Exportations d'armes tricolores vers l'Europe : une tendance structurelle ou conjoncturelle ?

Les exportations françaises de matériels militaires vers les pays européens sont en très nette croissance depuis deux ans. Si le ministère des Armées assure que cette "orientation" est structurelle, cette tendance demande toutefois à être confirmée sur le moyen terme.
Michel Cabirol
Le Rafale de Dassault Aviation va-t-il un jour atterrir dans un pays européen autre que la France ? Jusqu'ici l'avion le plus vendu ces dernières années en Europe reste le F-35 de Lockheed Martin
Le Rafale de Dassault Aviation va-t-il un jour atterrir dans un pays européen autre que la France ? Jusqu'ici l'avion le plus vendu ces dernières années en Europe reste le F-35 de Lockheed Martin (Crédits : Dassault Aviation)

Europe, Europe, Europe... Le ministère des Armées mise beaucoup sur l'Europe pour exporter les armements des industriels français. "Au cœur de la politique d'exportation que je mène depuis trois ans, il y a un choix résolu et engagé : celui de renforcer nos partenariats européens", explique la ministre des Armées Florence dans le rapport au Parlement sur les exportations d'armement de la France. Depuis deux ans, les chiffres des exportations d'armement françaises vers les pays européens lui donnent raison. Elle sont en très nette progression : 2,29 milliards d'euros en 2018, puis 3,47 milliards en 2019. Soit une part de 45% du total des exportations françaises de l'année dernière et de 25% en 2018. Une montée en puissance significative par rapport à un passé encore récent : 512,9 millions en 2017 et 486,2 millions en 2016.

"Ces résultats sont inédits, et ils ne sont pas le fruit du hasard", martèle Florence Parly. Elle a raison. En matière d'exportation, ce n'est jamais le fruit du hasard. Six clés participent en général aux succès de la France à l'exportation : des responsables politiques efficaces et surtout cohérents vis-à-vis des pays clients, la légitimité de la France à signer des partenariats stratégiques, un contexte géopolitique favorable aux ventes d'armes, une offre française opérationnelle de qualité ("combat proven"), la capacité des industriels tricolores à gérer les transferts de technologies, et, enfin, un critère indéfinissable, le "fit" qui passe entre les négociateurs (relations humaines et personnelles).

Europe, un alignement des astres ?

Les ventes d'armements tricolores vers l'Europe sont-elles vraiment structurelles ou simplement conjoncturelles grâce au fameux alignement des astres ? Au ministère, on veut croire que cette tendance est "structurelle". "On est bien déterminé à ce que cela le soit, fait-on valoir à l'Hôtel de Brienne. Nous sommes dans une logique de cercle vertueux, qui appelle d'autres partenariats". Il est  vrai que la période correspond à un rééquipement des pays européens, qui comblent certaines de leurs lacunes capacitaires avec beaucoup de retard. Trois pays européens, la Belgique (contrat chasseurs de mines marines pour 1,8 milliard d'euros), la Hongrie (contrat hélicoptères pour 631,4 millions, dont curieusement les H145M fabriqués en Allemagne) et l'Espagne (deux satellites de communications pour 434,6 millions) figurent ainsi parmi les cinq principaux clients de la France en 2019.

Ces chiffres inédits doivent beaucoup à deux contrats signés avec la Belgique en 2018 (1,1 milliard d'euros pour la vente de véhicules blindés) et 2019 (1,8 milliard pour des chasseurs de mines marines). Deux contrats qui représentent plus de 50% du total des exportations vers l'Europe sur deux ans (5,7 milliards au total). La Belgique ne sera pas toujours un des très bons clients de la France contrairement à des pays situés au Moyen-Orient, plutôt fidèles à la France depuis plusieurs décennies. Avant ces deux années exceptionnelles, Bruxelles achetait très peu de matériels français (19 millions en 2017 ; 16,6 millions en 2016 ; 15,4 millions en 2015 ; 26,8 millions en 2014 ; 48 millions en 2013...).

C'est aussi le cas de la Hongrie où la France a été jusqu'ici complètement absente. La commande des hélicoptères d'Airbus doit beaucoup aux réseaux allemands à Budapest. C'est enfin le cas, mais à un degré moindre, de l'Espagne même si, ces deux dernières années, Madrid a signé deux jolis contrats (satellites et hélicoptères NH90 pour 583 millions en 2018). Sur une décennie (2010-2019), seuls quatre pays européens dépassent la barre du milliard d'euros d'importations de matériels militaires français : la Belgique (3,1 milliards), l'Espagne (1,37 milliard), le Royaume-Uni (1,26 milliard) et l'Allemagne (1,09 milliard). C'est loin, très loin de l'intensité des exportations avec les pays du Moyen-Orient sur la même décennie : Qatar (11 milliards), Arabie Saoudite (10,7 milliards), Égypte (7,6 milliards), Émirats Arabes Unis (4,7 milliards) et Koweït (1,7 milliard).

Des prospects importants en négociations

La France peut encore espérer signer quelques contrats importants en 2020 et 2021. Plusieurs sont d'ailleurs en cours de négociations : Naval Group poursuit trois prospects très importants en Grèce (deux frégates d'intervention et de défense), aux Pays-Bas (4 sous-marins) et en Roumanie (4 corvettes Gowind). Trois campagnes où la compétition reste féroce et où tous les coups sont permis (Damen, qui multiplie les recours en Roumanie par exemple). A ce stade, rien n'est gagné. Le Rafale est quant à lui engagé dans des compétitions plus incertaines en Suisse, et surtout en Finlande, où dans ces deux pays l'avion de combat de Dassault Aviation affronte la concurrence d'appareils américains, dont le fameux F-35 (Lockheed Martin) et le F/A 18 Super Hornet (Boeing). En Suisse, l'enveloppe maximale du contrat a été fixée à 5,54 milliards d'euros.

Eurosam (MBDA et Thales) est également engagé en Suisse pour fournir un système de défense sol-air de longue portée pour un montant maximum de 1,84 milliard d'euros. Berne hésite entre le SAMPT et le Patriot (Raytheon, États-Unis). Enfin, l'hélicoptère NH90 pourrait séduire l'Allemagne (version marine), le Luxembourg (3 TTH), la Suède et la Norvège pour ses forces spéciales. Le H225 pourrait quant à lui atterrir en Islande. Le résultat de toutes ces compétitions confirmera ou infirmera la tendance observée ces deux dernière années même si au ministère, on estime que "la crise du Covid-19 pourrait accélérer la logique de souveraineté européenne". "En 2020, nous poursuivons cette politique d'exportation européenne. Nous œuvrons au quotidien pour créer de nouveaux partenariats mais aussi pour faire émerger de nouveaux instruments qui favoriseront la création d'un véritable marché européen des équipements de défense", souligne Florence Parly. A voir... Car les Européens sortent en général plus facilement leur chéquier pour signer des contrats avec les industriels américains.

Michel Cabirol

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Commentaires 6
à écrit le 06/06/2020 à 9:19
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Le mot "Exportation" signifie qu'il y a des frontière a franchir et, en Europe, elles ont été supprimé!

à écrit le 04/06/2020 à 11:31
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Pour que l'hypothèse d'une évolution structurelle soit confirmée, il est indispensable que l'offre française ait une réelle supériorité technologique, tt en s'adaptant parfaitement au besoin exprimé ds des enveloppes budgétaires acceptées, les parten...

à écrit le 04/06/2020 à 10:39
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Nous perdons du temps il faudrait nous associer au RU, seul pays crédible en matière militaire en Europe et laisser à cette dernière le choix d'arbitrer si français et anglais ne sont pas d'accord sur une intervention mais que toute l'activité économ...

à écrit le 04/06/2020 à 6:57
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Quel horreur ces articles et cette industrie lamentable!

le 04/06/2020 à 11:53
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Quel bonheur ces articles et cette industrie stratégique pour la France.

le 04/06/2020 à 16:00
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L' armée française occasionne de par le monde depuis plus de 50 ans moins de morts ds les pop civiles qu'une seule épidémie de grippe et à fortiori que cette pandémie où elle a été dignement sollicitée pour sauver des vies.

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