Manurhin va-t-il passer sous pavillon étranger ? Très probable...

Par Michel Cabirol  |   |  970  mots
Au moment où la France va recréer une filière de munitions de petit calibre "Made in France" à laquelle participe Manurhin, il est paradoxal de voir une PME française se faire souffler par un groupe étranger.
En difficulté, le leader mondial des machines de cartoucherie est convoité par cinq groupes de défense internationaux.

Tic-tac, tic-tac, tic-tac... Quatre mois après l'ouverture d'une procédure de sauvegarde en juin dernier, l'avenir de Manurhin semble s'inscrire inéluctablement à l'étranger. Le fabricant de machines de cartoucherie "Made in France", qui exporte 100% de sa production, fait saliver cinq groupes de défense internationaux, selon nos informations : trois européens, un américain et un asiatique. En revanche, aucun groupe tricolore ne s'est montré intéressé par cette PME basée à Mulhouse. Au regard de la situation très compliquée de Manurhin, le premier groupe, qui va dégainer, aura vraisemblablement gain de cause. Contacté par La Tribune, son PDG Rémy Thannberger n'a pas souhaité faire de commentaires.

Il reste deux mois environ à la direction de Manurhin, qui emploie au total 220 salariés, pour trouver une solution. Le groupe n'a plus vraiment le choix : soit il fonce dans le mur et dépose son bilan à la fin de l'année à l'issue de la procédure de sauvegarde, soit il trouve un groupe pour s'adosser soit il se fait tout simplement racheter. Il est à craindre que la dernière solution soit la plus plausible, Manurhin n'étant pas en position de force pour négocier son indépendance. Au moment où la France va recréer une filière de munitions de petit calibre "Made in France" à laquelle participe Manurhin, il est paradoxal de voir une PME française se faire souffler par un groupe étranger. Porté par l'ex-ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian, ce projet aurait pu être les prémices d'une solution "Made in France" pour Manurhin.

Un carnet de commandes plein à craquer

Si Manurhin n'avait pas des problèmes récurrents de trésorerie et de financement à l'export, le leader mondial de son secteur serait en forme. Car la PME est assise sur une marque internationalement reconnue de la Colombie à Oman, en passant par la France. Elle a installé plus de 13.000 machines dans plus de 60 pays. En outre, elle dispose d'un carnet de commandes très bien garni, qui s'élevait à 93 millions d'euros à fin septembre. Elle a des perspectives commerciales très aguichantes. Selon nos informations, elle mène actuellement des campagnes sur une série de commandes estimée à 500 millions d'euros environ. Elle pourrait en rafler au moins un tiers, estime d'ailleurs un proche du dossier. Enfin, Manurhin évolue sur un marché mondial des munitions en très forte croissance.

"Nous pourrions immédiatement signer 100 millions d'euros de commandes supplémentaires mais comment les financer sans être accompagné? Voilà les questions qui se posent", a d'ailleurs expliqué fin septembre Rémy Thannberger au quotidien régional L'Alsace.

Pourtant, Manurhin a été stoppé dans son élan. Confrontée à une baisse spectaculaire de son chiffre d'affaires (30 millions d'euros, en baisse de 50 % par rapport à 2015) et à des pertes importantes (12 millions) en 2016, la principale filiale de Groupe Manurhin, MR Equipement, qui emploie 175 personnes, a été placée début juin sous le régime de la sauvegarde par le Tribunal de Grande Instance de Mulhouse.

Pourquoi Manurhin en est-il arrivé à cette impasse

La situation de Manurhin est essentiellement due à l'impossibilité à laquelle le groupe est confronté "depuis des mois, d'obtenir des banques françaises privées ou publiques, le moindre euro de crédit, et ce en dépit d'un historique bénéficiaire en 2013, 2014 et 2015", avait expliqué début juin le groupe dans un communiqué. Rémy Thannberger avait pourtant alerté à plusieurs reprises les pouvoirs publics.

En avril 2016, il regrettait dans un entretien accordé à La Tribune que les banques françaises étaient "réticentes à financer nos opérations de défense à l'exportationC'est l'une de mes principales préoccupations. A moyen et long terme, ce sera un vrai problème structurel pour développer Manurhin, qui est aujourd'hui le leader mondial dans son domaine". Et ce qui devait arrivait, arriva en juin dernier...

Pourquoi les banques ne veulent-elles pas accompagner Manurhin? Parce que la PME a un actionnaire qui fait fuir les banquiers, le groupe slovaque Delta Defence. En octobre 2015, l'ancien délégué général pour l'armement Laurent Collet-Billon avait pointé du doigt l'actionnariat et le problème récurrent de cash de Manurhin. "Nous souhaiterions que la question de son actionnariat et celle de sa trésorerie soient clairement traitées", avait-il averti. En pure perte...

Delta Defence, le boulet de Manurhin

Pourtant en février 2016, un accord entre les actionnaires français devait marginaliser Delta Defence (34%) en constituant un bloc de contrôle afin de stabiliser le capital et la gouvernance de la société autour de son management. Dans ce cadre, les deux actionnaires publics de Manurhin, la banque Bpifrance et GIAT Industries SA cédaient leur participation respective de 22,57 % au capital de MNR Group SA, à la Société Nouvelle d'Alsace (SNA), contrôlée par Rémy Thannberger et Robert Nguyen, directeur général de MNR Group. Les deux associés contrôlent désormais 52% du capital de Manurhin.

Cette cession s'accompagnait d'une opération de financement organisée par SNA visant à accompagner la poursuite du développement de l'entreprise. Une opération à laquelle devait contribuer Bpifrance et GIAT Industries à travers un crédit vendeur. Ainsi, la Banque Populaire d'Alsace était prête à accorder un crédit à la PME mulhousienne en conditionnant cependant son intervention, à celle de Bpifrance. Mais finalement cette dernière refuse, faute de disposer d'éléments probants portant sur l'identité des bénéficiaires ultimes de Delta Defence. La Société Générale a également fait la même démarche. Sans plus de succès... Et la dernière assemblée générale a tourné en juillet au dialogue de sourds entre SNA et Delta Defence. Un cauchemar dont va très certainement profiter un investisseur étranger, tout heureux de mettre la main sur une PME, leader mondial de son secteur.