Quand les banques françaises exposent dangereusement la filière défense à des opérateurs étrangers

Le GICAT regrette que les banques françaises s'appuient sur des bases de données américaines pour réaliser leurs enquêtes de conformité sur les entreprises du secteur. Elles exposent dangereusement ces sociétés aux lois extraterritoriales américaines.
Michel Cabirol
Les banques françaises sont jugées par la filière défense beaucoup trop frileuses en matière de financement d'un secteur souverain (exportations, besoin en fonds de roulement, levée de fonds...)
Les banques françaises sont jugées par la filière défense beaucoup trop frileuses en matière de financement d'un secteur souverain (exportations, besoin en fonds de roulement, levée de fonds...) (Crédits : Reuters)

Dans une nouvelle note du GICAT (Groupement des industries françaises de défense et de sécurité terrestres et aéroterrestres), dont La Tribune s'est procurée une copie, la filière défense ne relâche pas la pression sur les banques françaises jugées beaucoup trop frileuses en matière de financement d'un secteur souverain (exportations, besoin en fonds de roulement, levée de fonds...). Adressée à l'Élysée, à des ministères (Bercy, Armées...) et à des parlementaires influents, cette note souffle le chaud (propositions de solutions) et un froid polaire. Notamment quand la filière défense accuse les banques françaises de s'appuyer sur des bases de données américaines pour réaliser leurs enquêtes de conformité sur les entreprises du secteur (Refinitiv World-Check, Dow Jones, Reuters, etc...)

Ce qui peut paraître incroyable à l'heure du "Cloud Act", une loi fédérale des États-Unis adoptée en 2018 sur l'accès aux données de communication (données personnelles), notamment opérées dans le Cloud. Cette loi extraterritoriale permet aux administrations américaines, disposant d'un mandat d'un juge, de consulter des données hébergées dans les serveurs informatiques situés dans d'autres pays, au nom de la protection de la sécurité publique aux Etats-Unis et de la lutte contre les infractions les plus graves - dont les crimes, le terrorisme et ;la corruption. Cette façon de procéder des banques françaises expose dangereusement les entreprises concernées par ces enquêtes de conformité, jugées d'ailleurs opaques par la filière :

"Opposant l'argument du secret bancaire, les banques ne donnent aucune information aux industriels quant aux lieux de stockage des données fournies (serveurs, etc...) ou quant aux collaborateurs ayant accès à ces documents sensibles pour l'entreprise ou même pour l'État", explique le GICAT dans cette note.

Refus de financement

Actuellement, plusieurs entreprises de la BITD, en raison de cette frilosité ou de refus de banques françaises, doivent se tourner vers des banques étrangères implantées en France et qui ont l'agrément AMF pour ouvrir des lignes de crédit ou recevoir des paiements, afin d'exécuter des contrats à l'international (dans le pays d'origine de la banque concernée). Une ETI confirme la facilité à traiter avec des banques étrangères implantées en France, aucune d'entre elles n'ayant jamais évoqué les problématiques de compliance... Par ailleurs, relate le GICAT, trois banques françaises majeures ont refusé de financer un contrat à l'exportation d'une PME française vers un pays du Moyen Orient, pourtant partenaire stratégique de la France. Elles ont invoqué le risque à l'image.

Sous la pression d'éventuelles sanctions américaines et des ONG, les banques françaises, dont BNP Paribas et Société Générale, appliquent désormais des règles de conformité (compliance) excessives pour les entreprises de défense considérées comme des entreprises à risque pour un financement, avait dénoncé en octobre le GICAT dans une première note. L'État s'était d'ailleurs ému de cette situation. Ainsi, le ministère des Armées constate "de plus en plus souvent" l'exclusion des entreprises de défense à bénéficier de financements (prêts et crédits) par le secteur bancaire français.

Non respect de la RGPD

Les opérations de "due dilligence" (ensemble de vérifications) et les enquêtes actuelles liées à la procédure KYC (Know Your Customer) "exposent trop nos entreprises stratégiques et leurs données à des opérateurs extérieurs, souvent étrangers. Les organismes bancaires doivent davantage garantir le respect de la RGPD (réglement général sur la protection des données, ndlr)", accuse le GICAT dans cette note. L'organisation professionnelle propose aux banques deux pistes : pour ne pas exposer certaines informations sensibles à des concurrents, elle préconise aux banques de faire réaliser les rapports et prestations de "due diligence" uniquement auprès d'acteurs français ; elle demande aux banques de se mettre en conformité avec les exigences du RGPD, effectuer les enquêtes de KYC sur des bases de données françaises ou européennes.

"A ce jour, beaucoup de banques françaises s'appuient sur la société suédoise ETHICS pour les enquêtes KYC, mais aucune entreprise n'a de visibilité sur les critères d'évaluation établis par cette dernière", regrette le GICAT.

L'objectif de la filière est de parvenir à rééquilibrer les relations entre les banques et le secteur de la défense autour de quatre axes : transparence, délai, confiance et responsabilité. Le secteur se plaint de l'opacité des critères des banques pour traiter un dossier. Tout comme les industriels regrettent de n'avoir aucune visibilité sur le délai de traitement par la direction compliance. Les industriels de la défense rappellent qu'ils sont eux aussi exposés au risque à l'image et qu'ils respectent les accords internationaux, les normes européennes et les lois nationales (CIEEMG, etc.). "Pour autant, les banques demandent de nombreux documents sans pour autant être totalement habilitées à les manipuler", précise le GICAT. Enfin, le GICAT s'étonne que les directions compliance ne répondent jamais aux questions posées par les industriels. Et, en cas de refus, aucun recours n'est possible.

Les CIEEMG sous-estimées par les banques

Pour les banques, une CIEEMG n'est qu'une pièce parmi tant d'autres. Elle n'ouvre aucun sésame au sein des banques françaises. "A ce jour, les organismes bancaires estiment que la délivrance d'une licence d'exportation par la CIEEMG est l'exigence minimum pour solliciter un accompagnement à l'export, sans réellement prendre en compte et connaitre le travail d'investigation très rigoureux et poussé des différents services de l'État (réseaux diplomatiques, armées, services de renseignement, douanes, etc.)", souligne la note du GICAT. Ce dernier propose dans le respect du secret défense, d'expliciter aux banques le fonctionnement, l'exigence et la rigueur des processus mis en œuvre par la CIEEMG dans la décision de délivrance d'une licence d'exportation. Notamment la prise en compte des enjeux éthiques et des droits de l'Homme lors de ces investigations.

Le GICAT propose également de désigner des référents "Entreprises stratégiques" dans les directions compliance ou des conseiller défense dans les banques capables de comprendre les spécificités de ce secteur et de faciliter le dialogue. Cela passe par une meilleure compréhension des enjeux stratégiques des personnels des banques. Ainsi, le GICAT préconise de créer une formation pour sensibiliser les acteurs bancaires sur les enjeux de défense, de sécurité et de souveraineté. Il recommande également de lancer un programme de formation pour les start-up et PME en vue d'acquérir une compétence en conformité pour mieux répondre aux demandes des banques.

Lancer des outils de financement efficaces

Le GICAT suggère que Bpifrance, la banque publique d'investissement qui s'implique déjà fortement et efficacement dans le secteur, renforce son rôle dans les financements stratégiques, notamment à l'export, et, surtout, là où certaines banques sont réticentes à suivre. Il recommande également création d'une banque dédiée à la défense et détenue à 50% par l'État et 50% par les banques. Cette dernière pourrait servir d'émulateur pour d'autres banques, qui ne voudraient pas apparaitre en prime, mais pourraient suivre une banque parapublique dans la syndication d'un montage financier.

Enfin, le GICAT pousse la création d'un fonds de souveraineté, sous pilotage d'une société de gestion privée mais soutenu par l'État. Ce fonds serait capable d'investir en majoritaire, durant 5 à 15 ans, doté d'un portefeuille d'au moins 300 millions d'euros pour des tickets compris entre 5 et 50 millions d'euros. A terme, le placement serait éligible à l'épargne retraite et à l'épargne salarial.

Michel Cabirol

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Commentaires 8
à écrit le 16/01/2021 à 10:22
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Un fil de discussion complètement sous contrôle hein... :-) Stratégie de losers, ça pue la défaite.

à écrit le 14/01/2021 à 17:18
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Ce n'est pas le devoir des banques privées de financer la vente de banques et de canons. De plus, avec la france, elles ont très peur des accords totalement opaques passés avec les acheteurs pays la plupart du temps à la limite... Le moindre so...

à écrit le 14/01/2021 à 16:58
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Merci Sarko de nous avoir fait rentrer dans l'OTAN ! N'y aurait-il pas des accords secrets entre la France et les USA qui, en échange de la protection de l'OTAN, obligerait nos banques à se plier à la règlementation américaine ?

à écrit le 14/01/2021 à 11:24
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Reuters est une agence de propagande britannique (devenue filiale de The Woodbridge, Canada), donc effectivement aussi au service de l'Amérique du Nord. Le Royaume-Uni et les Etats-Unis sont comme c*l et chemise, dans l'intelligence économique contr...

à écrit le 14/01/2021 à 11:21
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Bien que Refinitiv opère majoritairement aux US, c'est maintenant une filiale du London Stock Exchange Group. De manière générale, les banques françaises ne maîtrisent pas grand chose et ne savent pas estimer un risque. Par exemple, une banque acc...

à écrit le 14/01/2021 à 10:16
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j'ajoute que les démocraties anglo saxonnes me rassurent bien plus, car l'autocratie n'est jamais un bon système, surtout lorsque la corruption est a mon avis a son optimum ! Financer ou refinancer les banques en permanence est la conséquente de n...

à écrit le 14/01/2021 à 10:13
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Les banques n'ont jamais eu de nation! C'est une construction fallacieuse comme une multinationale, sauf lorsque l'on possède le capital ou sa monnaie.... Alors constater ce qui n'a jamais fait aucun doute, si l'on considère la problématique de...

à écrit le 14/01/2021 à 9:41
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Qui contrôle les banques?

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