DuPont : «Nous avons l'intention de mettre sur le marché 4000 nouveaux produits agricoles»

La répartition inégale de la production et de la consommation de nourriture dans un monde dont la population est en forte croissance est une situation préoccupante qui était au centre d'un récent débat qui a réuni, à Genève, 200 participants dont certains responsables de multinationales engagées dans le commerce agricole. DuPont, qui est en concurrence sur le marché des semences et des produits phytosanitaires avec le groupe suisse Syngenta ou l'Américain Monsanto, réalise 30% de son chiffre d'affaires annuel de 38,3 milliards de dollars dans le domaine agricole et alimentaire. Rencontre avec Jim Borel, vice-président de DuPont.
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Le Temps: DuPont s?est récemment engagé à investir 10 milliards de dollars jusqu?en 2020 pour «aider à nourrir le monde». N?est-ce pas un peu prétentieux ?

Jim Borel: Le mot-clé dans cet engagement est «aider» car, évidemment, aucun gouvernement, aucune organisation non gouvernementale, aucune entreprise ne peut atteindre seul cet objectif qui est à mettre en relation avec l?augmentation de la population mondiale, qui passera de 7 à 9 milliards d?habitants d?ici à 2050, sans possibilité d?extension des terres cultivables.

? Concrètement, comment sera dépensé cet argent ?

Jim Borel: DuPont est une entreprise à caractère fortement scientifique, tournée en particulier vers l?agriculture, et plus récemment vers l?industrie alimentaire avec l?acquisition de Danisco. Ces deux secteurs représentent près d?un tiers des activités du groupe. Nous avons l?intention de mettre sur le marché quelque 4000 produits innovants qui aideront à nourrir le monde en augmentant sensiblement le rendement agricole par hectare. Deux millions de dollars par jour sont investis dans la recherche, par exemple de nouvelles semences ou des insecticides qui permettent aux agriculteurs d?obtenir des récoltes plus abondantes.

? N?est-ce pas le c?ur ordinaire de votre activité ?

Jim Borel: Sans doute, mais nous relevons fortement notre budget de recherche et développement pour contribuer à nourrir le monde. Les investissements qui seront consentis ces neuf prochaines années représentent près du double de ce qui a été dépensé durant le même laps de temps jusqu?en 2011.

? Quelles sont les recherches les plus prometteuses ?

Jim Borel: L?apport en protéines peut être par exemple nettement amélioré par des additifs alimentaires contenant de la protéine de soja adaptée à différents types de nourriture. Ces techniques vont dans le sens de la recherche de produits sains par les consommateurs occidentaux, mais elles constituent aussi un avantage pour les pays en développement qui aimeraient disposer, à partir de cultures locales, de réserves de protéines faciles à stocker. Un autre exemple est notre souhait de mettre sur le marché, dans un ou deux ans, un additif qui permettra de prolonger de huit à douze heures la durée de conservation du lait cru.

? Quel est l?avantage ?

Jim Borel: Il ne saute pas aux yeux dans les sociétés occidentales qui disposent de lait pasteurisé et de la chaîne de transformation nécessaire à la consommation de produits laitiers frais. Mais l?additif, en phase finale de développement au sein de DuPont, issu de la recherche de Danisco, changera le quotidien de centaines de petits agriculteurs africains. Je pense en particulier à une jeune Zambienne, rencontrée au début de l?année dernière, qui parcourt deux fois par jour 15 à 20 km sur des sentiers de terre battue pour livrer son lait qui, le plus souvent, est devenu aigre avant la fin de sa tournée.

? Le prix élevé de vos produits, notamment les semences, ne constitue-t-il pas un frein pour les agriculteurs des pays en développement?

Jim Borel: Nous tenons compte à chaque fois de la situation financière et technique locale de l?agriculteur à qui nous proposons nos produits. Ainsi, nous allons offrir une semence de maïs génétiquement modifié (OGM) à un agriculteur espagnol au coût unitaire important, mais qui lui permettra d?obtenir un rendement très élevé à l?hectare. Par contre, lorsque nous parlons à un agriculteur kenyan, qui ne dispose pas de l?infrastructure et des moyens pour utiliser cette technologie, nous lui proposons des hybrides conventionnels. Dans ce cas, la combinaison de meilleures semences et de conseils en agronomie aboutit le plus souvent à doubler la récolte. C?est un long processus d?accompagnement qui se fait étape par étape. Lorsque le rendement agricole augmente, cela conduit à une meilleure productivité et à une élévation du niveau de vie de l?agriculteur qui peut alors passer à l?étape technologique suivante. DuPont dispose de technologies scientifiques qui peuvent être offertes globalement, mais les solutions sont toujours locales.

? Sera-t-il possible de nourrir 9 millions d?habitants sans recourir massivement aux plantes génétiquement modifiées (OGM) ?

Jim Borel: Les plantes transgéniques permettent d?augmenter sensiblement le rendement par hectare, comme par exemple en utilisant du maïs résistant aux insectes nuisibles. Les prochaines étapes visent à contrer des conditions climatiques ou agronomiques difficiles, comme la sécheresse ou un faible apport naturel en nitrates. Un premier maïs résistant à une courte période de sécheresse a été planté avec succès aux Etats-Unis l?an dernier. L?outil OGM est utilisé sans problème depuis près de dix ans. Son succès se confirme par le fait que cette technologie est désormais en place. Une augmentation de 94 fois en superficie, passant de 1,7 million d?hectares en 1996 à 160 millions d?hectares en 2011, fait des plantes génétiquement modifiées la technologie végétale la plus rapidement adoptée de l?histoire de l?agriculture moderne. Mais DuPont axe aussi sa recherche sur des techniques qui ne font pas appel aux OGM, par exemple l?optimisation de croisements conventionnels. Les connaissances en biotechnologie nous permettent d?ailleurs de mieux comprendre le fonctionnement des plantes et d?utiliser cet outil, par exemple pour accélérer ces mêmes croisements conventionnels.

? Comment expliquez-vous la résistance en Europe aux plantes OGM ?

Jim Borel: J?admets que tout le monde n?est pas à l?aise avec ces développements scientifiques. Mais DuPont ne se base pas sur un seul standard. Le groupe dispose de différents moyens pour aider les agriculteurs à améliorer leurs cultures.

? La marge bénéficiaire de DuPont se situe à 19% dans le secteur agricole. N?est-ce pas exagéré, eu égard au revenu paysan généralement bas ?

Jim Borel: Je suis issu d?une famille paysanne et j?ai appris, dans ce milieu, que, si vous abusez une seule fois de la confiance d?un agriculteur, vous le perdez à jamais en tant que client. Les agriculteurs sont très au courant des affaires et si nous ne leur offrons pas le retour sur investissement qu?ils attendent, sous forme d?augmentation du rendement de leurs cultures, ils n?achèteront plus nos produits. Il est normal que l?entreprise perçoive une partie de la valeur ajoutée. Notre marge bénéficiaire ne me paraît pas excessive dans la mesure où DuPont a contribué de manière significative, particulièrement depuis une dizaine d?années, à l?augmentation du revenu net des agriculteurs.

? Dans de nombreux pays en développement, le problème principal n?est pas le faible rendement des cultures mais l?impossibilité, pour les paysans, d?accéder au marché par manque d?infrastructures?

Jim Borel: C?est vrai. Nous aimerions pouvoir faire davantage dans ce domaine, mais le défi est immense et doit être principalement relevé par les autorités et les organisations non gouvernementales. Nous participons à certains investissements collectifs. Cependant, notre pièce du puzzle c?est avant tout la fourniture de meilleures semences. DuPont s?est également engagé à soutenir directement, d?ici à 2020, trois millions d?agriculteurs en les aidant à améliorer leur niveau de vie et celui de leur communauté. Il s?agit d?une combinaison d?action philanthropique et de développement commercial. Nous envisageons par exemple, en partenariat avec des fondations, la mise en place de programmes locaux destinés à augmenter la qualité nutritive du sorgho, ou à fournir du maïs mieux adapté aux sols africains.

Une interview réalisée par Le Temps © 2012 Le Temps SA Plusd'information en cliquant ici

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Commentaires 4
à écrit le 29/02/2012 à 9:31
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Nourrir le monde c'est aussi gérer les prix et le gaspillage. En savoir + ici http://www.agronomie.asso.fr/lagronomie-pour-tous/place-publique/defi-alimentaire/ Pour conserver le lait, faire du fromage ?

à écrit le 27/02/2012 à 15:13
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Espérons de tout coeur que " la jeune Zambienne qui parcourt deux fois par jour 15 à 20 km pour livrer son lait " ne rencontre par sur son chemin le loup comme le Petit Chaperon Rouge...

le 28/02/2012 à 14:11
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"la jeune Zambienne" elle n'a pas intérêt à rêvasser, parce qu'elle n'aura jamais les moyens de se payer des OGM, les multinationales qui détiennent les brevets sont tout sauf des philanthropes !! Cette interview montre bien le l'hypocrisie et le cyn...

à écrit le 27/02/2012 à 11:54
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Coquille dans le texte , nourrir 9 milliards d'êtres humains et non 9 millions

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