Spatial : l'Europe développe son autonomie stratégique dans les micropuces

Et si l'industrie spatiale européenne en avait enfin terminé avec la réglementation ITAR dans le domaine des circuits intégrés (ASIC). La Commission européenne a lancé le programme Promise, confié à Thales Alenia Space, en vue de réduire la dépendance de l'Europe vis-à-vis de pays tiers, dont les États-Unis.
Michel Cabirol
Confié à Thales Alenia Space Espana, le Projet Promise vise à améliorer la compétitivité et l'autonomie de l'industrie spatiale européenne
Confié à Thales Alenia Space Espana, le Projet Promise vise à améliorer la compétitivité et l'autonomie de l'industrie spatiale européenne (Crédits : Thales Alenia Space)

Des satellites entièrement "Made in Europe", ce sera possible à partir de 2022. C'est un contrat certes très modeste (2,8 millions d'euros) mais qui pourrait avoir une portée stratégique très importante pour l'industrie spatiale européenne. La Commission européenne a confié en début d'année à Thales Alenia Space Espana le projet Promise (PROgrammable MIxed Signal Electronics), qui pourrait, selon Thales Alenia Space, assurer "l'indépendance technologique de l'Europe pour les futures missions spatiales et garantir sa compétitivité" dans le domaine des satellites, des mini aux très gros.

"Promise positionnera l'industrie spatiale européenne à la pointe des solutions compétitives et permettra aux entreprises participantes de jouer un rôle de premier plan dans les projets spatiaux du futur", a estimé le PDG de Thales Alenia Space Espana, Eduardo Bellido.

C'est dans ce cadre que Thales Alenia Space (TAS) Espana a été sélectionné parmi une dizaine de concurrents pour diriger un consortium dans le cadre du programme Horizon 2020 de la Commission européenne. Épaulé par sa maison mère, TAS Espana est accompagné de PME innovantes comme ISD en Grèce et MENTA en France, ainsi que les instituts de Recherche & Technologie IMEC en Belgique, IT au Portugal et VTT en Finlande. Le contrat de la Commission court sur trois ans (1er janvier 2020 au 31 décembre 2022) et les résultats seront présentés lors d'un colloque prévu au second semestre 2022.

La commission vise 50% du marché des satellites

Concrètement, le projet va créer une bibliothèque où seront entreposés tous les design de circuits intégrés pour applications spécifiques (ASIC) en vue d'être utilisés dans la fabrication des micropuces. Ils seront développés pour toutes les fonctions applicables aux micropuces électroniques dans le spatial (voltage, circuits pilotes, oscillateur, convertisseurs analogiques/digital ou inversement....). Et cette bibliothèque permettra aux entreprises européennes d'acheter un design européen et de fabriquer des micropuces électroniques, qui sont les cerveaux des satellites et l'un des éléments les plus coûteux à produire. Pour garantir le bon fonctionnement de tous les contenus de la bibliothèque, le consortium s'est engagé à produire une puce prototype. "Cette étape est déterminante pour l'avenir de l'industrie spatiale européenne", estime Eduardo Bellido.

Une fois la bibliothèque développée par le consortium, c'est IMEC, qui sera chargé de tenir "la boutique" : vendre aux entreprises européennes et uniquement aux entreprises européennes les design et gérer la modernisation du catalogue. Seul bémol, les filiales européennes des groupes étrangers pourront venir également se servir dans les rayonnages de la bibliothèque. En outre, les entreprises européennes pourront, si elles le désirent, exporter des systèmes complets à partir d'un design développé par le consortium. "Ce concept de bibliothèque totalement novateur, ouvert à tous les pays de l'Union européenne, comprend les unités de traitement des futures missions spatiales de télécommunications, de navigation, d'observation de la Terre et d'exploration", estime TAS.

La commission s'est fixée des objectifs ambitieux. Elle a indiqué que ce projet prévoit "de livrer plus de 2.800 unités au cours des cinq prochaines années" dans le cadre d'un marché en croissance boosté par les nouveaux acteurs (NewsSpace) ains que les projets de constellations satellitaires. Ce qui veut dire qu'elle vise ni plus ni moins "une part de marché de 50%", soit la fourniture de "706 satellites". Pour coller aux ambitions de la Commission, l'équipe projet estime "réduire de 20% à 40% le délai de livraison" du nouvel ASIC à signal mixte entièrement basé sur la bibliothèque Promise. "En termes de coût, la conception et la production d'un nouvel ASIC à signal mixte seront réduites d'un facteur 5, ce qui signifie que le nombre d'unités récurrentes nécessaires pour rentabiliser une nouvelle conception passera de 200 (avec la technologie actuelle) à 85", explique TAS. C'est à ce prix-là, au profit de la compétitivité industrielle, que le pari du projet Promise sera relevé.

Indépendance stratégique de l'Europe

Eduardo Bellido a confirmé à La Tribune que ce projet permettrait à l'industrie spatiale européenne de s'émanciper de la réglementation américaine ITAR (International Traffic in Arms Regulations) en devenant "ITAR free" pour ce qui concerne les circuits intégrés pour applications spécifiques (ASIC) à signaux mixtes, produits en grande partie aux États-Unis, puis dans des pays non européens comme le Japon. Si un système d'armes ou un équipement spatial contient au moins un composant américain sous le régime de la réglementation ITAR, les États-Unis ont le pouvoir d'en interdire la vente à l'export à un pays tiers. Or beaucoup de sociétés françaises et européennes intègrent des composants américains notamment électroniques, dans de nombreux matériels, tout particulièrement dans les domaines aéronautique et spatial.

Et les États-Unis ont souvent joué ces dernières années avec les nerfs des industriels français. En 2013, ils avaient par exemple refusé une demande de réexportation aux Emirats Arabes Unis de composants "made in USA"  nécessaires à la fabrication de deux satellites espions français (Airbus et Thales). La visite de François Hollande aux États-Unis en février 2014 avait permis de régler positivement ce dossier. "La question des normes ITAR est très sensible et continue de défrayer la chronique dans le domaine des satellites, avait expliqué en juin 2015 à l'Assemblée nationale le président du CIDEF, Eric Trappier. Les Américains utilisent, en effet, ces règles pour limiter certaines exportations vers des pays pourtant amis, pour des raisons souvent plus politiques que juridiques".

Le projet Promise pourrait carrément changer la donne. C'est une première initiative d'envergure stratégique de la Commission dans le spatial, qui permettra à l'industrie européenne de renforcer sa souveraineté dans un secteur clé pour l'Europe. Car les entreprises spatiales pourront s'approvisionner dans ce catalogue au lieu d'acheter à l'étranger avec deux avantages incroyables : ce sera souverain et moins cher.

Michel Cabirol

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Commentaires 10
à écrit le 04/06/2020 à 13:45
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"En trois ans, la Chine a quintuplé ses investissements dans la production de puces électroniques, les portant à 11 milliards de dollars en 2018 selon le cabinet IC Insights. Elle investit désormais plus que l’Europe et le Japon réunis. " Et nous on...

à écrit le 03/06/2020 à 18:39
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Je suis surpris de ne pas voir STMicro ?

à écrit le 03/06/2020 à 16:08
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L'Europe que vous confondez avec l'UE de Bruxelles n'est qu'un conglomérat qui tirent chacun la couverture a soi pour profiter, pendant que d'autres grelottent!

à écrit le 03/06/2020 à 12:18
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Le matériel utilisé dans l'industrie électronique est essentiellement américain : ou sera donc l'indépendance ? L'Europe est bien plus qu'allier des USA, elle est aligné sur tous les plans : politique, financier, social, militaire et sanitaire. Le CO...

le 04/06/2020 à 8:47
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L'étape la plus importante dans la fabrication des puces est la lithographie maîtrisée de façon quasi monopolistique par une société européenne ASML. Renseignez vous et vous verrez que l'Europe est incontournable pour les usa , sauf à racheter cette...

le 04/06/2020 à 11:45
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ASML qui a fait des progrès déterminant par l'acquisition d'une pépite américaine.... Brion Technologies CA.

le 04/06/2020 à 12:03
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En effet le chiffre d'affaire de ASML correspond au total des ventes d'armement francais, pas étonnant que la hollande nous surpasse.

à écrit le 03/06/2020 à 9:11
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Vaste blague. Vu le montant et l'éparpillement des fonds ça ne va pas aller très loin. En matière d'indépendance de composants pour s'affranchir de l'ITAR voir plutôt la société Nanoexplore.

à écrit le 03/06/2020 à 6:56
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Ils n'est pas açeptable d'être dépendant de certain etats pour le développement technologique de certain de nos savoir faire... Cette histoire de coût financier et surtout la pour cacher la perte de savoir faire de nos industriel .... Mais bon , îl...

le 03/06/2020 à 10:28
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Si vous trouvez des puces/circuits intégrés sur le marché, qui font le job, vous imaginez fabriquer les mêmes vous même ? A une époque les téléviseurs Sony utilisaient des circuits intégrés européens (TDA TBA etc) puis en ont produit des versions "am...

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