Le "génie de la finance" de Parmalat à l'origine des 14 milliards d'euros de fraude

Fausto Tonna: directeur financier de Parmalat pendant seize ans, il a permis, avec ses faux bilans ajustés via des sociétés fantômes domiciliées dans des paradis fiscaux, de dissimuler un trou de 14 milliards d'euros, révélé en décembre 2003. Et souvent grâce à des faux réalisés avec des ciseaux et des collages...
Calisto Tanzi, fondateur et ex-PDG de Parmalat lors d'un interrogatoire en mai 2004

Décliné sur tous les continents, le scandale Parmalat a été, selon le gendarme boursier américain, la SEC, "une des plus grandes et des plus éhontées fraudes financières d'entreprise de l'histoire". Pourtant, si les malversations et trucages financiers divers allaient des États-Unis à Singapour en passant par leVenezuela, les mécanismes de cette fraude de plus de 14 milliards d'euros ont été conçus pour l'essentiel par un simple expert-comptable, Fausto Tonna, devenu directeur financier en 1987. Dans son "petit bureau de deux mètres sur trois avec une table, deux chaises et une armoire" au siège de Parmalat, à Collechio, près de Parme, ont été mis aupoint les différents instruments pour dissimuler pendant au moins dix ans les pertes de Parmalat.
 

Souvent présenté comme irascible, Fausto Tonna est, selon un bon connaisseur du dossier, le « cerveau criminel » de l'escroquerie Parmalat. Il a en tout cas permis au fondateur et patron de Parmalat, Calisto Tanzi, de duper le marché et les épargnants sur la santé du groupe alimentaire. Quand, en janvier 2004, quelques jours après que le scandale de plusieurs milliards d'euros a éclaté, le directeur financier de Parmalat est de retour avec la police au siège, un employé décrira "le "ragionere" Tonna comme un génie de la finance, un expertmondial de droit fiscal : il connaît toutes les lois et tous les trucs de tous les systèmes fiscaux de la planète".

En effet, à travers un dense réseau de sociétés offshore, dont les sièges constituent un véritable atlas des paradis fiscaux (Malte, îles Cayman, Antilles hollandaises, îles Vierges britanniques, Luxembourg...), le directeur financier Tonna "ajustait" chaque trimestre les bilans du groupe alimentaire italien. En cela sa technique était similaire à celle des dirigeants américains d'Enron, utilisant des sociétés dites special purpose entities (SPE), des véhicules de dette hors bilan, pour isoler certaines dettes et autres engagements et ainsi "nettoyer" le bilan de leur société.


Malgré l'ampleur de la fraude, les malversations ont souvent été très artisanales. Un des subordonnés de Tonna, Gianfranco Bocchi, rappelle ainsi avoir "contrefait" en 1999 des documents bancaires
de Bank of America en utilisant tout simplement des ciseaux, le logicielWord, le logo de la banque récupéré via Internet et un scanner. Le pot aux roses ne sera découvert que le 21 décembre 2003, quand cette banque américaine déclara comme un faux un extrait de compte créditant le groupe Parmalat de 3,9 milliards d'euros...

Le plus étonnant, même pour Fausto Tonna, est que cela ait fonctionné aussi longtemps. Ces jeux de fausses écritures ne concernaient pas seulement des sommes inexistantes. Fausto Tonna a aussi été à l'origine d'une fumeuse vente de lait en poudre à Cuba. D'après le témoignage d'un de ses anciens collaborateurs, il organisa lui-même début 2003 la vente fictive, pour plusieurs centaines de millions d'euros, de 300.000 tonnes de lait en poudre d'une filiale de Parmalat à Singapour, la Camfield, à une société cubaine, Empresa. Chaque Cubain aurait ainsi, en théorie, consommé plus de 25 litres de lait fourni par Parmalat !


Jusqu'au dernier moment, Tonna et les siens ont bricolé pour cacher leur fraude. Une fois le scandale éclaté, un samedi de décembre 2003, Tonna et son successeur comme directeur financier, Luciano
Del Soldato, ordonnèrent à leur comptable de détruire toutes les preuves, non seulement avec un destructeur de papier mais aussi en utilisant un marteau contre un ordinateur...


Fausto Tonna a répété à l'envi ne pas être "le Satan de la finance", ayant eu comme seul "tort de suivre les ordres du président", Calisto Tanzi. "La division finance du groupe, que j'ai dirigée jusqu'en
mars 2003, était contrainte par Calisto Tanzi de couvrir les pertes opérationnelles", s'est-il défendu. "J'ai toujours agi pour essayer de sauver Parmalat, pas pour la couler", a-t-il même dit.


DES VOLETS TRAGIQUES


De fait, sa « finance créative » a permis au groupe italien de gonfler son chiffre d'affaires et la valeur de ses actifs au bilan, et donc lui permettre d'emprunter sur le marché obligataire. Tonna dit lui-même que les banques, italiennes et étrangères, disposaient dès 1994 des éléments démontrant la situation financière difficile de Parmalat. Il accrédite son rôle central dans la fraude en indiquant que, s'il avait démissionné trois ans avant, la faillite serait aussi arrivée trois ans plus tôt...
Né et ayant grandi à Collecchio, domicilié avec femme et enfant dans la ville, et avec trente ans de travail pour Parmalat, Fausto Tonna n'a rien de ces as de la finance formés à laCity ou à Wall Street. Il avait une imagination fertile pour « ajuster » les bilans et pour baptiser les sociétés écrans et fantômes qui ont caché le trou dans les caisses de plusieurs milliards comme la filiale « Buconero » (« trou noir »), domiciliée dans le Delaware américain.

Le scandale Parmalat a eu aussi des volets tragiques comme le suicide d'Alessandro Bassi, le chef du service comptabilité industrielle à Parmalat, interrogé quelques jours auparavant sur les comptes
du groupe. Si Fausto Tonna s'est souvent épanché sur le rôle des banques complices ou la culpabilité du patron, Calisto Tanzi, il est resté coi sur lesmillions qui ont disparu et n'ont jamais été retrouvés. Selon lui, « il n'y a pas de trésor Parmalat ». D'après son avocat, Fausto Tonna, 56 ans, propose ses services comme « consultant ». Son procès pour faillite frauduleuse a repris  le 26 septembre 2008  à Parme. Et un verdict n'est pas attendu avant au moins un an.

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