Aéronautique : les nouveaux défis d'Icare

[ PARIS AIR FORUM ] Plus que tout autre, le secteur de l'aéronautique se situe au carrefour des deux grandes tendances qui caractérisent notre époque : la mondialisation et l'innovation.
Philippe Mabille
Tournée vers l'international avec 82 % du chiffre d'affaires réalisé à l'export, la filière aéronautique investit chaque année plus de 3 milliards d'euros en R&D.

[ PARIS AIR FORUM 2016 mardi 21 juin à Paris* ]

Que serait le monde sans le transport aérien qui rapproche les pays, les hommes et les idées (parfois les virus, aussi...) ? « Avec l'avion, nous avons appris la ligne droite » : la belle formule d'Antoine de Saint-Exupéry résonne encore dans le cœur de tous les passionnés.

La France occupe dans ce domaine une place à part, non seulement parce qu'elle a été à l'origine de l'aéronautique, mais aussi parce qu'elle a réussi à bâtir, dans une alliance européenne exemplaire, une filière qui fait chaque jour la démonstration de son excellence. Deuxième exportateur mondial, derrière les États-Unis, notre pays est doté, à Toulouse autour d'Airbus en particulier, d'une base industrielle enviée, avec 4  .000 entreprises et plus de 350 .000 salariés travaillant pour ce secteur à haute intensité technologique.

Tournée vers l'international avec 82 % du chiffre d'affaires réalisé à l'export, la filière aéronautique investit chaque année plus de 3 milliards d'euros en R&D. C'est par nature une industrie innovante, orientée sur le long terme, voire le très long terme, en raison de l'ampleur des coûts de développement des programmes d'avion. Cette caractéristique, qui fait sa force, est aussi sa faiblesse, en ce qu'elle l'expose aux aléas de la conjoncture.

L'ombre d'un retournement de cycle possible

Très porteuse dans la défense, en raison du contexte géopolitique - la France a enregistré en 2015 des records dans l'exportation de systèmes d'armes, le Rafale de Dassault en étant le symbole -, l'activité reste très dynamique dans le civil, avec des carnets de commandes pleins pour plusieurs années. Mais les meilleurs experts commencent déjà à craindre un possible retournement de cycle. Avec le ralentissement de l'économie mondiale, la demande, en particulier celle des pays émergents, pourrait se tarir. Surtout, avec la baisse importante du prix du pétrole, la stratégie d'acquisition des compagnies aériennes pourrait bien se tourner vers un marché de l'occasion pléthorique, moins économe de carburant, mais moins cher que les avions neufs. D'où l'importance des négociations en cours pour imposer des contraintes en termes d'émissions de CO2 au transport aérien.

Enfin, le duopole Boeing-Airbus, sur lequel a vécu le secteur jusqu'à présent, connaît peut-être ses dernières années avec l'arrivée, d'ici à la fin de la décennie, d'une concurrence chinoise qu'il serait bien imprudent de prendre à la légère. Technologiquement, il n'y a aucune raison pour que la Chine ne soit pas en mesure de proposer des avions de ligne aussi sûrs que ceux produits par les deux leaders du marché. Économiquement, compte tenu des besoins chinois en termes de transport aérien, il ne fait aucun doute que l'empire du Milieu voudra diversifier sa flotte avec ses propres avions.

Productivité: rester à la pointe en matière d'usines numériques

Un quatrième défi, qui concerne plus les compagnies aériennes, pourrait faire bouger les lignes : le développement du coavionnage, avec de nombreuses startups rêvant de devenir une sorte d'Uber de l'aviation. Certes, cette offre rencontrera vite ses limites dans des pays au ciel déjà très saturé, ce qui est le cas de la France et de la plupart des pays européens. Mais elle ajouterait une concurrence très disruptive dans un secteur qui n'a pas encore digéré le choc de l'arrivée des compagnies low cost, comme Ryanair ou Easyjet. D'autant que ces tendances s'affirment au moment même où s'intensifie la montée en puissance des compagnies du Golfe, tandis que les « ailes » européennes, à l'image d'Air France, sont très fragilisées car de moins en moins compétitives.

Dans ce nouveau paysage mondial, l'innovation restera la meilleure réponse pour les constructeurs occidentaux, bien armés pour faire face aux nouvelles contraintes environnementales et pour répondre à la demande des passagers aériens de toujours plus de sécurité et de connectivité. Jusqu'ici résumée dans la parité euro-dollar, la bataille entre les deux géants, Airbus et Boeing, va se déplacer sur de nouveaux terrains. La lutte pour la compétitivité se jouera moins sur la monnaie et plus sur les enjeux industriels. C'est la raison pour laquelle le secteur aéronautique est si soucieux d'être à la pointe en matière d'usines numériques, car c'est là que vont se gagner ou se perdre les dixièmes de point de productivité qui feront la différence. Fabrice Brégier, le patron d'Airbus, en est même convaincu : « Les nouvelles technologies permettront de rapatrier des productions en Europe ».

L'arrivée d'Elon Musk dans la chasse gardée de la course aux lanceurs spatiaux a, de ce point de vue, adressé un sérieux avertissement à tous les acteurs de l'industrie aéronautique : aucune place, même celle de leader mondial, n'est acquise pour l'éternité. À dix ou quinze ans, toutes les cartes du secteur peuvent être rebattues avec l'apparition de nouveaux acteurs que personne n'aura vu venir. L'ubérisation pourrait ainsi se généraliser jusque dans l'espace.

Raison de plus pour venir nombreux à la troisième édition du Paris Air Forum, notre conférence annuelle sur les grandes tendances de l'aéronautique, de la défense et de l'espace. Vous y retrouverez, le 21 juin à la Maison de la Chimie, les meilleurs spécialistes et les acteurs clefs de l'industrie pour échanger sur ces nouveaux défis.

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* PARIS AIR FORUM, le rendez-vous des professionnels du secteur de l'aviation et de la filière aéronautique, se tiendra le mardi 21 juin à la Maison de la Chimie, à Paris.

Philippe Mabille

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Commentaire 1
à écrit le 26/06/2016 à 9:17
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Belle article, mais l'on parle d'innovation et de progrès technologiques .... Malheureusement la realite est tous autre... La production europeen ( aviation, lanceur spacial) reste tres conventionnel .... A380 n'est autre qu'un gros 747, les Ariane s...

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