Privatisation d’Ariane 6 : comment Airbus et Safran négocient le "casse du siècle"

Les deux industriels demandent aux Etats de prendre à leur compte tous les risques majeurs liés à l’exploitation du futur lanceur, notamment ceux générés par un éventuel échec de lancement. Airbus et Safran prennent en outre un chèque de plus de 2 milliards d’euros des Etats pour développer les deux versions du lanceur Ariane 6.
Michel Cabirol
Le projet du futur lanceur de l'Europe de l'ESA et du CNES est en concurrence avec celui d'Airbus Group et de Safran

Après le coup de force d'Airbus et de Safran du 17 juin pour privatiser Ariane 6 (création de la société commune rassemblant leurs activités lanceurs civils puis à terme Arianespace, voire l'activité lanceur du CNES) sans aucun débat national ni d'ailleurs européen, les deux industriels tentent maintenant le "casse du siècle". Ils ont effectivement monté tout un plan ambitieux pour exploiter les lanceurs Ariane 5 ME et/puis Ariane 6 en voulant tous les pouvoirs... sans en assumer les risques. Aux Etats donc, tous les risques majeurs liés à l'exploitation (échecs de lancement, changement des législations), aux industriels un chèque en blanc pour gérer la filière lanceur à leurs mains.

Un chèque de 2,6 milliards pour Ariane 6

Au passage, ils veulent un chèque de l'Agence spatiale européenne (ESA) d'environ 2,3 milliards d'euros pour développer entre 2015-2025 les deux versions d'Ariane 6 en devenant l'autorité de design des futurs lanceurs européens. Exit donc le CNES et l'ESA dans le développement des lanceurs européens... Une somme à laquelle les industriels ont rajouté au moins 300 millions d'euros pour les infrastructures au sol, dont 150 millions pour le bâtiment lanceur d'assemblage final (BLAF). Bref une facture à 2,6 milliards d'euros pour l'ESA. Et pourquoi faire ? Pour développer deux mini-Ariane 5... Sans compter que le montant de 1 milliard d'euros environ pour terminer le développement d'Ariane 5 ME.

Nul doute que les ministres européens des pays membres de l'ESA en charge de l'Espace, qui se réunissent mardi 8 juillet à Genève pour préparer la prochaine ministérielle prévue en décembre à Luxembourg, vont poser un certain nombre de questions sur cette proposition des industriels très avantageuse pour leurs marges. D'autant que Airbus Group et Safran demandent un chèque de 2,6 milliards dès le démarrage du programme Ariane 6.

Un partenariat à risques public/privé

Ce n'est ni plus, ni moins, ce que Safran et Airbus ont proposé sans complexe le 18 juin dernier dans un document d'une cinquantaine de pages à l'ESA, selon nos informations. Une nouvelle organisation de la filière via un "partenariat à risques public/privé"... qui semble très déséquilibré aux dépens de la puissance publique. Car les revendications des deux industriels ne s'arrêtent pas à cette nouvelle organisation.

Ils souhaitent que les Etats remettent la main à la poche pour des développements complémentaires (moyens de production, exploitation et coûts de transition) au cas où l'évolution du marché l'exige. En outre, les Etats prendraient à leur charge le maintien en condition opérationnelle du Centre spatial guyanais (CSG).

Quatre lancements institutionnels par an

A partir de 2016, ils demandent également à l'ESA de garantir quatre lancements institutionnels par an pour tenir les prix de lancements avancés : 85 millions d'euros pour Ariane 6.1 (une demie-Ariane 5 ECA actuelle) et 69 millions pour Ariane 6.2 (une demi-Ariane 5ES actuelle). Loin des 60 millions de dollars que demande actuellement SpaceX pour un lancement Falcon 9. Pour tenir ces prix, qui s'éloignent aussi des 70 millions prévus initialement par l'ESA, les deux partenaires demandent à l'Agence européenne de lui garantir un tiers de ses lancements annuels. Du jamais vu. Car Arianespace n'a jamais bénéficié de ce traitement de faveur.

Les prix proposés par les deux industriels seraient garantis à partir d'une cadence de production de douze lanceurs par an (4 Ariane 6.2 et 8 Ariane 6.1) et de 28 moteurs à poudre (2x12 Ariane 6 ; 1x4 Vega) lorsque le nouveau lanceur sera en régime de croisière et par l'achat d'un lot de 30 lanceurs, après un lot initial de 15 lanceurs.

Michel Cabirol

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Commentaires 28
à écrit le 08/07/2014 à 12:21
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La recherche spéciale en UE et aux USA s’est toujours inscrite dans un vaste complexe industrialo-étatique, ce qui n’est pas un mal en soi. Tout dépend des conditions du partenariat : qui finance, qui supporte les risques, qui récupère la technologie...

à écrit le 08/07/2014 à 0:29
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encore les dogmes de l'ouverture totale à la concurrence sans précaution, le fruit de quelques technocrates bruxellois, et en va ensuite constater les dégats, les délocalisations, la perte d'emplois, la montée en puissance de la chine.....ce sont les...

à écrit le 07/07/2014 à 20:57
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La socialisation des pertes est un classique...

à écrit le 07/07/2014 à 18:56
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Les industriels jaloux des banquiers ??? ( voila le titre que je propose!) Apres plusieurs années de crise, durant lesquelles les etats, et les banques centrales sont venus " au secours" des banques, pour garantir nationaliser les pertes boursieres ...

à écrit le 07/07/2014 à 18:46
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Nouvel exemple qui montre que la souveraineté des états est devenu une vaste blague. Le monde de la finance est devenu la nouvelle Bastille à prendre...

à écrit le 07/07/2014 à 18:42
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Le CNES et l'ESA ce n'est que " doublonage "qui côute très cher aux contribuables Français d'abord Européens ensuite. J'ai lu" le CNES une pépite "; à une époque lointaine certainement, aujourd'hui c'est à regarder de plus près. A Toulouse + de 2000 ...

le 07/07/2014 à 23:34
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Vous avez un sacré culot pour dire de telles bêtises. Alors comme ça ni l'ESA ni le CNES ne touchent à Ariane ??? Avez vous seulement une once de connaissance du milieu Ariane ou bien participez vous à la cabale organisée par les industriels contre l...

le 08/07/2014 à 19:35
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Désolé mais à Toulouse je dis bien à Toulouse le CNES ne touche pas à Ariane. C'était il y a peu à Evry et maintenant en équipe commune CNES/ESA à Paris- Dauménil. A Toulouse je maintiens pas d'Ariane

le 09/07/2014 à 0:24
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Faux ! La Sous Direction Sol qui fait partie de la Direction des Lanceurs du CNES et qui se trouve à Toulouse est le maitre d'oeuvre de tous les pas de tir Ariane et des principales infrastructures opérationnelles de Kourou. C'est ce qui s'appelle to...

le 28/08/2014 à 18:51
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@N'importe quoi 31kiconetrien. merci

à écrit le 07/07/2014 à 17:14
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Que font les US avec Space X ...et le reste?

à écrit le 07/07/2014 à 16:02
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Le public c'est le contribuable, vite une adoption d'une loi pour un référendum populaire ! Ces entreprises privées qui sont nées d'entreprises publiques, font les gros bras dans un contexte européens où les États ont perdus toutes souverainetés et q...

à écrit le 07/07/2014 à 13:50
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Les beaux voleurs...

le 07/07/2014 à 20:16
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Des "voleurs de haut vol" vous voulez dire ;)

à écrit le 07/07/2014 à 13:33
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au delà des gros sous, c'est surtout une question d'indépendance et de liberté pour les Européens. Airbus appartient majoritairement aux fonds anglosaxons car son capital est majoritairement flottant. Veut on qu'en plus de l'aéronautique civile e...

à écrit le 07/07/2014 à 13:28
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Un concept très prisé en France : "je prends tout le pognon mais en cas de problème je ne suis pas responsable' Pratiqué dans les plus hautes sphères de la société.

le 07/07/2014 à 16:09
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Tout à fait. Et pour en donner l'exemple.

à écrit le 07/07/2014 à 13:24
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Et pendant ce temps S3 (space suiss system) prépare des lancements à moins de 10 M$ avec retour de 2 étages sur 3 et mise en orbite de satellites "clean space". Soutien de Thales etc ... Il ne faut pas investir des milliards dans du vieux, ou essayer...

le 07/07/2014 à 21:52
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Je pense que S3 veut dire Swiss Space System (système spatial suisse) plutôt.

à écrit le 07/07/2014 à 13:23
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Au bein voui, pensez donc, avec un budget de 2 milliards, ça doit faire de sacrés pot-de-vin. On peut bien glisser une petite condition ou deux dans le contrat.

à écrit le 07/07/2014 à 13:13
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Comme d'habitude, l'investissement public avec privatisation des bénéfices, et le bon peuple éponge la facture en cas de surcoût (ce qui est malheureusement la règle dans se genre d'affaire) ...

à écrit le 07/07/2014 à 12:20
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Demain Boeing achètera Ariane 6 (ou 7) et va dire qu'on a fait "l'affaire du siècle". Pauv' France....

à écrit le 07/07/2014 à 11:21
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oui mais ... SPace X vend 50m$ le lancement commercial et 150 l'institutionnel. Pourquoi l'Europe ne ferait pas de meme ? Le CNES definit mais le client final devrait lui participer à cette definition. Mais il est vrai qu'Airbus est passé en...

à écrit le 07/07/2014 à 10:50
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Les retours d'expérience des partenariats public/privé démontrent que ça coûte à chaque fois très cher au contribuable. Mais là le débat est faussé parce que AIRBUS et SAFRAN se sont construites elles même avec d'énormes subventions publiques. J'y vo...

le 07/07/2014 à 13:26
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:)

à écrit le 07/07/2014 à 10:06
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Ces industries spatiales et d'armements ne sont absolument pas rentables et elles ne le seront jamais car les Américains les financent à fonds perdus pour des raisons militaires. La France ferait bien d'y renoncer avant d'y engloutir plus de milliard...

à écrit le 07/07/2014 à 10:01
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Bonjour, Il s'agit effectivement d'un hold-up. Ariane fonctionne parfaitement bien dans sa configuration actuelle et reste très rentable sachant qu'Ariane-space est le premier lanceur mondial en terme de nombre de lancement et de CA. Pourquoi faudr...

à écrit le 07/07/2014 à 7:50
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Le triptyque Arianespace, CNES et ESA a toujours été un bon montage pour tirer bénéfices du lancement commerciale pour alimenter la recherche spatial au sens large. c'est tout cet équilibre et la filière qui vont être fragilisé, voir détruit au nom d...

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