Sous-marins : la Pologne prête à choisir l'Allemagne plutôt que la France

Par Michel Cabirol  |   |  1385  mots
Varsovie va annoncer dans les prochaines semaines une décision sur le choix du pays sélectionné pour l'acquisition de trois sous-marins.
La France va très certainement perdre le marché des sous-marins polonais. Elle est nettement distancée par le rouleau compresseur allemand. Berlin veut plus et doter l'Europe d'une flotte de U-212. Ce qui marginaliserait La France et DCNS en Europe.

C'est un peu la chronique d'une vente annoncée. Après avoir séduit la Norvège, l'Allemagne semble aujourd'hui également très proche d'emporter l'adhésion de la Pologne, prête à embarquer dans une nouvelle version de sous-marins U-212 fabriqués par ThyssenKrupp Marine Systems (TKMS). Berlin reprend exactement la même méthode que celle qui a permis à TKMS de vendre ses sous-marins à Oslo sans respecter l'appel d'offres norvégien. C'est-à-dire proposer aux Polonais un achat intergouvernemental groupé (Allemagne, Norvège et Pologne).

Ce serait un nouveau coup dur pour l'industrie de l'armement française, bloquée par les relations diplomatique glaciales entre Paris et Varsovie depuis que les Polonais ont cassé les négociations exclusives portant sur l'achat de 50 Caracal avec Airbus. L'arrivée de Jean-Yves Le Drian au Quai d'Orsay ne devrait pas arranger les relations entre les deux pays. L'ancien ministre de la Défense avait très mal pris la décision de la Pologne de renoncer aux Caracal.

La Pologne se dit proche d'une décision

C'est dans ce cadre diplomatique que, jeudi dernier, le secrétaire d'État à la Défense, Bartosz Kownacki, a participé en Allemagne à des discussions poussées avec ses deux homologues allemand et norvégien portant sur l'acquisition de trois sous-marins par la marine polonaise dans le cadre de l'appel d'offres Orka. La réunion a été présidée par le lieutenant général Benedikt Zimmer, responsable des achats au ministère de la Défense allemand, et le directeur national de l'armement norvégien, Morten Tiller. Cet appel d'offres semble désormais caduc compte tenu de la tournure des négociations entre les trois pays. La Norvège avait de son côté renoncé à son appel d'offres pourtant lancé depuis plusieurs années.

Le secrétaire d'État à la Défense polonais a d'ailleurs affirmé dans un communiqué que Varsovie allait annoncer dans les prochaines semaines une décision sur le choix du pays sélectionné pour ses sous-marins. Il a toutefois précisé que l'élément clé de la sélection serait l'évaluation du retour industriel en faveur de l'industrie polonaise et des coopérations industrielles entre les trois pays. Si Varsovie obtenait des conditions satisfaisantes, il a estimé que de nouvelles étapes pourraient alors être franchies dans le cadre de cette sélection.

Le rouleau compresseur allemand

Tandis qu'à Paris le nouveau gouvernement d'Edouard Philippe s'installe peu à peu avec un horizon pour l'heure très court-termiste (élections législatives dans trois semaines), Berlin accélère quant à elle la cadence sur les coopérations européennes dans le domaine de l'armement. Notamment dans le naval. D'autant que la continuité politique semble promise à l'Allemagne à l'issue des prochaines élections. Ainsi, l'écart dans les intentions de vote entre le bloc chrétien-démocrate de la chancelière Angela Merkel et les sociaux-démocrates de Martin Schulz semble se stabiliser à une douzaine de points à quatre mois des élections législatives. Selon un sondage Emnid diffusé samedi, la CDU-CSU obtient 38% des intentions de vote (+1 point). A l'inverse, le SPD cède un point, à 26%.

Pour vendre du matériel "Made in Deutschland" aux armées européennes, Berlin a une arme très efficace, le programme Framework Nation Concept (FNC), qui est un véritable cheval de Troie pour son industrie d'armement. L'Allemagne a pris l'initiative de fédérer le pilier européen de l'OTAN autour d'elle en mutualisant des capacités (logistiques, amphibies, sol-air, navales, etc.) et en suscitant des feuilles de route ciblées (drone, C2, etc.) qui débouchent très souvent sur des ventes de matériels allemands, des partenariats industriels et des développements communs.

"Derrière cet objectif, se profile nettement un Anschluss allemand, particulièrement visible dans le domaine des sous-marins et qui pourrait s'étendre très prochainement, après la Norvège, à la Pologne puis aux Pays-Bas", explique-t-on à 'La Tribune'. "Un cluster sous-marin sous tutelle allemande risque de voir le jour, ce qui marginaliserait clairement la France en Europe."

Le 2 février dernier, la Norvège, membre du FNC, a choisi de commander quatre U-212 pour 4,3 milliards d'euros. Oslo va développer avec Berlin un partenariat à vocation mondiale dans le domaine des missiles mer-mer et des systèmes de traitement de l'information. Cette décision du gouvernement norvégien d'interrompre l'appel d'offres et de choisir une évolution du sous-marin en service dans la Marine allemande (Deustche Marine) dans le cadre d'une coopération opérationnelle et industrielle renforcée, pourrait faire tache d'huile en Europe.

Enfin, Berlin et Rome ont engagé la poursuite de l'accord de R&T (recherche et technologie) autour de l'U-212. La marine italienne vient de recevoir le dernier exemplaire construit par Fincantieri sous licence TKMS.

Prochaine cible, la Pologne

Prochaine cible de Berlin, Varsovie, qui a déjà lancé un appel d'offres pour trois sous-marins. Si les relations germano-polonaises dans le domaine des blindés sont anciennes, celles existantes dans le secteur naval sont plus récentes mais tout aussi stratégiques. Déjà, le 27 mai 2013, une lettre d'intention avait été signée entre Tomasz Siemoniak, alors ministre polonais de la Défense et Thomas de Maizière, alors son homologue allemand.

Le point n°8 de l'annexe de l'accord prévoyait la création d'une autorité commune dans le domaine des sous-marins. Ce qui s'est traduit, le 28 juin 2016, par la mise en place du DEU-POL SubOpAuth (Deutschland-Poland Submarine Operating Authority), un commandement bilatéral qui avait dès l'origine clairement vocation à s'étendre aux autres pays de la région (création depuis du COMSUBALTICS). Depuis 2015, l'Inspection générale de l'armement polonais cherche un moyen de faire coïncider son besoin sous-marin avec celui d'Oslo : le 18 avril 2016, une alliance entre les deux pays était scellée avec un important volet naval.

La suite logique serait que Varsovie rejoigne l'alliance sous-marine germano-norvégienne. L'Inspecteur de l'armement, Adam Duda, responsable polonais des achats d'armes doit d'ailleurs se rendre fin mai à Berlin pour préparer les grandes lignes de cette alliance sous-marine tripartite. La coopération industrielle proposée par l'Allemagne est très, très séduisante. Outre la construction de trois sous-marins dans ses chantiers, Varsovie pourrait recevoir une partie de la construction des quatre sous-marins norvégiens et intégrer l'alliance industrielle dans le domaine des missiles et des équipements. Notamment, une coopération pourrait porter sur le développement d'une nouvelle version (sous-marin) du missile mer-mer NSM (Naval Strike Missile, "missile d'attaque navale"). Développé par le groupe norvégien Kongsberg Defence & Aerospace (KDA), il a déjà été acheté par les trois pays.

Cette nouvelle version n'en est qu'au stade des études chez Kongsberg. Pour autant, avec l'acquisition de neuf sous-marins par trois pays (deux pour l'Allemagne, quatre pour la Norvège et trois pour la Pologne), son développement pourrait rapidement s'imposer. Il pourrait devenir dans quelques années un sérieux concurrent du SM39 du missilier européen MBDA. Ce missile est jusqu'ici l'un des points forts à forte valeur ajoutée des propositions soutenues par la France sur le marché mondial des sous-marins conventionnels. Un avantage bientôt annulé?

Puis les Pays-Bas?

A moyen terme, Berlin vise ensuite les Pays-Bas. La Haye prévoit le remplacement des quatre sous-marins de la classe Walrus actuellement modernisés. Ce qui permettra de les maintenir en service actif jusqu'en 2025-2030. La DMO néerlandaise (DGA locale) s'appuie sur le cluster Dutch Underwater Knowledge Center (DUKC), qui regroupe les groupes néerlandais ayant des compétences en matière de sous-marins : Imtech, Nevesbu, Damen, Thales et TNO.

Damen, qui souhaite se développer dans le domaine des sous-marins, a fait alliance avec Saab, lequel construit deux A-26 pour sa Marine. Mais l'industriel suédois n'a pas réussi pour l'instant à convaincre d'autres pays de choisir l'A-26 : Singapour et la Norvège se sont tournés vers une solution allemande, plus rassurante en termes opérationnel, industriel et technologique. Sans partenaire de développement, sa solution comprend en effet un risque technologique et surtout financier.

Si Berlin parvient à vendre à la plupart des pays européens des sous-marins allemands U-212 modifiés, elle aura ainsi réussi à fédérer l'Europe navale autour de ses fameux U-Boot. Et à marginaliser en Europe la France... et DCNS.