Inde que la Chine sur des opportunités nouvelles.

Et la Russie ?
En Russie, nous ne livrons pas encore de moteurs de série mais nous avons beaucoup développé notre relation avec l'industrie russe dans les hélicoptères, qui est forte et reconnue mondialement. Les Russes ont déjà sélectionné Turbomeca sur deux plates-formes, un hélicoptère léger, le Kamov 226, un bimoteur de 2,5 tonnes, et le Kamov 62, un hélicoptère de nouvelle génération de sept tonnes qui vise les marchés internationaux, notamment l'off-shore. Avec les Russes, nous discutons également de nouvelles opportunités.

Quel est le dernier axe de votre stratégie de croissance ?
Les services, qui représentent les deux tiers de notre chiffre d'affaires. Nous développons les contrats à l'heure de vol. C'est l'avenir dans le cadre d'une stratégie de fidélisation du client. Avec ce type de contrat, nous optimisons la satisfaction de nos clients en proposant en fait une assurance. Ce que nous vendons à notre client, c'est une garantie de disponibilité de ses moteurs. On lui garantit qu'il pourra voler. C'est ce qui compte pour le client. Turbomeca lui  donne aussi une visibilité sur ses coûts puisque nous le facturons à l'heure de vol. S'il vole 100 heures, il sait ce qu'il doit payer. 

Et ça marche ?
Ce type de contrat rencontre de plus en plus de succès à la fois dans le domaine militaire que dans le domaine civil. Nous avons été les premiers en France à signer un contrat à l'heure de vol avec le ministère de la Défense. Nous gérons le maintien en condition opérationnelle (MCO) et les stocks des 1.400 moteurs d'hélicoptères de l'Etat français : armée de l'air, armée de terre, marine, douane, gendarmerie, DGA. Nous avons déployé des équipes techniques sur les bases. Et nous faisons désormais  la même chose avec le ministère de la Défense britannique avec la flotte de RTM322. C'est le cas également aux Etats-Unis avec les gardes côtes américains. Nous gérons à peu près 250 moteurs répartis sur les 18 bases des gardes côtes aux Etats-Unis. Nous avons aussi un contrat de cette nature avec l'armée de terre américaine et avec d'autres armées dans le monde. Tous nos clients dans l'off-shore pétrolier sont sur ce modèle-là puisqu'ils opèrent partout dans le monde des centaines d'hélicoptères. C'est enfin le cas aussi pour l'urgence médicale.

Trois ans après son inauguration, quelle est la plus-value de Bordes pour Turbomeca ?
Ce nouveau site a représenté un investissement pour Safran de 100 millions d'euros et a été accompagné de la création d'un centre de formation d'apprentis et d'un hotel d'entreprises qui ont été financés par les collectivités locales, en premier lieu le Conseil Régional d'Aquitaine,  et  qui ont permis de créer un écosystème autour de Turbomeca. Ce nouveau site avait deux objectifs, qui ont été atteints. Le premier très important était de mettre le bureau d'études à proximité des ateliers de manière à ce que la communication entre le monde de la technique et le monde de l'industrie soit très forte dès les phases amont de développement des moteurs. C'est acquis. Le deuxième objectif était une optimisation de notre organisation industrielle. La nouvelle usine nous a permis de réduire les cycles de production en les divisant par deux depuis l'ouverture de la nouvelle usine.

C'est-à-dire ?
Le cycle total - de la production des pièces jusqu'au montage moteur à l'intérieur de Turbomeca - s'élevait à presque 200 jours. Il a déjà été réduit en moyenne à 100 jours environ. L'objectif est même de descendre à 60 jours dans les deux, trois ans qui viennent. Aujourd'hui, plus de la moitié de nos lignes de production ont déjà atteint ce niveau de 60 jours. Avec la nouvelle usine, nous avons pu déployer tous les outils de «lean manufacturing». Ils nous ont permis de réduire les cycles et la non qualité. Le troisième impact très important à mes yeux : il est un élément de fierté pour les salariés et il est un superbe outil de marketing.

Ces prochains mois vont être décisifs pour la filière hélicoptériste française en matière d'export en Pologne et au Qatar ?
Effectivement 2014 est une année de contrats export dans le domaine des hélicoptères, notamment pour le Caracal et le NH90. C'est difficile de faire des paris sur l'issue de ces compétitions mais j'ai bon espoir que l'on en gagne. Nous essayons de mettre toutes les chances de notre côté. C'est vrai que ce sont des contrats très importants pour la filière hélicoptère française et nous nous tenons totalement aux côtés d'Eurocopter dans ces campagnes stratégiques.

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Commentaires 2
à écrit le 17/11/2013 à 8:43
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Je comprend mieux pourquoi dans les séries Néo ,AIRBUS les motoristes son Alliance et surtout Royce Rolls...et que pour des raisons évident de rentabilité ...ces avions seront produit à Mobile, LA,USA...

le 18/11/2013 à 12:11
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Relisez l'article je pense que vous en avez besoin!

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