"Les ETI françaises s'en prennent plein la gueule face aux grands groupes" (PDG Trescal)

A la tête d'une ETI de plus de 200 millions d'euros de chiffres d'affaires, Olivier Delrieu estime dommageable les économies de court terme exigées par les grands groupes à leurs fournisseurs. Il préconise en revanche une approche plus globale d'une réduction des coûts.
Il y a actuellement une vraie déficience dans la formation des acheteurs dans les grandes entreprises industrielles

La Tribune : Pourquoi les relations se tendent à nouveau entre maitres d'œuvre et fournisseurs?
Olivier Delrieu : A partir du moment où les maîtres d'œuvre doivent monter en cadence, le problème pour eux n'est plus de gagner 3 % ou 4 % d'économies par an sur leurs fournisseurs mais de faire en sorte qu'ils aillent très bien pour augmenter les cadences de production. Aujourd'hui, ce n'est plus tout à fait le cas.

Est-ce donc le retour à la période des plans de performance dans toute l'industrie?
Dans la filière aéronautique, il existe deux familles. Celle qui pense filière, c'est-à-dire qui essaie de réfléchir, de solidifier, d'enrichir la « supply chain ». Si un maillon faible pose des problèmes à toute la filière, il existe une volonté commune de résoudre les problèmes. Des groupes comme Airbus, Dassault, Safran, Thales, etc... le font très bien, surtout dans la phase de montée en cadence qu'ils traversent. Mais il y en a d'autres qui sont toujours restés dans un mode opératoire antédiluvien et qui raisonne ainsi : "ce qui compte c'est d'extraire à mon fournisseur 5 à 10% d'économies par an". C'est clairement la caricature de l'acheteur automobile qui existait il y a quelques années. L'aéronautique, qui est restée une industrie de prototypes, se tourne de plus en plus vers les pratiques d'achats de l'automobile, une industrie de série.

En tant que sous-traitant de rang 1, qu'est-ce qu'il serait intelligent de faire pour un maitre d'œuvre?
En France, on encense régulièrement les ETI. Mais elles s'en prennent quand même plein la gueule face à des services achats des grands groupes. Il y a une vraie déficience dans la formation des acheteurs dans les grandes entreprises industrielles. Notamment dans leur capacité à évaluer la situation globale de l'entreprise et à étudier les coûts complets. Les directions achats ne rentrent plus dans la notion de coût total. Elles se contentent de regarder juste le coût d'achat d'un produit. Pourtant, notre industrie a la capacité de faire de l'asset management (gestion d'actifs, ndlr). Ce thème a eu son heure de gloire dans certaines industries mais il a complètement disparu au profit de la recherche d'une économie de court terme. Ce qui est assez délétère.

Par exemple dans la métrologie, que proposez-vous?
Prenons l'un des quatre grands groupes cités, qui ont des parcs de 10.000 instruments de mesures répartis sur une quinzaine de sites en France. Deux cas de figure : soit le groupe s'occupe de son parc de façon locale usine par usine, soit il met en place un programme pour le gérer au global. Si vous gérez vos asset au niveau du groupe, vous réduisez votre parc en le partageant entre les différentes usines. Les gains sont colossaux. Au lieu d'aller chercher des gains d'économies de 2% à 3% par an sur le prix d'un produit, ces groupes peuvent obtenir des gains de 10% à 30%. Parce que l'entreprise fonctionne avec un nombre d'équipements plus faible et réduit ses investissements. L'asset management est un mode de gestion hyper puissant qui permet de réduire les investissements et les coûts de fonctionnement.

Quels sont les maîtres d'œuvre vertueux ?
Le groupe précurseur et le meilleur dans ce domaine reste toujours à l'heure actuelle Thales. Et de loin. Ils ont fait un travail de recensement et de mise en commun des équipements. Ils les ont logé ans une entité qui les loue à toutes les usines du groupe. Il y a une rotation et une harmonisation des équipements. Du coup, le groupe a pu réduire ses investissements. C'est de l'asset management sophistiqué. Bilan des courses, ils ont réduit leurs coûts d'équipements de 30% environ en quelques années. Dassault est également un groupe qui respecte ses fournisseurs. Malheureusement, j'ai des contre-exemples.

C'est-à-dire ?
L'acheteur de base va pressurer son fournisseur pour gagner 3 à 4% par an dans les métiers de services. A un moment donné, ce n'est plus possible mais l'acheteur continue dans sa logique. Nous sommes également de plus en plus confrontés à des acheteurs étrangers, qui ne connaissent pas l'entreprise à laquelle ils demandent des gains d'économies, ni les produits qu'elle fabrique, ni, enfin, comment elle le fabrique. Il est uniquement focalisé sur le prix remis. On ne voit d'ailleurs jamais cet acheteur, qui ne se déplace pas pour voir ses interlocuteurs.

C'est assez extrême...
... Je comprends très bien cette logique mais c'est vraiment aux antipodes de ce qu'on peut faire d'intelligent dans monde industriel. On sent bien une stratégie réfléchie mais le client n'y gagne pas à la fin. C'est un cercle vicieux qui est en train de s'accélérer ces derniers temps. Autre problème, nos interlocuteurs dans les grands groupes changent tous les deux ans. Ils ne restent même pas la durée du contrat qu'ils ont signé.

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Commentaires 23
à écrit le 10/02/2016 à 23:13
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Très bien... Et une fois qu'on a dit ça (et vous avez totalement raison !!) on fait quoi ? On dit quoi ? On espère quoi ? La situation que vous décrivez nous la vivons tous. Écrasement des marges et mise en péril de la structure de toutes les entrep...

à écrit le 10/02/2016 à 15:26
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Que devrait déduire cet expert qui se plaint ici avec ses multiples expériences ? Pour l'instant il adopte une attitude syndicaliste de pleureur, se veut parte-parole tout en ne disant qu'une faible part de la situation, soit mais quelle déduction en...

à écrit le 10/02/2016 à 9:38
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« Il y a une vraie déficience dans la formation des acheteurs dans les grandes entreprises industrielles ». Malheureusement vrai, et pas que dans l’industrie: demandez aux ETI et PME, fournisseurs de la grande distribution (alimentaire ou autre). L...

à écrit le 09/02/2016 à 19:37
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Mais ça c'est aussi lié au faut que l'on met de plus en plus de profils commerciaux voire, pire, financiers dans les circuits d'achat, là où, avant, on trouvait encore de vrais ingénieurs avec une expérience à la fois commerciale et industrielle.

à écrit le 09/02/2016 à 17:29
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La solution : la construction de l'entreprise étendue...un objectif secondaire qui devrait devenir prioritaire. A lire enquête annuelle 2012. La maturité des fonctions Achats dans le pilotage de l'entreprise étendue. CGI Business Consulting.

à écrit le 09/02/2016 à 17:29
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La solution : la construction de l'entreprise étendue...un objectif secondaire qui devrait devenir prioritaire. A lire enquête annuelle 2012. La maturité des fonctions Achats dans le pilotage de l'entreprise étendue. CGI Business Consulting.

à écrit le 09/02/2016 à 17:15
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La compétitivité n'est pas qu'une affaire de main d'œuvre et de charges sociales mais plus largement d'organisation , churchil fait mention des achats ,dans ce domaine Airbus a regroupé ses sous traitants pour qu'ils fassent leurs achats de matières...

à écrit le 09/02/2016 à 16:18
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Faire jouer la concurrence sur des critères de prix/qualité/sécurité est sain. Mais les producteurs français sont handicapés par les avancées sociales expérimentales qui leur sont imposées et qui leur interdisent de plus en plus d'être compétitifs. ...

à écrit le 09/02/2016 à 12:03
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les gens qui savent faire des achats sont rares, donc le seul truc qu'ils font c'est ' fait moi 20%' les gens formes au purchasing ne sont pas legions, tres peu sont formes aux methodes achats ( value analysis, etc) ou supplychain genre tco ( activi...

le 09/02/2016 à 16:27
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Pour faire des achats, il faut déjà savoir s'exprimer de façon compréhensible en Français. Il faut mieux aussi éviter de parsemer son discours de mots anglo-saxons , dans le seul but de faire l'intéressant. Un exemple type d'un des maux français :...

à écrit le 09/02/2016 à 11:58
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Cet article pointe du doigt la vraie différence avec l Allemagne..... D ou la dégringolade industrielle de la France ces 20 dernières années Leirmotiv....les marges se font sur les achats...... En simple, et en caricaturant , mes syndicats et les,...

à écrit le 09/02/2016 à 11:53
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Et les ETI qui mettent en péril les projets stratégiques de leurs clients en rognant quelques pouième sur les prestations, ce monsieur n'en parle pas ? Pourquoi les acheteurs vont au moins cher ? Tout simplement parce qu'ils n'ont pas la garantie d'a...

à écrit le 09/02/2016 à 10:42
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Les acheteurs sont aussi sous la pression des actionnaires qui exigent des rendements toujours meilleurs. Tous ceux qui travaillent pour un salaire, dans une grande ou une petite entreprise sont contraints par effet de cascade aux exigences de la fi...

le 09/02/2016 à 12:52
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j'ai une bonne nouvelle pour vous!! conformement a vos souhaits, y a de moins en moins d'actionnaires en france, ce qui est rassurant d'ailleurs l'industrie qui est intensive en capital ne represente plus que 50% de ce qu'elle etait il y a 10 ans c...

à écrit le 09/02/2016 à 10:19
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"rejet systématique des conditions générales de vente du sous-traitant et obligation d'accepter sans réserves les conditions générales d'achat du donneur d'ordres, obligation de détailler les coûts de production, refus des clauses de révision de prix...

à écrit le 09/02/2016 à 10:02
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On peut peut-être pousser le bouchon un peu plus loin, et dire que ces acheteurs qui ne raisonnent pas en filières mais en gain à court-terme fabriquent in fine ce taux de chômage que tout le monde nous envie. Et sont éventuellement responsables aus...

à écrit le 09/02/2016 à 9:50
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Une piste intéressante pour comprendre le mauvais état économique de la France. Mais il est plus facile de hurler sur le coût du travail.

à écrit le 09/02/2016 à 9:43
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C'est un excellent témoignage merci beaucoup pour ces paroles bien trop rares qui pourtant touchent du doigt la réalité de la bêtise de notre économie. "Il y a une vraie déficience dans la formation des acheteurs dans les grandes entreprises indu...

le 09/02/2016 à 12:07
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Dans tout acte commercial il y a la fin du cercle et ce dernier maillon se nomme ACHETEUR qu'il acte pour un produit indus, agricole, ou service. Ce maillon est celui qui sur le fond décide le prix en fonction de ses revenus de l'estimation qu'il pe...

le 09/02/2016 à 13:17
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"le plus ne serait pas forcément un mieux car qui dit que ce plus ne serait pas utiliser pour augmenter le plus en quantité." et alors où se trouve le problème je vous prie ? "La solution ne me semble pas être le mode économique mais plus une...

à écrit le 09/02/2016 à 9:22
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La sous traitance mal traitée est un vrai problème. Retards de paiement, pression sur les prix. Les grands groupent pillent leur fournisseurs français. C'est d'ailleurs la première cause de faillite (délais de paiement trop long, la trésorerie des ...

à écrit le 09/02/2016 à 7:24
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Cela confirme ma pensée !! Sous le traitant est un esclave à la merci de son maire

le 09/02/2016 à 9:38
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Bonjour . Ca confirme un autre point de ma pensée !! Les Pdg sous traitants ne sont que des gérants obéissants , ne devant pas avoir le droit de s inscrire dans les syndicats patronaux , autres que celui Medef . .

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