"Il faut à SES trois lanceurs sur le marché" (Karim Michel Sabbagh, PDG de SES)

Le PDG d'un des tout premiers opérateurs mondiaux de satellites, Karim Michel Sabbagh, sait exactement ce qu’il veut pour faire grandir sa compagnie. Il souhaite un troisième lanceur sur le marché, dont Ariane 6, pour mettre en orbite tous ses programmes de satellites. Tout comme il incite Airbus, partenaire du projet OneWeb, à clarifier son modèle de gouvernance. Enfin, Karim Michel Sabbagh lance SES à toute vitesse sur le marché de l’avion connecté.
Michel Cabirol

LA TRIBUNE - Pourquoi le lancement de Falcon 9 dans sa nouvelle configuration était-il important?
KARIM MICHEL SABBAGH - Il était important que cette mission réussisse au-delà même du lancement de notre satellite SES-9. C'était la première mission du lanceur Falcon de nouvelle génération, qui dispose d'une propulsion plus puissante que la précédente. Cette augmentation de la puissance va permettre de clairement améliorer la performance du lanceur.

Combien de temps le nouveau Falcon 9 fait-il gagner?
Le gain de temps était spécifique à la mission SES-9. Auparavant, SES-9 aurait mis quatre à six mois pour arriver à son orbite. En réalité, il mettra aux alentours de trois mois, ce qui constitue une réduction considérable.

En dépit du retard d'un an du lancement de SES-9, avez-vous toujours gardé confiance dans les capacités de SpaceX de lancer à l'heure?
Oui, nous sommes confiants. Un satellite, c'est un gros investissement à long terme, donc il faut donc être très engagé et patient. Et s'il y a délai, il faut faire avec et essayer de mieux faire à l'avenir. Avec SpaceX, nous sommes toujours directement impliqués et nous travaillons en étroite collaboration. Nous avons ainsi choisi d'être acteur dans le passage de génération de Falcon 9. C'est un nouveau programme. La réussite du lancement de la mission SES-9 va permettre à SpaceX de définir la cadence de lancements des satellites qu'ils ont dans leur carnet et d'accélérer. Mais, ne nous trompons pas : SES ne sera jamais dépendant d'un seul lanceur. Il n'y a pas que SpaceX, il faut un équilibre entre Arianespace et SpaceX. Nous comptons bien sur les deux.

Vos quatre lancements avec SpaceX en 2016 et 2017 sont-ils sûrs?
Oui, d'autant plus que SpaceX prépare un nouveau pas de tir à Cape Canaveral et en construit un autre au Texas. Ceci va leur permettre d'avoir une cadence supérieure à celle qu'ils ont aujourd'hui.

Ariane 5 reste-t-elle toujours dans la course, en attendant Ariane 6?
Nous avons le lancement de SES-12  à venir avec Ariane 5. SES-12 sera le plus gros satellite que SES ait jamais fait fabriqué. Il est extrêmement stratégique pour nous, notamment sur la région Asie. SES-15 sera également lancé par Ariane. Notre objectif en tant qu'industriel est de pouvoir disposer d'un troisième lanceur. J'ai toujours été très « old school » sur ce point et cette logique est bien acceptée dans l'industrie. Avec seulement deux lanceurs, il y a un point de faiblesse pour nous les opérateurs. C'est le scénario sur lequel nous travaillons chez SES aujourd'hui.

Quel pourrait être ce troisième lanceur?
C'est la question clé. Je pense que cette industrie est toujours dans un mode de définition. Cela pourrait être le programme russe Proton, s'il trouve une consistance, une cadence qui nous convienne et, enfin, des assurances. Nous avons des discussions très engagées avec les Russes. Mais cela pourrait être un jour Angara, qui sera opérationnelle vers 2020- 2021. Ou bien peut-être le programme japonais de Mitsubishi, qui a un bon lanceur...

Mais qui est très cher...
...Il est cher. Il n'a pas été présenté sur le marché commercial fréquemment, mais nous pourrions bien entamer une conversation intéressante avec eux.

Estimez-vous que les Russes sont redevenus fiables?
En tout cas, ils en ont l'intention. Ils nous l'ont communiquée ainsi qu'au reste de l'industrie. Ils sont plus engagés, ils prennent le temps de comprendre ce qui est important à nos yeux. Récemment, il y a eu une série de lancements réussis avec des timings dans les fenêtres de tir. S'ils arrivent à reconstruire un track record [un bilan, Ndlr] positif après la série de retards et d'échecs en 2014 et en 2015, il faudra les reconsidérer. Il nous faut trois lanceurs.

Est-ce que SES serait capable, comme Intelsat et Eutelsat, de se payer seul une Ariane 5?
Si on en a besoin, oui. Ce qui compte, c'est la flexibilité. Si SES a besoin de lancer et que c'est critique, le nouveau modèle industriel d'Airbus et de Safran permet de préparer un nouveau lanceur en quelques mois et non plus en quelques années. Ce n'est pas juste un choix économique, c'est un choix opérationnel qui peut aujourd'hui être disponible par rapport à un passé où le montage industriel était beaucoup plus institutionnel.

Allez-vous être patient avec Ariane 6?
Oui, il le faut. Nous avons de nombreuses discussions avec nos partenaires sur Ariane 6. Il a fallu plusieurs années pour converger sur une vision partagée. Ce n'était pas évident. Mais l'ESA a associé les partenaires industriels, les clients, les actionnaires pour parvenir à une définition convenant à tout le monde. Certes, il reste encore du travail, mais il faut absolument tenir le cap. Il faut être patient, résilient et resté engagé. Il y aura des obstacles mais Ariane 6 doit réussir. Falcon 9 aussi. Et un troisième lanceur doit réussir aussi car trois programmes sont nécessaires.

Êtes-vous inquiet pour la constitution d'ASL?
SES a été interrogé par la Commission européenne, qui souhaitait connaître notre position sur la création d'ASL. Nous leur avons expliqué lors d'une audition que nous supportions le programme Ariane 6 ainsi que le nouveau modèle industriel de la filière spatiale européenne, qui sera optimisé. Nous sommes aussi conscients qu'il faut aller très vite. Chaque jour de retard pris pour la création opérationnelle d'ASL peut être un jour de retard pour l'arrivée sur le marché d'Ariane 6. Il faut y penser. S'il y avait du retard, nous ne serions pas satisfaits, ni nos concurrents. Ariane 6 pourrait perdre sa place de leader sur son marché. Pour SES, ce qui compte c'est une arrivée rapide d'Ariane 6. Toutefois, la commission a soulevé une question légitime et importante avec la constitution d'ASL, dont Airbus est actionnaire. Car si Airbus est un acteur très important dans la production de satellites, il s'est également positionné dans la gestion de flotte de satellites et dans la fourniture de services.

La participation d'Airbus dans le projet OneWeb gêne-t-elle SES?
C'était très transparent depuis le début. Ce qui est important c'est qu'Airbus puisse clarifier son modèle de gouvernance, avec l'assurance que la société ASL mette sur un pied d'égalité tous ses clients. Si cette confiance existe avec un modèle de gouvernance rigoureux, c'est parfaitement possible. Ce n'est ni la première fois, ni la dernière fois qu'un industriel souhaite faire de l'intégration sur la chaine de valeur horizontale.

Êtes-vous informé sur le déroulement d'Ariane 6 par les industriels et l'ESA?
L'ESA nous a invités à participer à un groupe de travail composé des représentants de l'industrie et des opérateurs pour nous informer sur le déroulement du programme en termes de calendrier, de maîtrise technologique et industrielle. Ce sera un groupe de discussions et d'échanges. Cette initiative est très bien perçue, car la transparence est un point important pour SES.

Pourquoi ?
Ariane 6 doit être développée pour être performante sur le marché commercial. Nous avons déjà été très bien entendus sur la définition du lanceur, y compris sur la question de la réutilisation du premier étage. Nous avons expliqué qu'il était important de rester sur le design de base d'Ariane 6 mais qu'en parallèle l'Europe devait étudier le scénario de réutilisation du premier étage. Ce qu'il ne faut pas, c'est de rester figé sur le programme tel qu'il a été défini. Nous privilégions l'approche de Space X, qui mène constamment des études en parallèle pour améliorer son propre lanceur.

Pourtant, en début d'année, avec le succès de SpaceX qui a réussi à faire se poser le premier étage de Falcon 9, certains observateurs se sont interrogés sur Ariane 6.
SpaceX n'avait pas prévu au départ de développer un lanceur réutilisable, mais c'est une piste qu'ils ont voulu explorer en espérant que cette hypothèse sur le moyen terme serait validée. Si le programme Ariane 6 suit cette approche, l'Europe va réussir. La définition d'Ariane 6 est d'ailleurs compatible avec la récupération à terme de son premier étage.

Où en êtes-vous sur le marché de l'avion connecté?
Le marché de la mobilité, qui représente environ 3% de notre chiffre d'affaires, a été une très belle surprise pour nous en 2015. Il y a deux ans encore nous n'étions pas présents sur ce secteur. SES a aujourd'hui les trois plus grand mandats de notre industrie avec Global Eagle Entertainment, Gogo et Panasonic. Panasonic a signé avec nous son plus gros contrat de fournitures de capacités satellitaires, tout comme Gogo. Sur le marché de la mobilité, et donc de l'avion connecté, le taux de croissance général est très intéressant. SES a pour sa part réalisé une croissance de 25% en 2015.

Ce marché est-il vraiment prometteur?
Ce qui nous intéresse, c'est bien sûr le potentiel de croissance de ce marché qui va continuer à croître grâce à trois facteurs très favorables : le nombre d'avions connectés va continuer à grandir, la bande passante servie par avion va nettement augmenter et enfin, la proportion de passagers voyageant à bord d'avions connecté va passer de 10% ou 20% à 40%. Et SES a signé des contrats avec les trois leaders de ce marché.

Avez-vous les satellites pour servir ces nouveaux clients?
Nous avons déjà la flotte pour servir Global Eagle Entertainment, Gogo et Panasonic. Mais SES va passer à la vitesse supérieure avec les nouveaux satellites, qui vont être déployés à partir de la seconde moitié de 2016. Nous avons aussi d'autres projets car le modèle de flotte pour servir l'aéronautique doit absolument être flexible. Nous souhaitons déployer de la charge utile additionnelle à un coût additionnel marginal en utilisant des plateformes déjà financées pour d'autres applications. Ainsi, SES pourra toujours bénéficier de la dernière technologie pour accompagner l'évolution de ce segment de marché.

Votre flotte de satellites va-t-elle progresser?
SES détient une flotte de 52 satellites. Nous avons toujours des programmes de remplacement en cours, et en 2016, il y a un ou deux satellites qui vont être retirés de la flotte. Mais au total, notre flotte va progresser.

Quel est votre plan d'investissement?
Notre plan d'investissement s'établit entre 1,3 et 1,4 milliard d'Euros, soit l'équivalent de trois ou quatre programmes de satellites que nous allons finaliser. Nous voulons lancer deux nouveaux programmes cette année. Chacun de ces deux programmes aura aussi une charge utile pour le marché aéronautique. Nous avons engagé des discussions avec les constructeurs sur un modèle précis d'acquisition : nous voulons un délai de fabrication de trois ans avec une efficacité par prix unitaire (coûts par mégabits et par transpondeur réduit de 20%). C'est ce que nous voulons - donnez-nous le programme. Nos partenaires industriels ont l'opportunité de nous proposer des configurations qui nous conviennent.

Croyez-vous toujours autant aux Space Tugs?
Nous sommes très engagés dans des discussions avec des partenaires industriels. Ce n'est pas un concept à éliminer. Nous avons tous intérêt à avancer très vite dans cette technologie. Avec les Space Tugs, il sera possible de remplacer les charges utiles de nouvelles générations sans passer par un investissement de 500 millions de dollars. Avec ce concept, on démocratise plus rapidement l'espace.

Michel Cabirol

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