Préserver la BITD française afin de préserver la souveraineté du pays est une préoccupation des acteurs institutionnels et industriels. Pour Françoise Dumas, présidente de la commission de la défense à l'Assemblée nationale, il s'agit avant tout de préserver l'indépendance de l'État. Un point de vue que rejoint François Mestre, directeur en charge du Service des affaires industrielles et de l'intelligence économique à la direction générale de l'armement (DGA), qui souligne l'importance de l'autonomie industrielle, garantie notamment par le choix des partenaires avec lesquels nous travaillons.
Le directeur de la stratégie, des fusions acquisitions et des affaires publiques chez Airbus, Antoine Bouvier, souligne pour sa part l'importance cruciale de disposer de moyens techniques indépendants : les images fournies par le satellite Helios 2 avant la seconde guerre du Golfe avaient permis à la France de se faire son propre point de vue sur l'existence d'armes de destruction massive en Irak. Résultat, la France n'a pas participé à la coalition internationale menée par les Etats-Unis. Tous les intervenants ont souligné la spécificité de ce secteur industriel, qui dépend à la fois de la stratégie et de la volonté politique.
Un cadre avec des objectifs clairement définis
La BITD française est à ce titre la seule en Europe à être capable de répondre à tous les besoins des armées. Il est donc crucial que l'État l'aide, comme l'explique Thomas Courbe, directeur général des entreprises (DGE). Il faut en effet garantir les moyens d'assurer la course technologique et éviter la captation des entreprises ou des données par d'autres puissances. Le recours à la loi de blocage cette année montre l'importance de préserver l'indépendance de l'industrie.
Mais, comme le souligne plus particulièrement Antoine Bouvier, ceci doit se faire dans la logique d'un objectif stratégique clairement défini. Si les Américains ont comme objectif la suprématie, celui de la France, et au-delà l'Europe, est de garantir une autonomie stratégique. Des objectifs différents requièrent donc des moyens différents : l'Europe n'a pas forcément besoin de développer certaines technologies mais doit garantir la disponibilité de leur approvisionnement.
Préserver les compétences
Pour se faire, il est fondamental de préserver dans le pays les compétences : très longues à acquérir, elles disparaissent très rapidement, et ne peuvent plus jamais être retrouvées, explique Françoise Dumas. Il est donc nécessaire de valoriser ses filières. Une ambition comprise par le ministère de l'Économie, qui a permis à 115.000 personnes de la filière aéronautique de recourir au chômage partiel entre mars et octobre, et l'instauration désormais du chômage partiel de longue durée, comme le souligne Thomas Courbe. Le soutien à l'apprentissage est également fondamental, et les investissements consentis par l'État, autant en R&D que par la commande publique sont des leviers très importants, sans oublier les fonds mis à la disposition notamment des PME.
Mais la préservation des compétences ne suffit pas toujours, et pour François Mestre, il est nécessaire de se demander s'il est indispensable de tout faire seul, quitte à le faire moyennement, ou à plutôt privilégier des filières d'excellence. De son côté, Antoine Bouvier souligne la grande cohérence de la filière en France, qui va des donneurs d'ordre aux PME capables de produire des composants. Le plan de relance, d'abord conçu pour soutenir l'aéronautique civil, a irrigué également les secteurs spatiaux et de défense, car ils sont presque toujours duaux. A ce titre, le secteur spatial doit être considéré comme stratégique : l'indépendance de l'accès à l'espace, notamment dans un cadre européen, mais également la constitution d'un cloud européen basé sur une constellation spatiales sont des objectifs incontournables pour assurer la souveraineté.
Et l'Europe ?
Cette souveraineté se concevra-t-elle demain dans un cadre européen ? L'action massive de l'État français en réponse à la crise a permis dans un premier temps de préserver la base industrielle sur le territoire. En ce qui concerne une course technologique plus large, on peut espérer l'émergence de champions européens, à l'image d'Airbus, ou du programme Ariane. Et comme le souligne François Mestre, ce sont "les programmes qui créent l'industrie" et pas l'inverse : la concrétisation du SCAF par exemple sera un moyen de rassembler l'industrie européenne autour de grands projets.
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