Souveraineté de la France, souveraineté de l'Europe, souveraineté industrielle et numérique, souveraineté militaire, souveraineté juridique... Les crises sont souvent des accélérateurs de tendances parfois profondes. Avec la crise du Covid-19, on n'y échappe pas. Si désuète il y a encore peu de temps au profit de l'efficience économique, l'idée même de souveraineté est aujourd'hui dans toutes les bouches et est martelée à qui mieux mieux dans tous les discours des responsables politiques et industriels après la crise sanitaire provoquée par un virus malin, cause d'une pandémie mondiale.
Quatre-vingts ans après l'appel du 18 juin du général de Gaulle, la souveraineté est bel et bien revenue à la mode en France, voire en Europe, un continent pourtant ouvert à tous les vents du libéralisme. Mais n'est évidemment pas Charles de Gaulle qui veut, le général ayant le patriotisme de la grandeur pour la France. Aujourd'hui encore, notre pays rêve de grandeur et de puissance à travers l'Europe, un continent où pourtant les pays ne partagent presque rien de stratégique... si ce n'est un vaste marché attractif, largement ouvert à toutes les puissances prédatrices (États-Unis, Chine et Russie).
Pour Emmanuel Macron, l'idée de la souveraineté ne date pas de la crise du Covid-19. Il a senti qu'elle pouvait être un ressort pour mobiliser les énergies en France. La pandémie n'a été finalement qu'un révélateur. "Cette épreuve a révélé des failles, des fragilités : notre dépendance à d'autres continents pour nous procurer certains produits", a-t-il expliqué le 14 juin. Un constat implacable, mais un constat très ancien. Et le président lui-même part de très loin. Lui, l'ancien banquier d'affaires chez Rothschild & Co traîne la vente d'Alstom à General Electric comme un boulet. Une opération qui a donné un peu plus de pouvoir aux Américains sur la dissuasion nucléaire française, et qu'il a pourtant supervisée alors qu'il était ministre de l'Économie. C'est aussi le cas de Nokia qui est en train de vider de toute sa substance la recherche et développement basée en France de l'ex-champion des télécoms français Alcatel-Lucent... racheté quand Emmanuel Macron était installé à Bercy. Tout se paie cash tôt ou tard.
"Entraves à l'efficacité"
Le chef de l'État ne porte pas seul ce fardeau. Car avant ce quinquennat, la France avait déjà perdu depuis très longtemps une partie de sa souveraineté militaire. "Depuis des années, on privilégiait le management sur le commandement, l'efficience sur l'efficacité, et la logique de flux sur la logique de stock. Sans surprise, la crise a révélé que l'externalisation, comme la délocalisation de fonctions vitales et le manque tant de réserves de ressources humaines militaires que d'épaisseur organique constituent autant d'entraves à notre pleine efficacité". Le chef d'état-major des armées, le général François Lecointre, résume parfaitement l'état d'esprit qui prévalait avant la crise du Covid-19. Car ce constat s'applique finalement aussi bien aux armées qu'à l'industrie, et plus particulièrement à la santé.
La France a également perdu de façon progressive sa souveraineté juridique face à l'extraterritorialité des lois américaines et peut-être bientôt chinoises. Des tentatives pour s'émanciper de la tutelle de la justice américaine sont régulièrement enterrées à l'image du rapport Gauvain qui pourtant était très clair. Sans oublier, la souveraineté numérique française et européenne, balayée par les Gafam, qui disputent aux États des privilèges régaliens.
Aujourd'hui à Bercy, des dossiers de ventes d'entreprises stratégiques comme Photonis, Constructions navales et industrielles de la Méditerranée (CNIM), Aubert & Duval et bien d'autres depuis la crise du Covid-19 s'entassent sur le bureau du ministre de l'Économie, Bruno Le Maire, partagé entre l'attractivité de la France et sa souveraineté. Le dénouement de ces opérations donnera un bon indicateur sur la volonté réelle de ce que veut vraiment faire le chef de l'État de ce concept de souveraineté. Au-delà, il enverra des signaux clairs et nets aux Français mais, surtout, à ses partenaires étrangers. Ces décisions entraîneront une nouvelle jurisprudence sur la protection de la Base industrielle et technologique de défense française (BITD) dont Benjamin Griveaux s'est vu confier la mission.
Au plus haut niveau de l'excellence
Le discours d'aujourd'hui des autorités françaises semble bien lancer la France sur les hauteurs de la souveraineté, à travers "un vrai pacte productif", selon Emmanuel Macron. "Il nous faut créer de nouveaux emplois en investissant dans notre indépendance technologique, numérique, industrielle et agricole. Par la recherche, la consolidation des filières, l'attractivité et les relocalisations lorsque cela se justifie", a-t-il estimé le 14 juin. La France dispose déjà de centres de recherche au top niveau mondial, comme l'ONERA, le CEA, le CNRS, l'INRA, l'INRIA, l'Ifremer, l'Inserm et bien d'autres encore. Il suffit de les financer non pas pour qu'ils survivent comme aujourd'hui, mais pour qu'ils remettent la France au plus haut niveau de l'excellence mondiale sans aucun dogmatisme, y compris écologique. Décréter la souveraineté est un premier pas, mais qui reste insuffisant. Il faut maintenant que le gouvernement mette en musique cette politique par des actes concrets.
Le 16 juin, Emmanuel Macron a bien annoncé à l'issue d'une visite du site de Sanofi de Marcy l'Étoile (Rhône) des mesures pour relocaliser en France des usines dans le secteur sanitaire. Il a également promis la mise en place d'ici à l'été d'un "mécanisme de planification" de la production française dans le domaine de la santé, ainsi qu'une enveloppe de 200 millions d'euros pour financer des infrastructures de production. Dans ce contexte, le directeur général de Sanofi, Paul Hudson, doit créer deux sites français de recherche et de production de vaccins.
Souveraineté ou autonomie stratégique ?
Mais une telle annonce n'est pas à elle seule une politique pensée et orchestrée. Le commissaire européen chargé du marché intérieur, Thierry Breton, trace la voie : "Il conviendra de bâtir plus de stocks stratégiques de médicaments et de souches d'antibiotiques, et de relocaliser certains éléments des chaînes d'approvisionnement", a-t-il expliqué début juin à l'Assemblée nationale. C'est donc à l'État stratège, porté disparu depuis des années, de bâtir une vision cohérente et de mener la France vers des niveaux d'excellence d'abord en R&T (recherche et technologie), puis technologiques et, enfin, industriels dans les secteurs où l'Hexagone est reconnu à l'international (armement, aérospatial, transition énergétique, cyber, pharmacie, luxe...).
Les députés LREM ont dévoilé le 22 juin leur contribution pour « l'après »-coronavirus, à l'issue d'une consultation interne. Les "marcheurs" mettent l'accent sur la "souveraineté européenne". Mais la souveraineté est un concept avant tout franco-français en Europe. Si la crise du coronavirus a fait prendre conscience aux États européens de leur fragilité, ce concept reste encore très éloigné de leur vision, sans parler de doctrine. Car tous ou presque dépendent de leur allié américain, qui profite de l'OTAN, un formidable outil pour vassaliser l'Europe à bon compte sur le plan militaire.
L'accord franco-allemand autour d'un endettement conjoint et d'un plan d'investissement pour redresser l'économie du continent sera-t-il "un tournant historique", comme l'a souligné Emmanuel Macron. "Ce peut être là une étape inédite de notre aventure européenne et la consolidation d'une Europe indépendante qui se donne les moyens d'affirmer son identité, sa culture, sa singularité face à la Chine, aux États-Unis et dans le désordre mondial que nous connaissons, a-t-il estimé. Une Europe plus forte, plus solidaire, plus souveraine". Pour Thierry Breton, il faut plutôt "mettre l'accent sur la résilience et l'autonomie, ce dernier concept étant plus européen et plus conforme à la volonté des pères fondateurs que la souveraineté". Tout un débat... mais nécessaire pour faire évoluer les pays européens.
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