Souveraineté : pourquoi il faut passer d'un effet de mode à un mode d'action

TENDANCE. Ce concept est présent dans tous les discours ou presque. Il doit être désormais non seulement pensé mais aussi mis en musique par un État stratège.
Michel Cabirol
Emmanuel Macron (ici, lors de sa visite sur le site de Sanofi, à Marcy-l’Étoile), a annoncé des mesures pour relocaliser en France des usines du secteur sanitaire.
Emmanuel Macron (ici, lors de sa visite sur le site de Sanofi, à Marcy-l’Étoile), a annoncé des mesures pour relocaliser en France des usines du secteur sanitaire. (Crédits : Reuters)

Souveraineté de la France, souveraineté de l'Europe, souveraineté industrielle et numérique, souveraineté militaire, souveraineté juridique... Les crises sont souvent des accélérateurs de tendances parfois profondes. Avec la crise du Covid-19, on n'y échappe pas. Si désuète il y a encore peu de temps au profit de l'efficience économique, l'idée même de souveraineté est aujourd'hui dans toutes les bouches et est martelée à qui mieux mieux dans tous les discours des responsables politiques et industriels après la crise sanitaire provoquée par un virus malin, cause d'une pandémie mondiale.

Quatre-vingts ans après l'appel du 18 juin du général de Gaulle, la souveraineté est bel et bien revenue à la mode en France, voire en Europe, un continent pourtant ouvert à tous les vents du libéralisme. Mais n'est évidemment pas Charles de Gaulle qui veut, le général ayant le patriotisme de la grandeur pour la France. Aujourd'hui encore, notre pays rêve de grandeur et de puissance à travers l'Europe, un continent où pourtant les pays ne partagent presque rien de stratégique... si ce n'est un vaste marché attractif, largement ouvert à toutes les puissances prédatrices (États-Unis, Chine et Russie).

Pour Emmanuel Macron, l'idée de la souveraineté ne date pas de la crise du Covid-19. Il a senti qu'elle pouvait être un ressort pour mobiliser les énergies en France. La pandémie n'a été finalement qu'un révélateur. "Cette épreuve a révélé des failles, des fragilités : notre dépendance à d'autres continents pour nous procurer certains produits", a-t-il expliqué le 14 juin. Un constat implacable, mais un constat très ancien. Et le président lui-même part de très loin. Lui, l'ancien banquier d'affaires chez Rothschild & Co traîne la vente d'Alstom à General Electric comme un boulet. Une opération qui a donné un peu plus de pouvoir aux Américains sur la dissuasion nucléaire française, et qu'il a pourtant supervisée alors qu'il était ministre de l'Économie. C'est aussi le cas de Nokia qui est en train de vider de toute sa substance la recherche et développement basée en France de l'ex-champion des télécoms français Alcatel-Lucent... racheté quand Emmanuel Macron était installé à Bercy. Tout se paie cash tôt ou tard.

"Entraves à l'efficacité"

Le chef de l'État ne porte pas seul ce fardeau. Car avant ce quinquennat, la France avait déjà perdu depuis très longtemps une partie de sa souveraineté militaire. "Depuis des années, on privilégiait le management sur le commandement, l'efficience sur l'efficacité, et la logique de flux sur la logique de stock. Sans surprise, la crise a révélé que l'externalisation, comme la délocalisation de fonctions vitales et le manque tant de réserves de ressources humaines militaires que d'épaisseur organique constituent autant d'entraves à notre pleine efficacité". Le chef d'état-major des armées, le général François Lecointre, résume parfaitement l'état d'esprit qui prévalait avant la crise du Covid-19. Car ce constat s'applique finalement aussi bien aux armées qu'à l'industrie, et plus particulièrement à la santé.

La France a également perdu de façon progressive sa souveraineté juridique face à l'extraterritorialité des lois américaines et peut-être bientôt chinoises. Des tentatives pour s'émanciper de la tutelle de la justice américaine sont régulièrement enterrées à l'image du rapport Gauvain qui pourtant était très clair. Sans oublier, la souveraineté numérique française et européenne, balayée par les Gafam, qui disputent aux États des privilèges régaliens.

Aujourd'hui à Bercy, des dossiers de ventes d'entreprises stratégiques comme Photonis, Constructions navales et industrielles de la Méditerranée (CNIM), Aubert & Duval et bien d'autres depuis la crise du Covid-19 s'entassent sur le bureau du ministre de l'Économie, Bruno Le Maire, partagé entre l'attractivité de la France et sa souveraineté. Le dénouement de ces opérations donnera un bon indicateur sur la volonté réelle de ce que veut vraiment faire le chef de l'État de ce concept de souveraineté. Au-delà, il enverra des signaux clairs et nets aux Français mais, surtout, à ses partenaires étrangers. Ces décisions entraîneront une nouvelle jurisprudence sur la protection de la Base industrielle et technologique de défense française (BITD) dont Benjamin Griveaux s'est vu confier la mission.

Au plus haut niveau de l'excellence

Le discours d'aujourd'hui des autorités françaises semble bien lancer la France sur les hauteurs de la souveraineté, à travers "un vrai pacte productif", selon Emmanuel Macron. "Il nous faut créer de nouveaux emplois en investissant dans notre indépendance technologique, numérique, industrielle et agricole. Par la recherche, la consolidation des filières, l'attractivité et les relocalisations lorsque cela se justifie", a-t-il estimé le 14 juin. La France dispose déjà de centres de recherche au top niveau mondial, comme l'ONERA, le CEA, le CNRS, l'INRA, l'INRIA, l'Ifremer, l'Inserm et bien d'autres encore. Il suffit de les financer non pas pour qu'ils survivent comme aujourd'hui, mais pour qu'ils remettent la France au plus haut niveau de l'excellence mondiale sans aucun dogmatisme, y compris écologique. Décréter la souveraineté est un premier pas, mais qui reste insuffisant. Il faut maintenant que le gouvernement mette en musique cette politique par des actes concrets.

Le 16 juin, Emmanuel Macron a bien annoncé à l'issue d'une visite du site de Sanofi de Marcy l'Étoile (Rhône) des mesures pour relocaliser en France des usines dans le secteur sanitaire. Il a également promis la mise en place d'ici à l'été d'un "mécanisme de planification" de la production française dans le domaine de la santé, ainsi qu'une enveloppe de 200 millions d'euros pour financer des infrastructures de production. Dans ce contexte, le directeur général de Sanofi, Paul Hudson, doit créer deux sites français de recherche et de production de vaccins.

Souveraineté ou autonomie stratégique ?

Mais une telle annonce n'est pas à elle seule une politique pensée et orchestrée. Le commissaire européen chargé du marché intérieur, Thierry Breton, trace la voie : "Il conviendra de bâtir plus de stocks stratégiques de médicaments et de souches d'antibiotiques, et de relocaliser certains éléments des chaînes d'approvisionnement", a-t-il expliqué début juin à l'Assemblée nationale. C'est donc à l'État stratège, porté disparu depuis des années, de bâtir une vision cohérente et de mener la France vers des niveaux d'excellence d'abord en R&T (recherche et technologie), puis technologiques et, enfin, industriels dans les secteurs où l'Hexagone est reconnu à l'international (armement, aérospatial, transition énergétique, cyber, pharmacie, luxe...).

Les députés LREM ont dévoilé le 22 juin leur contribution pour « l'après »-coronavirus, à l'issue d'une consultation interne. Les "marcheurs" mettent l'accent sur la "souveraineté européenne". Mais la souveraineté est un concept avant tout franco-français en Europe. Si la crise du coronavirus a fait prendre conscience aux États européens de leur fragilité, ce concept reste encore très éloigné de leur vision, sans parler de doctrine. Car tous ou presque dépendent de leur allié américain, qui profite de l'OTAN, un formidable outil pour vassaliser l'Europe à bon compte sur le plan militaire.

L'accord franco-allemand autour d'un endettement conjoint et d'un plan d'investissement pour redresser l'économie du continent sera-t-il "un tournant historique", comme l'a souligné Emmanuel Macron. "Ce peut être là une étape inédite de notre aventure européenne et la consolidation d'une Europe indépendante qui se donne les moyens d'affirmer son identité, sa culture, sa singularité face à la Chine, aux États-Unis et dans le désordre mondial que nous connaissons, a-t-il estimé. Une Europe plus forte, plus solidaire, plus souveraine". Pour Thierry Breton, il faut plutôt "mettre l'accent sur la résilience et l'autonomie, ce dernier concept étant plus européen et plus conforme à la volonté des pères fondateurs que la souveraineté". Tout un débat... mais nécessaire pour faire évoluer les pays européens.

>> LIRE notre dossier Souveraineté : la France en état d'urgence absolue

Michel Cabirol

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Commentaires 17
à écrit le 10/07/2020 à 8:49
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Parler de souveraineté dans le cadre de l'UE, c'est comme affirmer que le Père Noël existe et qu'il va venir avec plein de cadeaux ! Il faut quitter cette horreur qui enchaîne les gouvernements, brade notre économie au monde entier, détruit les serv...

à écrit le 09/07/2020 à 16:32
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Celui qui est en train de vendre le pays a la découpe parle de souveraineté alors que sa stratégie de mutualisation des pertes économiques des entreprises par l'impôt est strictement l'inverse. Depuis son mandat, il transfert la richesse collectiv...

à écrit le 09/07/2020 à 14:14
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( Annule et remplace le précédent commentaire) La souveraineté totale initiée par de Gaulle en 58, cherchait à combattre le virus pro américain qui avait infesté l'Europe en la vassalisant par le plan Marshall et l'OTAN. Et la volonté d'indépendanc...

à écrit le 09/07/2020 à 14:07
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La souveraineté totale initiée par de Gaulle en 58, cherchait à combattre le virus pro américain qui avait infesté l'Europe en la vassalisant par le plan Marshall et l'OTAN. Et la volonté d'indépendance stratégique, mais aussi industrielle a été qu...

à écrit le 09/07/2020 à 11:09
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Au lieu de donner des lecons à la chine sur hong kong on ferait mieux de récupérer Monaco, ce paradis fiscal anglo saxon. Ainsi que guernesey... Mais pour ça ya pas les ùoulles ! Sans compter la corruption, les nombreux achat de services de fonction...

à écrit le 09/07/2020 à 0:44
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Avec les productions Griveaux, la souveraineté audiovisuelle française est assurée. Merci Benjamin.

à écrit le 08/07/2020 à 23:07
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Souveraineté, avec quoi Mr Macron va rendre notre pays souverain. Notre Président n’a même pas fermé les frontières lors de l’épidémie de COVID, ce son les pays limitrophes, qui ont fermé leurs frontières à la France. La dette du Pays est détenue à 7...

à écrit le 08/07/2020 à 22:40
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Répétez après moi, je suis sous vérin, Tu es sous vérin, Nous sommes sous vérin, Vous êtes sous vérin, Ils sont sous vérin !

à écrit le 08/07/2020 à 16:58
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Afin nos fins "stratèges", on n'est pas rendus...

à écrit le 08/07/2020 à 12:56
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Notre pays est la pointe de la modernité: entreprises sans usines, usines à l'étranger, chômage de masse. Et puis, quel langage! Oser parler de souveraineté en France! En voila du culot!, Cela relève d'une détestable pensée nationaliste à éradiquer d...

à écrit le 08/07/2020 à 10:51
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En utilisant les mots en dehors de leur contexte, on en change la définition. Où voyez vous que l'on soit souverain quand on dépend des autres?

à écrit le 08/07/2020 à 10:19
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Pendant ce temps : Le fondeur de puces X-Fab a été victime, le 5 juillet 2020, d’une cyberattaque. Par mesure de précaution, il a arrêté la production de ses six usines, dont celle à Corbeil-Essonnes, en France, que venait de visiter le nouveau Pr...

à écrit le 08/07/2020 à 10:08
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De Gaulle c'était notre XiJingPing !

à écrit le 08/07/2020 à 10:07
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"Etat stratege" . Comme si micron pouvait prevoir quoique ce soit. C'est de la com, pour les naifs. Le depecage va continuer, les francais lui laisseront-il le temps d'accomplir sa forfaiture ?

le 08/07/2020 à 23:14
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Tout à fait, je ne peux qu’être d’accord.

à écrit le 08/07/2020 à 9:53
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Parce que sinon c'est notre président qui opère ?! OK on fera tout ce que vous voudrez, promis ! De grâce !!!

à écrit le 08/07/2020 à 9:18
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Si on ne nationalise pas et ne sanctuarise pas les secteurs clés du pays, alors la "foire d'empoigne" recommencera pour d'autres difficultés toujours plus dévastatrices. Il est déjà bien tard.

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