Safran dévoile l'Open Rotor, un moteur en rupture pour les Airbus et les Boeing du futur

Par Fabrice Gliszczynski  |   |  1075  mots
L'Open Rotor ne dispose pas de carénage et est équipé de deux hélices contrarotatives « à ciel ouvert », permettant à l'avion d'atteindre une vitesse quasiment équivalente à celle d'un appareil équipé d'un turboréacteur classique. Avec ses 4 mètres de diamètre, l'Open Rotor ne pourrait pas se placer sous les ailes et sera donc installé en hauteur, à l'arrière de l'avion, ce qui annonce une révolution aussi dans le design...
Safran a dévoilé mardi l'Open Rotor, un prototype de moteur d'avion conçu pour consommer nettement moins de kérosène à l'horizon 2030, à temps pour le renouvellement attendu des A320 et des B737.

« New Midsize Airplane » à l'horizon 2025 (également appelé « MOM » pour "Middle of the Market" ), A320 NEO++ », plus ou moins dans le même temps, ou encore « New Short Range », le successeur des best-sellers A320 et B737 dans les années 2030 : Safran est sur tous les fronts. Aujourd'hui leader de ce marché dans le cadre de CFM International, l'entreprise commune avec General Electric, Safran pousse les feux en termes d'innovation avec l'inauguration, ce mardi sur la base aérienne d'Istres (Bouches-du-Rhône), de son nouveau banc d'essai de démonstrateurs : l'un concernera un moteur d'architecture classique, l'« UHBR » ("Ultra-High Bypass Ratio" ou, en français, "à très fort taux de dilution"), lequel peut être disponible à l'horizon 2025, l'autre, l'Open Rotor, qui présente une architecture en totale rupture avec les technologies actuelles, pourrait voir le jour après 2030.

 « Avec ce banc d'essai et ce démonstrateur, l'industrie européenne se dote de nouveaux moyens remarquables afin d'explorer la propulsion du futur dans le domaine de l'aéronautique. Ce banc d'essai, unique en Europe, nous met dans des conditions optimales pour tester nos nouveaux moteurs. On ne pouvait rêver meilleur début pour ce banc d'essai que l'Open Rotor », a déclaré Philippe Petitcolin, le directeur général de Safran.

Technologie de rupture

Même si son entrée en service potentielle n'est donc pas pour demain, c'est en effet l'Open Rotor qui a commencé le premier à tourner au banc en raison de la complexité de sa technologie.

"Si nous voulons être prêts en 2030, nous devons démarrer maintenant", a ajouté Philippe Peticolin lors d'un point-presse.

Depuis mai dernier, un démonstrateur tourne sur ce banc d'essai à l'air libre dans le but de valider tous les paramètres de fonctionnement de ce moteur, appelé à apporter une réduction de carburant de 15% par rapport au tout récent moteur Leap, lequel est déjà aujourd'hui le nec plus ultra de la motorisation d'avions moyen-courriers. Mis en service sur les versions remotorisées de l'A320 (depuis 2016) et du 737 (depuis 2017), mais aussi sélectionné par le constructeur chinois Comac pour son appareil C919, le moteur Leap a succédé au légendaire CFM56 en apportant sur ce dernier une amélioration de la consommation de carburant de 15%. Pour l'anecdote, General Electric avait testé l'Open Rotor sur un MD-80 dans les années 80 mais n'était pas allé plus loin.

Augmenter le taux de dilution

Comme c'est le cas depuis le début de l'histoire des turboréacteurs, ce saut en termes de consommation de carburant passe par une augmentation sensible du taux de dilution (lequel est le rapport entre les flux d'air chaud et froid). Dans le cas de l'Open Rotor, il doit dépasser les 30 quand il pointe seulement à 11 aujourd'hui pour Leap et qu'il pourrait aller jusqu'à 16 dans le cas d'un "UHBR", avec la possibilité d'aller au maximum, un jour, jusqu'à 20.

Or, comme il faut augmenter la taille du moteur pour atteindre des taux de dilution élevés, il est difficilement concevable d'imaginer mettre au point des moteurs classiques capables d'atteindre des taux de dilution similaires à ceux promis par l'Open Rotor. Ils seraient trop gros, trop lourds, et impossibles à placer sous les ailes. Aussi, pour augmenter le diamètre de la soufflante et donc le taux de dilution, l'Open Rotor ne dispose pas de carénage et est équipé de deux hélices contrarotatives « à ciel ouvert », permettant à l'avion d'atteindre une vitesse quasiment équivalente à celle d'un appareil équipé d'un turboréacteur classique.

La physionomie des avions n'a pas beaucoup changé depuis 50 ans

Surtout, avec ses 4 mètres de diamètre, l'Open Rotor ne pourrait pas se placer sous les ailes et sera donc installé en hauteur, à l'arrière de l'avion. Une révolution car, depuis les années 1950, la physionomie des jets n'a pas beaucoup évolué. S'il y a bien eu des expériences d'avions avec un ou plusieurs moteurs à l'arrière (DC-10, Lockheed Tristar, Boeing 727 ou encore MD-80), la majorité des jets (à l'exception des CRJ de Bombardier) sont aujourd'hui construits avec deux ailes et des moteurs dessous (« tube and wings »). De fait, une technologie comme l'Open Rotor entraînera une plus grande intégration entre motoristes et avionneurs.

Lire ici : Les Airbus auront-ils demain la même silhouette que les Boeing?

Alors que l'absence de carénage laissait craindre un niveau d'émissions sonores important, les essais en soufflerie ont démontré que le niveau acoustique de l'Open Rotor serait équivalent à celui du Leap, avec même une possibilité de l'améliorer, fait-on valoir chez Safran. Avec ce démonstrateur, le motoriste tricolore est en avance par rapport à Rolls Royce qui travaille aujourd'hui sur ce concept mais sans en être à ce stade.

Que vont faire les avionneurs?

Reste à voir si les avionneurs franchiront néanmoins le pas. Tout dépendra notamment de l'évolution du prix du carburant dans une quinzaine d'années et de l'évolution des contraintes environnementales, sans oublier aussi l'acceptabilité des passagers à voler sur des avions à hélices légèrement moins rapides que les Jets. Depuis le début des recherches sur l'Open Rotor, Airbus a toujours montré un intérêt plus important que Boeing. Alors que Safran équipe aujourd'hui les deux avions concurrents, l'A320 et le B737, Philippe Petitcolin indique qu'« un seul avionneur suffit» pour lancer le programme. Pour lui, «le premier avionneur qui choisira ce produit emportera le morceau ». La décision est cruciale pour les avionneurs. Les appareils court et moyen-courriers représentent près de 70% du marché.

L'enjeu du "Middle of the Market"

Dans tous les cas, Safran joue sur tous les tableaux et sera présent sur les nouveaux moteurs classiques. Baptisé "UHBR", ce moteur pourrait être disponible à l'horizon 2025, au moment de la mise en service de nouveaux appareils. Non pas sur le marché des avions court et moyen-courriers, mais sur celui du « Middle of the Market », un marché qui se situe entre le haut de la gamme de la famille A320 et B737 (220 sièges environ) et celui des gros-porteurs de près de 270 sièges et plus. Un concept sur lequel travaille essentiellement Boeing. Cet avion de 220-260 sièges environ pourrait être mis en service vers 2025 selon Boeing. Nul doute qu'Airbus réagira. Selon l'agence Reuters, Airbus plancherait notamment sur un A321 NE0++. L'Open Rotor étant à plus longue échéance, Airbus a préféré privilégié l'"UHBR" pour un vol d'essai de démonstration qui ne devrait pas avoir lieu avant 2020-2021.