Drones à tout faire, mirages ou réalités ?

En dépit d'annonces fracassantes par des entreprises prêtes à faire du "buzz", le marché des drones et de ses applications civiles est très compliqué à développer en raison d'une règlementation contraignante liée à la sécurité des personnes et des biens. Et le restera encore à moyen terme.
Michel Cabirol
Il est encore loin le temps où il y aura des autoroutes du ciel pour les drones
Il est encore loin le temps où il y aura des autoroutes du ciel pour les drones (Crédits : Reuters)

Avec les drones, il faut savoir raison garder. En dépit du foisonnement des projets des opérateurs et des constructeurs, le marché des drones civils et de ses applications est aujourd'hui très exigu... et le restera encore un bon bout de temps. Le chiffre d'affaires de cette filière s'est élevé à "moins de 100 millions d'euros en 2014" et doit atteindre "plusieurs centaines millions d'euros en 2020", selon le secrétaire de la Fédération professionnelle du drone civil (FPDC), Stéphane Morelli, qui s'exprimait le 23 septembre lors d'un colloque "Les drones : une révolution en vol", organisé par la compagnie nationale des experts de justice en aéronautique et espace. En 2018, cette filière pourrait représenter en 5.000 à 7.000 emplois (opérateurs, constructeurs et équipementiers, donneurs d'ordres), selon la FPDC.

Loin et même très loin de l'explosion claironnée toutes les semaines à travers des projets les plus fous les uns des autres d'entreprises telles que Google, Amazon, DHL... qui se font du "buzz" en s'offrant dans les médias de la publicité à bon compte. Pourquoi ? Parce que tout simplement la réglementation est aujourd'hui extrêmement contraignante, en France notamment. Il est par exemple interdit de survoler des personnes dans les zones dites peuplées. En tout cas sans autorisation. Adieu la livraison express de la pizza les soirs de match de foot ou la commande de la belle robe de soirée faite sur internet au tout dernier moment pour sortir belle comme un cœur. Une ruée vers l'or dans le domaine des services qui fait pschitt...

Un "business model" compliqué

Dans ces conditions, trouver le "business model" pour une start-up en appelant tous les jours la préfecture pour obtenir une autorisation de survol d'un drone avec une analyse des risques relève de l'exploit. D'autant que l'autorisation en poche, il faut vider le jour J le quartier de ses habitants pour faire voler un drone de moins de 25 kg. Sans parler de la disparité de traitement des autorisations préfectorales. Fin du rêve des autoroutes du ciel empruntées par des flots de drones. D'autant que les vols hors vue sont à ce jour peu pratiqués pour des raisons de sécurité.

"Il faut assurer la sécurité des personnes et des biens au sol, et des autres aéronefs dans l'espace aérien", rappelle tout simplement le chef de la mission Aviation Générale et Hélicoptère à la direction générale de l'aviation civil (DGAC), Maxime Coffin. Les drones doivent également tenir compte des vols militaires à basse altitude. Sans oublier les restrictions dans certaines zones aéronautiques à proximité des aéroports, hélistations, pistes ULM... "La réglementation a créé le marché, pas l'inverse", résume Stéphane Morelli.

90 % des drones sont utilisés par les médias...

Aujourd'hui en France, faut-il aussi rappeler cette statistique qui en dit long sur ce marché encore très balbutiant : 90 % des drones utilisés le sont par les médias, la communication, l'événementiel, les loisirs... et 10 % par l'industrie. "Beaucoup de personnes rejoignent cette filière avec un certain amateurisme en France, explique en outre Stéphane Morelli. Ce qui génère de nombreux problèmes". La FPDC recense 900 sociétés, principalement des opérateurs (676 autorisés par la DGAC et qui font voler un peu plus de 1.160 drones) et 1.600 drones en service en France.

"Beaucoup d'entrants, souvent des auto-entrepreneurs mais aussi pas mal de sortants qui déposent le bilan", constate Stéphane Morelli. Le secteur composé de TPE-PME reste encore très fragile. D'autant que de nombreuses sociétés du secteur, qui possèdent en moyenne trois drones, sont aujourd'hui sous-financées. "Une structuration est impérative", affirme-t-il. Autant sur le plan financier que sur le plan industriel. En outre, la formation des télé-pilotes doivent être encore affinée pour pallier souvent l'insuffisance des nouveaux entrants, souvent moins aguerris dans le domaine du pilotage. "La licence de télé-pilote arrive", affirme Stéphane Morelli.

Des signes prometteurs

Les drones, pour le moment aux ailes de plomb, ne seraient-ils finalement qu'une tendance à la mode qui finira par se faner ? Pas si sûr. Car, en dépit des contraintes d'utilisation, il existe toutefois des signes prometteurs. Notamment en France, un pays de longue tradition aéronautique qui reste aujourd'hui encore parmi les leaders internationaux dans la filière drone (40 constructeurs). Même si industriels et militaires français sont complètement passés à côté de la révolution de ces nouveaux systèmes d'armes, dont les soldats ne peuvent plus se passer sur les théâtres d'opérations.

En revanche, des poids lourds tricolores à l'international comme EDF, GDF-Suez et la SNCF pourraient être des moteurs de l'utilisation des drones en France. Dans des zones non-peuplées, ces groupes peuvent les utiliser pour des missions de surveillance et d'inspection d'ouvrages. Les groupes de BTP peuvent profiter des performances des drones, outre pour des inspections d'ouvrage, pour des suivis de chantiers et de la modélisation 3D. Pour les industriels dans les mines et carrières et dans l'agriculture, les drones sont utiles pour cartographier et faire des diagnostics de cultures. En outre, ils existent "de multiples services et applications potentiels", estime Maxime Coffin.

Enfin, des chercheurs travaillent énormément sur comment intégrer les drones civils dans le trafic aérien. Selon la professeur chercheur à l'École nationale de l'aviation civile (ENAC), Catherine Ronfle-Nadaud, un démonstrateur pourrait être mis au point fin 2016 par Airbus Defence & Space et Stéria notamment en partenariat avec l'ENAC, pour répondre à cette question cruciale pour l'essor du marché des drones et surtout de ses applications.

Une volonté politique

La filière drone dispose enfin d'un atout primordial pour émerger. Il existe "une volonté politique de définir un environnement règlementaire qui favorise le développement de l'activité", explique Maxime Coffin. La France a été parmi les premiers pays à se doter d'une réglementation spécifique pour favoriser l'émergence rapide d'un marché. Une nouvelle réglementation devrait être mise en œuvre très rapidement fin 2014, début 2015. Elle devrait "ne pas être trop prescriptive pour ne pas anticiper sur les développements technologiques à venir", précise-t-il.

Surtout, il faut, explique-t-il, "accepter des règles simples et légères pour les cas simples et légers dans lesquels les caractéristiques intrinsèques du drone (masse, vitesse, distance à l'opérateur) limitent par eux-mêmes les risques aux autres usagers" et "élaborer des règles plus contraignantes pour des machines ou des missions plus lourdes et plus complexes".

Enfin, la filière drones est également inscrite dans les 34 plans de la nouvelle France industrielle. L'ambition d'un plan spécifique aux drones civils est de permettre leur essor dans le domaine civil. Une part importante des nouveaux services aériens qui pourraient être proposés ne pourront être rendus que par des drones plus lourds, plus performants et plus autonomes dans le respect des exigences en matière de sécurité des biens et des personnes, selon le comité de pilotage de la Nouvelle France industrielle.

Le plan, pour son volet drones civils a vocation à lever les verrous actuels pour développer une filière industrielle, qui servira une multitude de besoins dans l'agriculture, les réseaux, ou la protection de l'environnement. "Cette diversité impose un modèle industriel réactif et à haute valeur ajoutée qui s'inscrit dans la réflexion de l'Usine du futur et qui garantit l'ancrage national des emplois liés au développement de cette activité", a précisé le comité.

Michel Cabirol

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Commentaires 3
à écrit le 02/10/2014 à 15:17
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Il n’y aura probablement jamais d’autoroute du ciel pour les drones. Reste que pour de très nombreuses applications le drone est très certainement l’outil du siècle.

le 14/10/2014 à 18:38
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Ça dépendra pour quoi. Faire la cartographie d'une zone, surveiller les animaux dans une foret ils peuvent s'avérer fort utile; mais se faire livrer un colis devant sa porte, c'est autre chose. Ils sont une bonne idée mais il faut aussi penser a régl...

à écrit le 02/10/2014 à 11:28
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J'en veux un, j'en veux un !!

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