L'aéronautique, une exception française menacée ?

À l'heure de la mondialisation, l'aéronautique française fait figure de modèle et tire vers le haut une filière d'excellence. Mais les menaces de coupes sur les dépenses militaires inquiètent les grands industriels qui rappellent la dualité entre la défense et le civil. Alors que l'emploi dans l'industrie et la compétitivité ont été décrétés grandes causes nationales, voici quatre pistes pour la faire rester en France, alors que certains sont tentés par l'appel du large.
Michel Cabirol
La ligne d'assemblage final des A330 et A340 de l'usine Airbus de Toulouse. / DR

"Retenez-moi ou je fais un malheur..." C'est en substance le message des industriels de l'aéronautique envoyé en mai dernier à François Hollande et au gouvernement de Manuel Valls. Faute d'un investissement public minimum dans la défense et dans l'espace de l'État, les grands industriels de l'aéronautique (Airbus Group, Safran, Thales, Dassault Aviation...), qui cumulent tous des activités civiles et militaires dans leur périmètre, agitent la menace d'installer de plus en plus de capacités de production à l'étranger, et surtout de quitter la France.

« Les entreprises duales seraient contraintes de tirer les conséquences et accéléreraient leur mutation en privilégiant les activités civiles. Elles seraient alors soumises aux seules contraintes concurrentielles mondiales qui placeront l'équation nationale au second plan », avaient écrit en mai dernier au président de la République les PDG des sept plus grands groupes de défense français (Airbus Group, Safran, Thales, Dassault Aviation, DCNS, Nexter et MBDA) lorsque Bercy et Matignon voulaient sévèrement rogner le budget de la défense.

Point de salut sans un ancrage national c'est-à-dire des espèces sonnantes et trébuchantes - pour cette industrie, qui pèse de tout son poids dans l'économie française.

« On ne peut pas faire des économies sur un secteur qui marche en France », estime le président du Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (Gifas), Marwan Lahoud, dans une interview accordée à La Tribune.

En 2013, le chiffre d'affaires des entreprises du Gifas s'est élevé à 47,9 milliards d'euros, en augmentation de 9 %, à périmètre constant. La part à l'exportation (30,4 milliards), qui a connu une très forte progression (+ 11,4%), représente 79% du chiffre d'affaires consolidé. En termes de prises de commandes, 2013 a été une « année record » avec 73,1 milliards d'euros de prises de commandes, soit un bond de 49% par rapport à 2012, principalement grâce au secteur civil. Le carnet de commandes global représente entre cinq et six années de production. Cette industrie a donc "besoin de stabilité dans les programmations et d'une vision de long terme. Nous sommes une industrie de cycle long, vulnérable aux atermoiements budgétaires et qui ne peut être la variable d'ajustement de tous les gouvernements", avaient expliqué les sept PDG.

Pour autant, comme l'explique le président du Gifas, l'État peut "supprimer d'un trait de plume des crédits du budget de la défense avec des conséquences qui sont gérées" par... les industriels. Ces derniers s'adapteront mais ils pourraient finir par s'exiler à force d'être maltraités.

Garder les centres de décision et de recherche en France

Cela va de soi mais c'est mieux en le disant : l'industrie aéronautique française restera performante tant qu'elle gardera des centres de décision et de recherche en France. C'est l'une des clés de la très belle « success story » de cette industrie depuis les années 1970.

"Quand un centre de décision se déplace à l'étranger, cela peut avoir des conséquences même si elles ne sont pas immédiates. C'est important de conserver de vrais centres de décision en France", expliquait récemment à La Tribune le PDG de Vallourec, Philippe Crouzet.

Ce qui est vrai pour le patron du leader mondial des tubes sans soudure, l'est également pour tous les PDG à la tête d'un groupe industriel.

Car, à l'heure de la mondialisation, l'industrie aéronautique est déjà très tentée d'aller produire de plus en plus près de ses clients. En Asie bien sûr, mais aussi dans les pays de la zone dollar, y compris aux États-Unis pour se protéger d'un euro trop fort (voir plus loin, notre point 4). Airbus, Safran, Thales le font déjà avec une relative prudence. Ces groupes prennent toutefois garde à ne pas fâcher l'État, les salariés et l'opinion publique. Surtout en cette période inédite de patriotisme économique.

Mais l'exemple du président du directoire de Schneider Electric, Jean-Pascal Tricoire, parti s'installer avec une partie de son état-major à Hong Kong, n'est pas passé inaperçu. Un rêve qui n'est plus aussi inaccessible pour ces groupes français. D'autant qu'ils sont de plus en plus internationaux - à l'image d'Airbus Group, de Thales et de Safran -, ainsi que les principaux sous-traitants de maîtres d'oeuvre français comme les équipementiers Zodiac, Lisi, Latécoère... Encore faut-il aussi que les industriels fassent leur boulot... d'industriels. Car, à l'heure où le dogme des 10% de bénéfice avant intérêts et impôts (Ebit en anglais) est devenu une loi d'airain dans l'industrie aéronautique (Airbus Group, Thales), les groupes pourraient réduire leurs investissements pour privilégier le court terme. C'est-à-dire les actionnaires et les marchés qui ont souvent une vision de très court terme.

Est-ce aussi un objectif attractif pour les futurs ingénieurs d'Airbus, les héritiers des pionniers qui ont écrit l'histoire de ce géant de l'aéronautique (plus de 140.000 salariés) en lançant des produits qui, en dépit de toutes les crises de gouvernance et économiques, se vendent aujourd'hui comme des petits pains ? EADS continuera-t-il demain de faire rêver ? Tout comme Thales et les autres ? En 2012, la recherche & développement représentait 13,9% du chiffre d'affaires des entreprises du Gifas, dont 60% sont autofinancés. Une réussite en grande partie grâce au crédit impôt recherche (CIR).

construction aéronautique 

Un coût du travail moins cher, une fiscalité stable

Le patron d'Airbus Group Tom Enders avait été très clair début 2013. Il était nettement agacé par le coût du travail en France. "Pour ce qui est du coût du travail - je ne parle pas des salaires directs - mais des charges sociales, si celles-ci continuent à augmenter, cela va nous poser un problème dans nos embauches en France", avait-il expliqué début 2013 à l'Assemblée nationale.

Et Tom Enders sait de quoi il parle puisque c'est l'un des plus gros employeurs en France avec 54.000 salariés environ dans l'Hexagone.

« Le coût du travail en Europe conjugué au coût de l'énergie, comparé aux États-Unis, sont des données importantes. Nous sommes une grande entreprise parce que nous sommes sur le marché mondial et pour être sur ce marché, nous devons être compétitifs », avait-il mis en garde le gouvernement français.

Des propos qui rejoignent complètement l'esprit de la lettre des sept PDG français, envoyée à François Hollande en mai dernier. Faute d'environnement économique favorable, Tom Enders serait tenté de mettre les voiles loin de la France et de l'Europe.

Certaines mesures lancées par le gouvernement sont toutefois très encourageantes pour les industriels. Notamment le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) décidé fin 2012, "même si le plafonnement des aides à hauteur de 2,5 Smic en réduit l'impact, pour la filière aéronautique, à celui d'une variation d'un centime de la parité euro-dollar",
a regretté Marwan Lahoud. Et de pointer du doigt les techniciens de Bercy qui ont "châtré la mesure" et qui sont "les champions de la punition des vertueux", a-t-il lâché pendant une conférence de presse. Ce n'est pas le cas du dispositif du crédit impôt recherche (CIR) encensé par Airbus Group. Le groupe européen consacre 20 % de son chiffre d'affaires en R & D, dont 7% autofinancés.

Soit 3 milliards d'euros, auxquels il faut ajouter encore 3 milliards d'euros en investissements industriels sur les sites d'Airbus pour soutenir la recherche et la production. "Nous n'aurions pas pu parvenir à un tel niveau sans le dispositif du CIR. Le CIR constitue un atout indéniable pour la compétitivité du territoire français", avait expliqué en octobre 2013 aux députés Marwan Lahoud. Et de préciser que le CIR "constitue une des clés du succès des activités françaises de R & D d'EADS et justifie la priorité donnée à l'installation de ces dernières en France".

Le Gifas a accueilli positivement le pacte de responsabilité et de solidarité. "Il représentera en 2016 un allégement de 300 millions d'euros pour l'aéronautique. Cela représente un peu plus de 2 % des frais de personnel pour la profession", a souligné Marwan Lahoud. Une goutte d'eau face aux 8,8 milliards d'euros versés pour les salaires et aux 4,4 milliards de charges sociales.

Enfin, les groupes du secteur veulent pardessus tout la stabilité fiscale. Elle "est très importante pour nous afin de disposer d'une visibilité suffisante pour lancer des projets", a rappelé Marwan Lahoud.

Un euro plus faible face au dollar

L'euro trop fort coûte très cher à l'industrie aéronautique. Une antienne reprise par tous les PDG des groupes aéronautiques. "Quand le dollar perd 10 cents face à l'euro, Airbus perd 1 milliard", avait coutume d'expliquer Louis Gallois, alors président d'EADS. Quand les coûts de fabrication sont libellés en euro, le prix des avions d'Airbus l'est en dollar. L'ancien commissaire général à l'investissement (Louis Schweitzer vient de lui succéder), nouveau président du conseil de surveillance de PSA Peugeot Citroën, a récemment averti qu'un euro "situé autour de 1,35-1,40 dollar peut étouffer la petite reprise à laquelle nous assistons". Et d'estimer que l'euro fort constitue un "vrai problème pour nos industriels".

Le président du Gifas a enfoncé le clou.

"À chaque fois que l'euro s'apprécie de 10 centimes face au dollar, cela efface 2 % de marge. Et 2 % de marge, cela peut faire la différence dans une compétition", a-t-il lancé lors de la présentation des résultats d'Airbus Group.

Les industriels ont beau lancer des plans d'amélioration de leurs performances, les variations du dollar face à l'euro en effacent les gains. Pour les entreprises, les couvertures euro-dollar pour se protéger contre les fluctuations des monnaies coûtent également extrêmement cher.

« Produire en zone dollar est une voie, a également expliqué Marwan Lahoud. Nous avons essayé de le faire, pas autant que cela pourrait l'être. À ce stade, cela pèse lourdement sur le compte de résultat, sur le bilan, non pas seulement de l'entreprise EADS, mais de toutes les entreprises du secteur, qui sont obligées d'acheter des couvertures sur les marchés financiers, ce qui leur coûte horriblement cher. »

Bref, en dépit de sa bonne santé, l'industrie aéronautique pourrait s'envoler un jour vers d'autres ciels plus cléments...

Michel Cabirol

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Commentaires 24
à écrit le 12/02/2015 à 4:10
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Bonjour, je viens par cette présente, vous annoncer la création de l'équipes Spotters-Catalans Aéro. Nous sommes deux jeunes passionnée d'Aéronautiques souhaitant rassembler dans un premiers temps sur notre compte Facebook Spotters-Catalans Aéro ...

à écrit le 14/07/2014 à 8:43
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Oui, il y a encore un changement de portage avec la fermeture de la branche défense, mais bon cela été prévisible car il non rien developer de nouveau dernièrement , eurofliger et A400 aurons coûter chère en développement pour un marcher assez restre...

à écrit le 14/07/2014 à 7:07
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S,est claire bientôt de grande entreprise étrangère serons des concourant de premier ordre, la Chine en particulier avec s'est partenariat avec l'Europe et la Russie..... Nous leur avons donner les moyen de nous terrasser de se grand marcher.... Ensu...

à écrit le 10/07/2014 à 8:49
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L'article est en retard de quelques trains. On oublie de dire qu'Airbus Group va supprimer 20% de ses postes dans la branche Défense en mettant à la retraite au mieux mais aussi, en vendant/fermant des entités ou sites et en licenciant à terme.

à écrit le 09/07/2014 à 17:41
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C'est quoi déjà l'aéronautique française d'exception ? Dassault ? et qui d'autre ?....

le 11/07/2014 à 9:56
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A part quelques appareils Américains secrets, il n'y a aucun programme un peu important dans le monde sans au moins un équipementier Français.

à écrit le 09/07/2014 à 11:00
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les US affirment leur suprématie grâce au dollar, il faut résister et imposer l'Euro qui pour l'instant n'est qu'une monnaie de seconde zone, voila le vrai chantier..!

le 09/07/2014 à 14:54
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malheureusement, la monnaie n'est qu'un des outils de travail concerné. Il en est d'autres. Le moins efficace n'étant pas le travail au corps des élites de ceux qu'on veut soumettre, afin qu'au travers de législations ubuesques, d'accords iniques et ...

le 09/07/2014 à 15:17
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malheureusement, la monnaie n'est qu'un des outils de travail concerné. Il en est d'autres. Le moins efficace n'étant pas le travail au corps des élites de ceux qu'on veut soumettre, afin qu'au travers de législations ubuesques, d'accords iniques et ...

à écrit le 09/07/2014 à 10:37
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De l'argent, y-en-a il suffit de retirer du service un sous-marin nucléaire et on récupère allégrement un milliard par an.

le 09/07/2014 à 10:52
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Yaka, Fokon, Ysuffideu... Grand stratège vous êtes !

le 09/07/2014 à 15:45
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M ROCARD a fait une proposition similaire. Y-a qu'a mettre les SNLE sous cocon et là on récupère 4 à 5 Mde€.

le 09/07/2014 à 16:26
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y-a qu'a supprimer l'armée, l'éducation nationale, la secu bref la France et on économise 2000 milliards

à écrit le 09/07/2014 à 9:50
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à propos de la légende de la photo: A340 n'est plus produit depuis 2 ans.

à écrit le 09/07/2014 à 9:31
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Le concept de la France est de surtaxer ce qui marche au profit de subventions pour des choses improductives. A partir de là, comme tout le reste, même l'aéronautique finira par délocaliser vu qu'EADS subira un jour ou l'autre une concurrence plus im...

le 11/07/2014 à 10:01
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Si on n'avait privilégié que les choses productives, Airbus n'aurai( jamais vu le jour, les premiers bénéfices sont arrivés après plus de vingt ans et la mise en place du programme ne s'est faite que parceque l'état à maintenu en vie les industriels ...

à écrit le 09/07/2014 à 9:01
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Le plus important, ce n'est pas le coût, c'est le prix de vente qu'on obtient pour son produit. Dans la valeur ajoutée créée, il n'y a pas que le coût du travail : il y a la qualité qui justifie le prix. Ce n'est pas en expliquant à longueur de journ...

le 09/07/2014 à 9:39
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Ce raisonnement a ses limites : cf le succès de DACIA

le 09/07/2014 à 10:34
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Vous ne devez pas bien connaitre les entreprises, car vous oubliez un parametre de base qui est la concurrence. Quand bien meme vous avec une qualite parfaite et un tres bon produit, vous ne pouvez pas le vendre significativement plus cher que vos co...

à écrit le 09/07/2014 à 8:59
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C'est la presse qui est une exception menacée. Et pour cause : si les tirages baissent régulièrement, c'est que plus personne ne veut lire vos articles négatifs et catastrophistes.

le 09/07/2014 à 9:58
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La vérité est ce qu'elle est ! Souvent décevante...

à écrit le 09/07/2014 à 8:16
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Un peu plus de rigueur et de précision dans la syntaxe, s'il vous plait. Un coût (comme un prix) est élevé, prohibitif...etc.. Mais en aucun cas "Cher". (c'est le produit ou le travail qui est cher, son coût est élevé.)

le 09/07/2014 à 8:46
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C'est le sujet traité qui vous intéresse ou la frustration de ne pas pouvoir corriger des copies d'examen!

le 09/07/2014 à 11:07
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Limouzinator a bien raison. Mais il a oublié de mettre un accent au "î" de "s'il vous plaît". Comme quoi...

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