Australie : retour en eaux calmes pour les sous-marins de Naval Group

Le voyage en Australie du PDG de Naval Group Pierre Eric Pommellet a permis d'apaiser les relations franco-australiennes sur le méga-projet de sous-marins, qui étaient troublées ces derniers mois. Et surtout de trouver des solutions pour avancer sur le programme.
Michel Cabirol
Naval Group a passé coûte que coûte à l'heure en dépit de la crise du Covid-19 la phase d'avant-projet détaillé du programme, qui s'est terminée en janvier par une revue appelée la revue fonctionnelle du système (SFR)
Naval Group a passé coûte que coûte à l'heure en dépit de la crise du Covid-19 la phase d'avant-projet détaillé du programme, qui s'est terminée en janvier par une revue appelée la revue fonctionnelle du système (SFR) (Crédits : DCNS)

C'est un déplacement en Australie qui valait vraiment son pesant d'or. Confronté aux rumeurs propagées dans la presse locale par les opposants au projet de sous-marins développés et conçus par Naval Group et Lockheed Martin et aux incertitudes liées à son avancement, le patron du groupe naval tricolore Pierre Eric Pommellet a consenti à investir un mois de son temps pour une visite sur place (6 février au 6 mars environ) afin d'éclaircir et de traiter toutes les zones d'ombre, qui parasitaient la coopération franco-australienne depuis plusieurs semaines : deux semaines de quarantaine à son arrivée en Australie, une semaine de rendez-vous avec l'ensemble des acteurs politiques, militaires et économiques du programme et une semaine de quarantaine à son retour en France. Des rendez-vous, qui selon nos informations, se sont bien passés, notamment avec les politiques nationaux et locaux australiens.

L'objectif majeur de ce long mais indispensable déplacement de Pierre Eric Pommellet en Australie était pour Naval Group de retrouver impérativement une dynamique positive des négociations dans le cadre du programme portant sur le développement et la conception de douze sous-marins, dont le premier doit entrer en service en 2034 et le dernier au début de la décennie 2050. En Australie, le montant du programme est évalué à 50 milliards de dollars australiens (en dollars constants) pour la fabrication de 12 sous-marins (Naval Group) équipés de leur système d'armes (Lockheed Martin) ainsi que pour la construction du chantier naval à Adélaïde par le groupe australien ASC, où seront construits les bâtiments de guerre. Soit actuellement un taux de change de plus de 32 milliards d'euros.

Des accords proches d'être signés

Au final, la visite de Pierre Eric Pommellet a semble-t-il été un succès. Ainsi les deux sujets majeurs qui faisaient l'objet de discussions difficiles depuis plusieurs semaines, sont désormais proches d'un accord contractuel entre Naval Group et Canberra, selon la presse australienne. Ce qui a été confirmé à La Tribune. Si la presse australienne évoque un accord, à Paris, on estime qu'on est proche d'un accord. La différence entre les deux perceptions ? A Paris, on attend la signature de l'accord pour se réjouir enfin, le diable pouvant se cacher dans les détails. Mais, clairement la tendance semble être bien orientée même si la presse australienne a également évoqué fin février une demande du Premier ministre au ministère de la Défense d'étudier une alternative suédoise avec le constructeur Kockums à Naval Group.

Car pour Scott Morrison, ce dossier est aussi politique et donc extrêmement important pour son avenir... politique en tant que Premier ministre. D'autant qu'il est actuellement l'autorité de dernier ressort en l'absence temporaire (?) de la ministre de la Défense, Linda Reynolds, hospitalisée. Mais l'alternative suédoise à Naval Group serait coûteuse et extrêmement préjudiciable à l'Australie pour deux raisons. Si Scott Morisson souhaite changer de partenaire, il fait perdre à la marine australienne au moins quatre à cinq ans et l'Australie a déjà a investi 1,7 milliard de dollars australiens sur le projet, selon la presse australienne. Enfin, le chantier naval en construction est réalisé sur les spécifications de Naval Group.

Il semble que la menace s'est éloignée. Car la présence en Australie de Pierre Eric Pommellet a été déterminante pour faire avancer les deux négociations en cours : l'une sur la contractualisation de l'engagement de Naval Group à fournir 60% de la charge de travail aux entreprises australiennes sur la totalité du programme, en quelque sorte l'"autralianisation" du programme ; l'autre sur la contractualisation de la phase du "Basic Design" (phase de définition), une phase de deux ans d'études pour définir les 100.000 pièces les plus importantes du programme. Les signatures des contrats sont attendues "dans les prochaines semaines" en mars, avril ou mai, explique-t-on à La Tribune. En tout cas, l'échéance est attendue avant la fin du premier semestre. A Naval Group de donner à Canberra l'envie de conclure.

Naval Group respecte les budgets

Point positif, Naval Group a passé coûte que coûte à l'heure en dépit de la crise du Covid-19 la phase d'avant-projet détaillé du programme, qui s'est terminée en janvier par une revue appelée la revue fonctionnelle du système (SFR). Un jalon de plus passé à l'heure. C'était d'ailleurs LE jalon à ne pas rater pour le groupe naval. Il était très surveillée par la ministre de la Défense Linda Reynolds et son homologue française, Florence Parly. Mission réussie par Naval Group. Ce jalon déclenche automatiquement la phase suivante. C'est ce que négocie actuellement le groupe naval français avec le ministère de la Défense depuis le dernier trimestre 2020 en vue de signer le contrat de la phase du "Basic Design". Puis, ce sera au tour du "Detail Design" (conception détaillée) pour l'intégralité des pièces des sous-marins.

Cette négociation a fait l'objet dans la presse australienne d'une campagne violente de la part des opposants au projet, notamment "des ennemis de la France en Australie", comme on le pense à Paris. Une campagne qui s'étale entre la fin de l'année dernière et la fin février et qui a concentré les attaques sur les offres financières du groupe français et les dépassements de coûts. Pourquoi un tel timing pour les opposants au programme qui s'en servent également de marche-pied pour concentrer une partie des critiques sur la gestion actuelle du Premier ministre ? Deux raisons à ce déchainement : d'une part Scott Morisson est sur le point de fixer la date des élections pour son renouvellement (en fin d'année ?) et, d'autre part, Naval Group et le ministère de la Défense sont entrés dans les négociations finales pour un contrat dont le montant est très important. "C'est une phase critique du programme", explique-t-on à La Tribune.

Logiquement, Naval Group a été attaqué dans la presse en raison des offres trop chères qu'il aurait faite. Depuis l'été, le groupe a travaillé et progressé sur ses offres notamment en les adaptant aux budgets du gouvernement australien (entre 2,5 et 3 milliards de dollars australiens, soit entre 1,6 et 1,93 milliard d'euros). D'une façon générale, comme le souligne le quotidien "The Australian", qui s'appuie sur un rapport de l'Australian National Audit Office, Naval Group respecte le budget depuis 2016. "Loin de subir une explosion des coûts, des économies ont été réalisées au cours des 12 derniers mois", écrit le quotidien. L'Australie a "économisé près de 1,5 milliard de dollars", précise-t-il. Toutefois, l'opposition tente de jeter le discrédit sur un programme de souveraineté et le gouvernement Morisson en alimentant la confusion entre le coût du programme en dollars constants (dollar constant 2016) et le coût en dollars courants (90 milliards environ en 2050 en raison de l'inflation).

Vers un accord sur l'"australianisation" du programme

Si Naval Group a mis beaucoup d'énergie à clore la phase d'avant-projet détaillé du programme, le groupe français a en revanche sous-estimé un tantinet l'importance de l'"autralianisation" du programme, qui a fait l'objet, selon la presse australienne, d'une insatisfaction de la part du Premier ministre. Début 2020 avant l'arrivée de Pierre Eric Pommellet et du Covid-19, Naval Group a pris l'engagement que 60% du montant de contrat seraient dépensés en Australie. Un accord devait être signé avant la fin de l'année 2020. Ce qui n'a pas été le cas, notamment en raison de la crise sanitaire qui a réduit les déplacements et de la priorité mise par Naval Group sur la SFR. Il était prévu par exemple que le PDG de Naval Group aille en Australie dès sa prise de fonction en mars 2020 mais ce voyage n'a pas pu se faire pour des raisons sanitaires.

Résultat, cet accord non signé dans les délais a provoqué une nouvelle crise d'urticaire dans la presse australienne. La présence de Pierre Eric Pommellet a toutefois permis d'accélérer les négociations. Elle a permis "de beaucoup avancer" sur ce sujet sur lequel Naval Group souhaite vraiment s'engager sans aucune discussion. Le patron de Naval Group a d'ailleurs répondu avec le ministre des Finances australien, qui n'a pas hésité à s'afficher avec Pierre Eric Pommellet, aux questions du "Sunday Mail". Simon Birmigham a même déclaré que Naval Group et le ministère de la Défense étaient "définitivement plus proches" d'un accord. Ce qui a fait basculer la presse australienne devenue alors plus positive sur les "sous-marins français" comme on les appelle en Australie. Reste à régler une question encore en suspens : comment mesurer le niveau d'engagement de l'industrie australienne pour atteindre in fine les 60% de charge de travail du programme. Mais globalement les deux parties se sont comprises pour trouver des solutions.

En dépit des aléas des négociations, Naval Group a continué à sélectionner les sociétés australiennes, dont 2.000 se sont inscrites sur le portail du groupe, pour participer au programme. Plusieurs centaines ont déjà été qualifiées par le groupe tricolore. A ce jour, des dizaines d'entreprises australiennes travaillent déjà sur le programme. De son côté, Naval Group Australia emploie actuellement 280 personnes, dont une quarantaine de Français, et d'ici à la fin de l'année, près de 500. Dans dix ans, Naval Group emploiera 1.700 personnes en Australie et assemblera le premier sous-marin dans un hall de 350 mètres de long sur le chantier d'Adélaïde. Et l'Australie ne pourra que se féliciter d'avoir tant investi dans une industrie de souveraineté, la construction navale pour l'ile-continent.

Un budget de défense en augmentation

Les dépenses de défense australiennes devraient passer de 30,9 milliards de dollars en 2020 (contre 29,5 milliards en 2019) à 39,5 milliards de dollars en 2025, selon GlobalData. En 2021, Canberra devrait dépenser pour son budget de la défense 33,1 milliards de dollars, puis 35,8 milliards en 2022, 37,9 milliards en 2023. Cette hausse des dépenses de défense est due à la redéfinition des priorités stratégiques dans la région indo-pacifique de l'Australie, qui est confrontée à la recrudescence des tensions avec la Chine.

Le gouvernement australien investit dans des programmes dans les domaines maritime, aérien et terrestre. Les plateformes clés sont les sous-marin de classe Attack, la frégate de classe Hunter, le navire de patrouille offshore de classe (OPV) Arafura, ainsi que le F-35 et le véhicule aérien sans pilote MQ-4C Triton et, dans le domaine terrestre, le véhicule de reconnaissance Boxer et un nouveau véhicule de combat d'infanterie destiné à remplacer le transporteur de troupes blindé M113AS4.

Michel Cabirol

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Commentaires 5
à écrit le 08/03/2021 à 10:41
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C'est un contrat qui a fait l'objet d'une compétition intense et pour lequel NG a joué le Gd Jeu en proposant un système de supériorité ss marine sans équivalent à l'export, puisque dérivé à propulsion diesel anaérobie de la nvelle classe Suffren de ...

le 08/03/2021 à 18:11
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Surtout que dans les trois cas que vous citez, les ennuis ont été dût aux Allemands....

le 08/03/2021 à 18:11
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Surtout que dans les trois cas que vous citez, les ennuis ont été dût aux Allemands....

à écrit le 08/03/2021 à 10:27
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C'est fou, ça ! la presse australienne propage des rumeurs. Un truc impensable en France, où tout ce qui est écrit dans les médias est vrai. Comme on nous l'a bien appris à l'école.

à écrit le 08/03/2021 à 8:53
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Comme quoi les téléconférences ne résolvent pas tout. Pour avoir de la confiance, ils faut se parler entre quatre yeux.

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