Exportations d'armements : entre 30% et 50% de commandes en moins en 2020

Paris Air Forum. La crise de la Covid-19 a été un colossal stress-test pour toute l'industrie de défense, qui doit tourner 7 jours sur 7 au service des forces armées. Qui a réussi, qui a échoué ? Décryptage de ce qui s'est passé en coulisse durant ces neuf derniers mois dans la filière défense. Bruno Even, président d’Airbus Helicopters, Pierre-Eric Pommellet, PDG de Naval Group, Eric Béranger, PDG de MBDA et Hervé Grandjean, conseiller pour les affaires industrielles auprès de la ministre des Armées, ont livré, au cours d’un débat organisé par La Tribune, leurs retours d’expérience sur les forces et les faiblesses de l’industrie de défense française face à la crise.
"Il est très difficile de dire si les commandes qui n'ont pas été prises en 2020 sont des annulations ou des reports. Nous sommes dans un état d'extrême vigilance", partage le PDG de MBDA, Eric Béranger

L'industrie de défense encaisse-t-elle bien le choc de la crise sanitaire ? Ou doit-elle s'attendre à une année très difficile ? Le président d'Airbus Helicopters, Bruno Even, dresse un tableau contrasté. Si les hélicoptères ont continué de voler pendant cette période, avec "très peu d'annulations, le défi à court terme en termes d'activité est de rattraper le retard que nous avons pu prendre pendant le confinement", analyse le dirigeant du leader mondial sur le marché des hélicoptères.

A moyen et long terme, la situation pourrait peser sur les commandes, en raison de l'incertitude qui conduit les clients à les décaler. "Sur le marché des hélicoptères, nous voyons un impact très lourd - qui peut être de l'ordre de 40 à 50 % et que nous sommes susceptibles de voir à horizon de deux à trois ans", prévient-il, en précisant qu'à ce stade, il n'y a pas eu de mesures "dures" de réduction d'effectifs au sein d'Airbus Helicopters. "Nous sommes dans une industrie à cycles longs. Toute commande qui n'est pas prise aujourd'hui, c'est un trou dans l'activité d'ici deux ou trois ans", confirme le PDG de MBDA, Eric Béranger, qui n'a pas non plus procédé à des réductions d'effectifs.

Une industrie résiliente

De son côté, PDG de Naval Group depuis le 24 mars, Pierre-Eric Pommellet, se montre confiant, en comparant son groupe de construction navale de défense à un "navire résilient" qui, lors de cette tempête, n'a perdu "aucun client". "C'est plutôt la première partie de la crise qui a été difficile pour nous en termes d'activité et nous avons perdu du chiffre d'affaire dans l'année", précise-t-il, tandis que le deuxième confinement "se passe plutôt bien puisque nous avons réussi à trouver de nouveaux modes de fonctionnement" pendant le premier confinement, assure le patron de cette entreprise qui a recruté plus de 400 apprentis, soit au-delà de son engagement.
 
"L'industrie de défense a été résiliente", affirme de son côté Hervé Grandjean, conseiller pour les affaires industrielles auprès de la ministre des Armées. "La lutte contre le terrorisme et les opérations extérieures ne s'arrêtent pas et on ne peut pas mener ces opérations sans les industries de défense qui, embarquées avec nous dans la défense du pays, assument d'une certaine manière une mission régalienne. Vu du ministère des Armées, l'industrie de défense a tenu", insiste-t-il. Des pistes d'amélioration ? Elles se situent notamment du côté de la continuité numérique. "Il faut qu'on aille plus vite et plus fort sur les moyens de travail à distance, que ce soit du côté de l'Etat ou des industries", estime-t-il. Autre interrogation, celle du modèle économique pour certaines sociétés, qui se sont peut-être rendues compte que "la jambe défense mériterait singulièrement d'être renforcée".

L'État, client clé

Le rôle de l'État, selon les trois industriels, a été essentiel pour rendre cette industrie résiliente, à travers les différentes mesures de soutien, du plan de relance aéronautique au fonds de soutien ACE Aéro Partenaires en passant par les PGE. "L'État a été un client exceptionnel pendant cette période, à l'écoute de son fournisseur et de ses difficultés", estime Pierre-Eric Pommellet. Une manière de donner, en confirmant la LPM et les programmes, de la visibilité en période d'incertitude... De même, "le soutien à l'exportation, a été permanent", ajoute-t-il.

Pour Bruno Even, cette résilience est le "résultat d'une stratégie industrielle sur la durée. Nous sommes une filière structurée, entre le ministère des Armées, la DGA, les industriels : c'est ce qui a permis de pouvoir réagir rapidement". Quant à la LPM, cruciale pour les entreprises du secteur, dans la mesure où elle prévoit des investissements à hauteur de 110 milliards d'euros sur la période de 2019-2023, Hervé Grandjean affirme : "Nous exécutons à la lettre la loi de programmation militaire. Je n'ai aucune raison de douter que les marches ultérieures ne seront pas tenues".

Baisse significative de commandes à l'export

Reste qu'au vu d'une baisse potentielle des budgets de défense de certains pays, qui pourrait entraîner un recul des commandes à l'export, les industriels de défense tricolores jouent gros. "L'export est l'un de nos enjeux majeurs de la période", confirme Bruno Even, en notant le risque qu'un certain nombre d'investissements et de décisions soient repoussés dans le contexte d'incertitude et de contraintes budgétaires. Autre difficulté sur un marché en contraction, "la concurrence le vit de la même manière, ce qui se traduit par une agressivité encore plus forte de sa part", relève le patron de cette entreprise duale (civil et militaire), qui engrange 80 % de ses revenus à l'export et qui va enregistrer cette année une réduction de 30 % de ses commandes venant de l'étranger.
 
De son côté, MBDA accuse également une baisse des commandes à l'export cette année. Entre 30% et 50% en 2020. "Il est très difficile de dire si les commandes qui n'ont pas été prises en 2020 sont des annulations ou des reports. Nous sommes dans un état d'extrême vigilance", partage Eric Béranger. "La communauté défense France dépend de l'export, c'est un enjeu extrêmement important", martèle-t-il. Et ce, aussi bien pour les grands maîtres d'œuvre que pour les PME et les ETI qui, aujourd'hui, "n'ont plus de visibilité à l'export et qui attendent avec impatience que cela puisse repartir", dit-il.
 
"Certains États retardent clairement leurs décisions en raison de l'incertitude liée à la crise", observe pour sa part Hervé Grandjean. Autre facteur, les quatorzaines, qui ne facilitent pas la réalisation de campagnes commerciales sur le terrain et la quasi absence de trafic aérien long courrier. "Et il y aura sans doute une tendance des États, quand ils sont dotés d'une industrie nationale, à la favoriser plutôt qu'à acheter à l'étranger", décrypte-t-il. Résultat, le bilan des exportations françaises en 2020 est "en retrait à ce stade par rapport à 2019", fait-il valoir. Mais, Hervé Grandjean reste encore prudent sur le bilan de fin d'année en raison de nombreuses "négociations actives" en ce moment entre les industriels français et les clients à l'étranger. Au-delà de 2020, il se monte "raisonnablement confiant" en raison de la situation géostratégique tendue dans le monde.

BITD : 120 entreprises en situation préoccupante

Enfin, l'un des enjeux majeurs de l'industrie de défense est de préserver la supply chain et la base industrielle et technologique de défense (BITD). "La ministre a souhaité mettre en place un thermomètre et des moyens pour ausculter la BITD et identifier les entreprises les plus fragiles", indique Hervé Grandjean. Concrètement, une centaine de personnes sont ainsi chargées d'aller visiter les usines et les bureaux d'études et de discuter avec le management pour qualifier la nature de l'aide qui est attendue.

"Nous avons identifié 1.200 entreprises de la BITD qui méritent un suivi particulier sur nos 4.000 entreprises de défense. Quelque 120 sont dans un état de santé préoccupant, au sens où elles nécessitent des moyens de remédiation". Et d'assurer : "nous avons mis en place tous les leviers dont l'État est capable au plan national ou avec nos relais à l'export pour aider ces entreprises".

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 9
à écrit le 11/12/2020 à 15:21
Signaler
De surcroît Londres a signé un contrat de libre échange avec Singapour .

à écrit le 24/11/2020 à 16:43
Signaler
Réponse à Makno Au moins c'est du travail, pas du parasitisme social.

à écrit le 24/11/2020 à 12:15
Signaler
comme quoi, il y a aussi de bonnes nouvelles.

à écrit le 24/11/2020 à 11:31
Signaler
tout le monde ne peut pas se faire la guerre tout le temps ! être sur ce segment alors que nous sommes en pleine transformation est plutôt une bonne nouvelle ! Car ce sont souvent des commandes d'états, ce qui est pour le coup la seul chose que l...

à écrit le 24/11/2020 à 10:21
Signaler
Voilà enfin une bonne nouvelle parmi les incertitudes des suites économiques de la pandémie : une évolution probable vers un niveau plus normal des ventes d'armes par la France à des pays en guerre.

le 24/11/2020 à 18:39
Signaler
A défaut d'armes on pourra toujours esayer de vendre les leçons de morale à deux balles qui restent la spécialité incontestée de la France. Dommage que le covid y soit insensible.

à écrit le 24/11/2020 à 9:27
Signaler
La baisse de nos exports d'armement est inévitable dès lors qu'ils dépendent de l'accord de nos partenaires, en particulier des allemands qui apparaissent ainsi comme les maitres du jeu. Effarante la façon dont la France capitule depuis 40 ans deva...

le 24/11/2020 à 12:16
Signaler
eh oui, se nourrir de la mort des autres, un destin, une ambition....

à écrit le 24/11/2020 à 7:26
Signaler
Aujourd'hui, l'arme de destruction massive la plus dévastatrice, c'est la natalité. L'occident, avec toutes ses armes hyper-sophistiquées, est pour le coup, totalement désarmé façe aux pays émergeants sur ce plan là. L'Europe se rend sans se défendre...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.