L'industrie spatiale européenne évite le crash grâce au programme Copernicus de l'ESA

Le programme Copernicus va permettre à l'industrie spatiale européenne de mieux surmonter la crise générée par la Covid-19. Selon le PDG de Thales Alenia Space Hervé Derrey, ces satellites d'observation de la Terre "qui s'échelonnent sur des durées longues, donnent une certaine visibilité sur l'activité à moyen terme". Mais, a rappelé le patron de l'observation de la Terre chez Airbus, Philippe Pham, ce programme est "très important mais il ne résout pas tout".
Michel Cabirol
L'Agence spatiale européenne a confié le développement et la construction du dernier des six satellites du programme Copernicus de nouvelle génération (ROSE-L ou Radar Observation System for Europe in L-band) à Thales Alenia Space (TAS) Italia.
L'Agence spatiale européenne a confié le développement et la construction du dernier des six satellites du programme Copernicus de nouvelle génération (ROSE-L ou Radar Observation System for Europe in L-band) à Thales Alenia Space (TAS) Italia. (Crédits : Thales Alenia Space)

Pour l'industrie spatiale européenne, la manne financière du programme d'observation de la Terre de nouvelle génération Copernicus ne pouvait pas mieux tomber. L'Agence spatiale européenne (ESA) a parfaitement joué avant l'heure le rôle de "Père Noël" en signant avec les industriels les contrats pour six satellites (2,5 milliards d'euros) dans une période de crise inédite due au Covid-19. Un bol d'oxygène pour les trois grands maîtres d'oeuvre (Airbus, Thales et OHB) mais également pour leurs fournisseurs, qui profitent à plein de la politique de retour géographique de l'ESA. Ainsi, l'Agence spatiale a annoncé jeudi la signature du dernier des six contrats en confiant à Thales Alenia Space (TAS) Italia un contrat de 482 millions d'euros, dont la première tranche s'élève à 90 millions.

"C'est vrai que cette campagne ESA a été un grand succès pour Thales Alenia Space, souligne à La Tribune le PDG de TAS, Hervé Derrey. Sur l'ensemble des six missions, nous avons été sélectionnés sur cinq, dont trois en tant que maître d'oeuvre (CHIME, ROSE-L et CIMR) et deux pour la fourniture d'instruments (CO2M et Christal). Au total, ces programmes représentent un volume d'affaire de l'ordre de 1,8 milliard d'euros si on prend en compte la maîtrise d'oeuvre des programmes sous notre responsabilité et la fourniture des instruments. Nous gagnons des parts de marché sur celle que Thales Alenia Space occupe en général dans les programme de l'ESA. Sur les trois constructeurs de satellites en Europe (OHB, Airbus et TAS), nous étions en général au deuxième rang. Sur Copernicus, nous sommes premiers".

Dans ce cadre, l'Agence spatiale a confié à TAS le développement et la construction du satellite de surveillance de l'environnement ROSE-L (Radar Observation System for Europe in L-band). TAS bénéficiera sur toute la durée du contrat d'un montant de 220 millions d'euros tandis que son partenaire principal Airbus Defence and Space (Airbus DS) sélectionné pour l'instrument radar obtiendra 193 millions. Les autres fournisseurs sont : OHB System (8 millions), le suisse Ruag (5 millions). Enfin, les entreprises de taille moyenne (ETI) et les PME se partagent respectivement 13 millions et 33 millions. Une dizaine de millions reste encore à allouer.

Des contrats qui irriguent toute l'Europe

Selon des documents de l'ESA, dont La Tribune a obtenu une copie, TAS, qui a raflé trois maîtrises d'oeuvre (deux en Italie et une en France), est le premier groupe bénéficiaire en termes de volume industriel avec 849 millions d'euros. Toutes ses filiales européennes seront irriguées par cette manne financière : Italie (359 millions d'euros), France (317,6 millions), Espagne (75,6 millions), Belgique (33,3 millions), Grande-Bretagne (32,1 millions), Suisse (9,5 millions), Pologne (1,2 million) ainsi que Thales Seso en France (18,6 millions) et Thales Cryogenics aux Pays-Bas (2,1 millions). Pour Hervé Derrey, ces programmes "qui s'échelonnent sur des durées longues, de l'ordre de sept ans en moyenne, nous donnent une certaine visibilité sur l'activité à moyen terme. Ce qui est une très bonne chose, cela représente une assise importante en particulier sur la partie observation".

C'est également le cas pour Airbus DS (620 millions d'euros), à qui l'ESA a confié deux maîtrises d'oeuvre (une en Allemagne, une autre en Espagne). Le groupe européen redistribuera en grande partie vers l'Allemagne (261,6 millions), la France (121,6 millions), l'Espagne (93,6 millions), la Grande-Bretagne (57,5 millions) et les Pays-Bas (15,1 millions). Enfin, OHB est également bien servi avec une maîtrise d'oeuvre (292 millions d'euros). Un volume financier, qui profitera principalement à OHB en Allemagne (212,3 millions), puis à ses filiales en Italie (60,6 millions), Suède (14,4 millions), République tchèque (0,4 million) et Grèce (0,3 million).

Pour les sous-traitants, le groupe suisse Ruag se détache en obtenant un total de 52 millions d'euros de contrats qu'il répartira entre la Suisse (16,4 millions), l'Autriche (15,8 millions), la Suède (12,6 millions), l'Allemagne (4,3 millions) et, enfin, la Finlande (3 millions). Les entreprises de taille moyenne et les PME se partageront respectivement 366 millions et 307 millions.

"Copernicus ne résout pas tout"

Ces contrats, qui étaient programmés et donc anticipés, font énormément de bien même s'ils ne compensent pas complètement les prises de commandes décalées ou perdues lors de cette année 2020 très particulière. C'est d'ailleurs ce qu'a confirmé mi-novembre lors de la signature de trois contrats de satellites (CHIME, CIMR et LSTM) à l'industrie spatiale, le directeur de l'observation de la Terre, de la navigation et des sciences chez Airbus Philippe Pham : ces contrats ne compensent "pas complètement" l'activité prévue pour 2020 et au-delà. "Pour Airbus, on observe une baisse des prise de commande et de revenus pour 2020, 2021 et 2022 d'environ 15 %", avait-il précisé. TAS s'en sort un peu mieux. "Sur la partie observation, on arrive à stabiliser le chiffre d'affaires", confie son PDG Hervé Derrey à La Tribune.

"On est très heureux que l'ESA soit là pour nous soutenir et, bien sûr, le programme Copernicus est très important, mais il ne résout pas tout. En fait l'industrie spatiale a été touchée par le retard dans le démarrage de programmes", résume le patron de l'observation chez Airbus.

Pour autant, le marché de l'observation à l'export est déprimé en 2020, concède Hervé Derrey. "Le marché export a été un petit peu atone cette année", précise-t-il. "Ce que j'observe, c'est un décalage significatif du marché export qui est à l'arrêt. Airbus n'a pas enregistré une signature de contrat à l'export alors qu'on le faisait régulièrement", avait expliqué en novembre Philippe Pham. La Covid-19 mais aussi la baisse du prix de pétrole début 2020 a eu un impact sur des pays, notamment au Moyen Orient. "Les pays avec lesquels nous travaillons en général sont des pays avec lesquels le business se fait beaucoup par du contact physique", explique Hervé Derrey.

Airbus souffre également sur le marché défense dans l'observation. Philippe Pham observe également "sur tous les pays un décalage" de commandes. En dépit des plans de relance dans beaucoup de pays européens, "rien ne se passe en fait et tout est décalé", y compris en France mais aussi dans de nombreux autres pays comme la Grande-Bretagne, l'Espagne, l'Allemagne, avait-il expliqué. "En fait, on vit actuellement ce décalage et cette attente. Le business institutionnel apporté par ESA ne comble pas tous ces retards", avait-il fait valoir. TAS semble mieux vivre la période grâce notamment au programme italien Cosmo-Skymed de deuxième génération et aux deux projets de constellations de satellites d'observation : Skylark lancé par la start-up canadienne NorthStar et BlackSky développé par Spaceflight Industries.

Enfin, Hervé Derray ne pense pas que la crise liée à la Covid-19 pourrait générer des réductions de budget dans le domaine de l'observation de la Terre. "Ces capacités restent de vrais sujets prioritaires et de souveraineté pour un certain nombre de pays. Mais je me suis posé la question comme vous et je suis allé vérifier. A priori je ne sens pas que cela aura un impact sur les capacités de financement de ce type de projets. En tout cas, on ne le ressent pas aujourd'hui sur nos cibles". En attendant les succès à l'export de l'industrie française, le programme Copernicus permet de surmonter cette crise de façon plus sereine.

Michel Cabirol

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Commentaires 4
à écrit le 04/12/2020 à 8:23
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Ce programme est très important pour la survie de la planète ou bien la survie du secteur économique spatial européen ? Bah pas la peine de répondre hein... ^^

le 05/12/2020 à 12:20
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CE programme n'a pas été décidé pour la survie du secteur spatial mais fait partie des programmes à long terme de l'ESA. Ces satellites sont planifiés depuis bien avant la crise du covid et font partie d'un ensemble destiné à l'étude de la planète et...

le 07/12/2020 à 8:56
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"A l'échelle de l'Europe on ne parle pas de grand chose... " La moindre réussite, le moindre panier marqué, la moindre réduction de 8 euros dans son supermarché est une grande chose pour l'UE qui ne fait que se vautrer. L'aide d'urgence de 75...

le 07/12/2020 à 12:43
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Un satellite du programme Copernicus représente 1 à 2 € par européen étalé sur typiquement 4 à 5 ans. Effectivement c'est très dispendieux.....

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