Armement : entre consolidation franco-allemande et nationalismes

La France et l'Allemagne ont une chance historique de rapprocher de façon équitable leur industrie de la défense. Pour gagner ce pari, il faudra surmonter les nationalismes.
Michel Cabirol
Le rapprochement en cours entre Nexter et Krauss-Maffei Wegmann (KMW) dans l'armement terrestre va-t-il aboutir ?

Entre la France et l'Allemagne, il existe actuellement et indéniablement une fenêtre de tir pour une consolidation industrielle dans le secteur de la défense. Le rapprochement en cours entre Nexter et Krauss-Maffei Wegmann (KMW) dans l'armement terrestre, puis les ventes des groupes navals allemands Atlas Elektronic, voire ThyssenKrupp Marine Systems, accréditent cette tendance. D'autant plus que ce processus est encouragé officiellement par Berlin.

Mais ce processus ira-t-il à son terme en surmontant notamment les nationalismes des deux pays dans un domaine qui touche la souveraineté nationale ? Pas sûr même si le ministre allemand de l'Economie, Sigmar Gabriel, a appelé mi-août le secteur à "faire ce qu'il aurait dû faire depuis 15 ans", à savoir se consolider et renforcer son intégration européenne.

Danger sur le rapprochement Nexter et KMW ?

Les signaux restent contradictoires en Allemagne. Selon la presse allemande, Sigmar Gabriel préférerait voir le groupe d'armement terrestre Krauss-Maffei Wegmann (KMW) se rapprocher de son rival et partenaire allemand Rheinmetall plutôt qu'avec le groupe français Nexter. Et le ministre exerce déjà une forte pression sur KMW en lui annulant des contrats signés vers des pays qu'il considère à risques. Il souhaiterait que l'Allemagne cesse d'exporter vers les pays de la péninsule arabique, en particulier l'Arabie Saoudite, un gros client de l'industrie allemande, et le Qatar.

Déjà, une vente de 200 Leopard A7 en Arabie Saoudite a été bloquée par Berlin. La famille Bode-Wegmann, actionnaire privé de KMW et qui a voté à l'unanimité en faveur de cette opération, pourrait être contrainte de suspendre le rapprochement si Sigmar Gabriel, qui a entre ses mains un puissant levier pour faire capoter cette opération, s'obstinait à mettre des bâtons dans les roues de KMW à l'export. Car cela dégraderait la valeur du groupe. Pas sûr donc que la famille veuille brader in fine ses intérêts.

Cette politique restrictive en matière d'exportation touche également certains programmes franco-allemands, comme le missile Milan de MBDA, qui peine à livrer depuis le début de l'année un pays du Golfe en raison des hésitations allemandes. Le président exécutif d'Airbus Group, Thomas Enders, qui a réussi à limiter l'influence des Etats français et allemand dans le groupe, a jugé que les restrictions à l'exportation pèseraient sur l'emploi en Allemagne. Et a estimé que cette politique pourrait freiner le développement secteur en Europe. "Alors qu'on parle sans cesse de davantage de coopération et de consolidation du secteur de la défense en Europe, on s'attaque à des décennies de coopération franco-allemande", a-t-il regretté.

Atlas Elektronik et ThyssenKrupp Marine Systems en vente

Airbus Group envisage de vendre sa participation de 49 % dans le spécialiste allemand des systèmes électroniques de sécurité et de défense maritime Atlas Elektronik dans le cadre de la réorganisation de ses activités. Faut-il rappeler qu'Airbus Group (alors EADS) et ThyssenKrupp Marine Systems (TKMS) avaient racheté Atlas Elektronik à BAE Systems en 2005, l'emportant alors sur Thales... qui n'avait à l'époque aucune chance de gagner. Toute la classe politique allemande était alors vent debout contre le projet "Sancerre" (nom de code de l'opération chez Thales)... qui est pourtant un excellent vin de la vallée de la Loire.

A priori, Thales n'ira pas batailler pour acquérir les 49 % d'Atlas Elektronik cédés par Airbus Group, explique-t-on en interne à La Tribune. Pas cette fois-ci en tout cas surtout pour ne pas avoir la majorité. Pourtant une opération globale ferait sens. Si Thales mettait la main sur Atlas Elektronik, qui produit des sonars, des capteurs, des armes marines ainsi que des systèmes de commandement et de contrôle des armes, le groupe d'électronique pourrait devenir un des leaders mondiaux de ce marché avec un chiffre d'affaires d'environ 1 milliards d'euros.

Contrairement à Thales, TKMS a bien plus de chance de s'offrir cette participation, le constructeur des sous-marins détenant un droit de préemption sur une cession d'Airbus. TKMS, qui vient de boucler la cession de sa filiale suédoise TKMS AB (ex-Kockhums) reprise par Saab sur fonds de divergence avec l'Etat suédois, pourrait ensuite revendre 100 % d'Atlas Elektronik. Rheinmetall semble également intéressé par Atlas Elektronik, selon la presse allemande.

DCNS lorgne TKMS

Insatiable, Rheinmetall examinerait également un possible rachat des activités de construction de sous-marins (HDW) notamment de TKMS (1,3 milliard d'euros de chiffre d'affaires). Rheinmetall et ThyssenKrupp ont déjà conduit des "discussions exploratoires", selon le quotidien Handelsblatt. Le conglomérat de Düsseldorf a pourtant cédé ses derniers actifs maritimes il y a une dizaine d'années mais on lui prête l'ambition de vouloir constituer un nouveau géant national de l'armement. Outre Rheinmetall, ThyssenKrupp a contacté plusieurs acheteurs potentiels, dont le groupe naval français DCNS, selon Reuters.

DCNS, qui livre une compétition féroce face à TKMS, regarde effectivement avec beaucoup d'attention une éventuelle cession de la filiale navale du sidérurgiste. D'autant que son PDG Hervé Guillou (ex-Cassidian, ancienne filiale d'Airbus Group) connait bien l'Allemagne ainsi que le patron de TKMS, Hans Christoph Atzpodien, qu'il a côtoyé quand il était au conseil d'administration du groupe naval. C'est même lui qui a apporté la pépite française Sofrelog aux Allemands, qui ont créé Signalis, leader mondial des solutions de sécurité et de sûreté maritimes. Fera-t-il payer cette créance ? Les pressions politiques pour que le groupe naval reste allemand ne sont toutefois pas de nature à encourager les candidats. "DCNS ne fera une offre que dans la mesure où elle passe pour acceptable", a expliqué à Reuters une source française au fait de la situation. A suivre...

Depuis son arrivée aux manettes du fabricant des célèbres canons "Grosses Bertha", le patron du groupe sidérurgique ThyssenKrupp, Heinrich Hiesinger, a soumis l'entreprise à une cure drastique à coups de cessions et de remaniements. Une stratégie qui commence à porter ses fruits. Le conglomérat industriel allemand pourrait être rentable cette année pour la première fois depuis trois ans, après un bon troisième trimestre.

Beaucoup de projets, peu de réussite

A l'exception d'EADS, devenu depuis Airbus Group, qui est un cas à part - en fait un cadeau en 1999 de la France à l'Allemagne, qui pouvait difficilement refusé - et qui reste aujourd'hui encore une "success story", la plupart des projets franco-allemands ont échoué dans le domaine de l'armement en raison des nationalismes des deux côtés du Rhin. C'est le cas de Thales avec Atlas, de MBDA avec le missilier BGT (groupe Diehl), des projets jusqu'ici d'un EADS naval... Sans oublier, les veto de Berlin concernant l'acquisition de Thales par EADS en 2004 puis 2006.

Récemment l'échec des négociations sur la fusion de BAE Systems et EADS a également mis en exergue les différences entre l'Allemagne et la France sur leur stratégie pour leur industrie de défense. Des relations compliquées qui ont finalement permis un rapprochement franco-britannique dans le cadre des accords de Lancaster House.

Michel Cabirol

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 9
à écrit le 17/09/2014 à 11:08
Signaler
Pourtant la France a donné des gages aux allemands en les mettant à parité dans le défunt EADS et là encore les allemands ont cherché à y prendre le pouvoir, ils sont décidément peu partageurs.

à écrit le 17/09/2014 à 10:24
Signaler
pour travailler avec les allemands, il faut être en position de force ,; ils privilégient toujours leurs intérêts, seuls les naïfs pensent le contraire..

à écrit le 16/09/2014 à 11:10
Signaler
Une collaboration franco-allemande dans ce secteur ce serait la pierre angulaire pour une vraie Europe de la défense. Et un gage ultime de paix car on ferait difficilemnt la guerre entre associés dans une société qui marche bien. Il faudra cependant ...

à écrit le 16/09/2014 à 11:04
Signaler
Je crains que comme avec Airbus, on transfère toute notre bonne technologie et que l'on confie les postes importants aux allemands qui font soit-disant de la Deutsche Qualitat. Faut surtout se méfier du complexe d'infériorité et de l'esprit collab...

à écrit le 16/09/2014 à 9:17
Signaler
On vit un etat de guerre economique permanente et certains pensent encore comme il y a 10 ou 20 ans a de grands projets communs entre la France et l'Allemagne. La realite est moins rose et se resume a qui va soumettre l'autre, Il serait temps que les...

à écrit le 16/09/2014 à 8:44
Signaler
C'est bien, si la France unit ses connaissances dans ce domaine aux connaissances allemandes, l'Europe pourra finalement se débarasser de la botte des armements américains. Nous avons le meilleur savoir-faire du monde et, contrairement aux armements ...

le 16/09/2014 à 15:45
Signaler
Comme dans l'aéronautique où on a le Rafale, le Saab, l'Euurofighter et les Hollandais, Belge et co vont acheter du F-35 US

à écrit le 16/09/2014 à 8:44
Signaler
C'est bien, si la France unit ses connaissances dans ce domaine aux connaissances allemandes, l'Europe pourra finalement se débarasser de la botte des armements américains. Nous avons le meilleur savoir-faire du monde et, contrairement aux armements ...

à écrit le 16/09/2014 à 7:42
Signaler
"équitable" ? Hahahahahahaha...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.