Très haute altitude : nouvel espace stratégique conflictuel entre grandes puissances (1/2)

L'armée américaine a abattu samedi un ballon chinois considéré par le Pentagone comme un ballon espion. La France s'intéresse fortement depuis plusieurs années à la très haute altitude (entre 20 et 100 km). L'armée de l'air et de l'espace prépare une feuille de route stratégique pour cet été.
Michel Cabirol
Ce qui intéresse prioritairement l'armée de l'air et de l'espace, c'est naturellement la taille et la polyvalence de la charge utile. Et donc la capacité de la plateforme à emporter une charge utile (soit radar, soit optique, soit télécoms) la plus lourde possible. Elle veut également de la permanence.

Rififis entre grandes puissances dans la stratosphère, ou plus exactement dans la très haute altitude (HAO ou Higher Airspace Operations), qui est comprise entre 20 et 50 km. Soit une altitude au-dessus de la souveraineté des États (66.000 pieds, environ 20 km) et avant l'espace. Longtemps délaissée par les militaires, cette tranche d'altitude (re)devient un espace stratégique où tout est à construire : enjeux de doctrine, enjeux opérationnels et enjeux capacitaires. Et l'exemple du ballon chinois d'environ 25 mètres de large, considéré par le Pentagone comme un engin espion et abattu par un F-22A Raptor au large des côtes de Caroline du Sud par l'armée américaine sur ordre du président Joe Biden, le démontre bel et bien même si la Chine soutient de son côté qu'il s'agissait d'un aéronef civil.

Un nouvel espace de conflictualités ?

Pékin, qui accuse Washington d'avoir « surréagi » en employant la force, était pourtant pleinement dans son droit de faire voler ce ballon au-dessus des États-Unis... Il volait au-delà de la souveraineté des États-Unis. D'ailleurs, l'armée de l'air américaine ne demande à personne l'autorisation de faire voler ses U2 au-dessus de la France à 70.000 pieds lorsqu'ils décollent de Grande-Bretagne pour aller au Moyen-Orient. Faut-il réglementer la très haute altitude comme l'espace aérien et l'espace ? C'est la question que pose clairement cet incident entre la Chine et les États-Unis au-delà de la posture naturellement hypocrite des deux superpuissances.

Et quelles sont les conséquences pour les militaires de ce regain d'activité dans la très haute altitude ? Car c'est à eux d'anticiper ces menaces et d'imaginer un système de protection en vue d'éviter tout contournement stratégique par ce théâtre d'opérations, qui pourrait devenir un nouvel espace de conflictualités. Il est donc important que les États définissent des concepts d'emploi et une doctrine en la matière. Cela passe par la connaissance, la détection des ballons, leur surveillance et, in fine, la protection des populations... D'autant que le coût d'accès à la technologie permettant une présence dans la très haute altitude est « probablement beaucoup moins cher que celui de l'espace », faisait récemment observer dans le cadre d'un colloque organisé par l'armée de l'air, le major général de l'armée de l'Air et de l'Espace, le général Frédéric Parisot.

« Certaines nations, certaines organisations pourraient très bien se doter de ces ballons qui resteraient au-dessus de nos têtes pendant plusieurs mois et donc compromettre un certain nombre d'activités chez nous », estimait-il.

Cet espace est également amené à se développer dans les années à venir sur le plan commercial. Ces nouveaux utilisateurs, qu'il soit militaire ou civil, devront « obéir à des règles, rappelait le numéro deux de l'armée de l'air. Ce qui crée des opportunités crée des menaces potentielles ».

France, une feuille de route stratégique à l'été

Que fait la France pour protéger le territoire national et les populations contre de telles plateformes difficilement détectables par des radars et qui pourraient porter des bombes comme le Japon l'avait imaginé et réalisé pendant la Deuxième Guerre Mondiale (projet Fugo) pour bombarder les États-Unis provoquant la mort d'une famille américaine ? « On ne peut pas être absent de cette tranche d'altitude. C'est certain », expliquait le général Frédéric Parisot. L'armée de l'air et de l'espace compte s'investir dans ce domaine « pour prendre en compte les enjeux de cette tranche d'altitude et les problématiques associées afin de ne pas se voir imposer une utilisation du Higher space (HAO), qui serait contraire à nos intérêts », assurait lors de ce colloque le chef d'état-major de l'armée de l'air et de l'espace, le général Stéphane Mille.

« Il est important de savoir ce qui se passe au-dessus de nos têtes. L'Armée de l'air et de l'espace s'y intéresse depuis de très nombreuses années parce que c'est essentiellement un lieu de passage par exemple pour des missiles balistiques ou pour des opérations spatiales par exemple », constatait le général Frédéric Parisot.

Dans cet esprit, l'armée de l'air doit remettre à l'été une feuille de route stratégique au chef d'état-major des armées (CEMA), le général Thierry Burkhard, selon le général Mille. Ce travail, destiné à l'élaboration d'une stratégie française sur les HAO, va « à la fois définir les missions et les moyens pour nous permettre d'être présent dans le développement des HAO », précisait le numéro deux de l'armée de l'air, le général Parisot. Et le patron de l'armée de l'air d'affirmer « que dans un avenir plus ou moins proche, les HAO s'ajouteront très certainement aux missions déjà existantes de l'armée de l'air et de l'espace ». L'armée de l'air et de l'espace pourrait disposer à partir « de la moitié de la prochaine décennie » de capacités opérationnelles, estimait le major général de l'armée de l'Air et de l'Espace.

Un tissu industriel performant

Si tout est à construire dans ce domaine ou presque, la France ne part pas de zéro. Loin de là. Par exemple, le CNES, l'agence spatiale française, est mondialement reconnu pour ses compétences dans la mise en œuvre des ballons stratosphériques. Un savoir-faire stratégique. Les industriels tricolores travaillent quant à eux sur plusieurs projets avec l'aide des agences françaises (Direction générale de l'armement, CNES), de la France (France 2030) et de l'Europe (Union européenne). C'est notamment le cas de la PME Hemeria (projet BalMan, un ballon manœuvrant) mais aussi des grands maîtres d'œuvre tricolores comme Thales Alenia Space (dirigeable Stratobus en voie de développement) et Airbus Space (Zephyr, drone de très haute altitude en phase d'expérimentation).

« C'est un champ capacitaire qui est nouveau où il y a beaucoup de choses qui restent à construire même si finalement beaucoup de concepts existent », expliquait l'architecte programme des futurs systèmes C4ISR à la DGA, Jean-Baptiste Paing.

Ce qui intéresse prioritairement l'armée de l'air et de l'espace, c'est naturellement la taille et la polyvalence de la charge utile. Et donc la capacité de la plateforme à emporter une charge utile (soit radar, soit optique, soit télécoms) la plus lourde possible. Elle veut également de la permanence. Aidé par la Direction générale de l'armement (DGA), l'armée de l'armée de l'air et de l'espace a fait ses choix en soutenant le projet BalMan, qui est une plateforme manœuvrante capable de ne pas dériver dans la stratosphère, et Stratobus, embarquant une charge utile de 250 kg. En outre, le dirigeable développé par Thales Alenia Space sera capable de rester un an sur une même zone de surveillance d'environ 1.000 km² grâce à un système de propulsion électrique entièrement autonome alimenté par l'énergie solaire. Un système qui a toutefois aussi ses limites, étant très vulnérable dans les conflits à haute intensité où la maîtrise de l'espace aérien n'est pas assurée notamment.

Michel Cabirol

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 4
à écrit le 07/02/2023 à 21:23
Signaler
Ce ballon chinois n'avait vraiment pas très l'air dirigeable. Et donc pas très espion. On a un peu l'impression que les Ricains ont cédé à la parano. Qui est sans aucun doute à un niveau élevé en ce moment, avec tout ces gens qui rêvent d'une troisiè...

à écrit le 07/02/2023 à 20:12
Signaler
L'espace "souverain" des Etats au dessus de leur territoire n'est pas de 20 km comme vous l'indiquez, mais de 100 km, en vertu du traité du 27 janvier 1967 sur les principes régissant les activités spatiales des Etats en matière d’exploration et d’ut...

à écrit le 07/02/2023 à 6:41
Signaler
Bonjour, L'emplois de ballon est autre systeme a tres haute altitude, peux avoir l'avantage du remplacement des satellites de surveillance ou des drones MALE Maintenant reste a développer les systèmes de navigation automatiques, l'autonomie de l'...

le 07/02/2023 à 15:26
Signaler
Vous avez raison. Manque un seul mot "car SEULS les pays...".

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.