Cognac, au bonheur des petits producteurs !

Les grandes maisons de cognac annoncent des objectifs de vente record, les alambics tournent à plein régime, les exportations progressent encore aux États-Unis et en Asie. Mais, comment les petits producteurs profitent-ils de l'euphorie ambiante ?
Dans la distillerie d'Aurélien Grillet./ LR

C'est avec le sourire que les petits producteurs de cognac ont abordé cette année la saison des relevages, et dans une joyeuse insouciance que la Fête du cognac se prépare pour la fin du mois de juillet. Car la production de cognac a atteint un nouveau record : 715 000 hectolitres d'alcool pur ont été produits en 2011, et l'année 2012 s'annonce, elle aussi, comme une année exceptionnelle.
Les Hennessy, Rémy Martin, Martell ou Courvoisier annoncent ainsi à grands renforts de communication des objectifs de vente revus à la hausse pour les mois à venir. Et quand les grandes maisons vont bien, les petits producteurs aussi, puisque la majorité d'entre eux vendent leurs eaux-de-vie aux maisons de négoce. Parmi eux, il convient de distinguer le viticulteur bouilleur de cru à domicile, qui vinifie, distille et stocke, du bouilleur de profession, qui distille pour lui et pour d'autres viticulteurs.
Les eaux-de-vie distillées sont ensuite vendues aux grandes maisons de négoce et/ou vieillies en chais, puis mises en bouteilles pour la vente directe. Peu de viticulteurs sont totalement indépendants des grandes maisons : le syndicat des vignerons n'en recense que 40, qui réalisent la totalité de leur chiffre d'affaires en vente directe. Sachant qu'il existe actuellement environ 5 000 viticulteurs dans le Cognaçais, parmi lesquels 200 font de la vente directe.
« En ce moment, les maisons de négoce ont besoin d'augmenter leurs ventes, et elles sont donc plus généreuses avec les petits viticulteurs. C'est une période plutôt favorable, qui devrait tirer les petits vers le haut sur les prix, la quantité et la qualité », estime Michel Gourinchas, maire de Cognac.
Marlène Tisseire, du syndicat des vignerons, confirme : « Les ventes de cognac sont à leur apogée, nous avons dépassé 2005 et 2007 en sorties de chais, et d'après les négociants, la progression devrait encore continuer pendant deux ou trois ans. » Compte tenu de la hausse de la demande des grandes maisons, nombreux sont les viticulteurs à investir dans un alambic pour distiller à domicile. Le syndicat des vignerons compte ainsi environ 30 bouilleurs de cru supplémentaires chaque année.
Aurélien Grillet, jeune viticulteur, travaille sur l'exploitation familiale de Touzac, en Grande Champagne, et a pris la décision en 2007 de construire deux alambics. Les « bonnes chauffes » s'enchaînent si bien qu'il a décidé d'y ajouter une nouvelle chaudière. Et il pourrait bien distiller pour d'autres viticulteurs. Il a aussi eu « le nez » pour acquérir des vignes alors que leur prix était bien plus bas qu'aujourd'hui. De 18 hectares en 2003, l'exploitation en compte aujourd'hui 60. Il précise que le prix de l'hectare en 2004 s'élevait environ à 23 000 euros en Grande Champagne, contre environ 50 000 euros en 2012.Quant aux ventes de cognac à l'étranger, elles ne se sont jamais mieux portées. Hors de France, 158 millions de bouteilles ont été commercialisées, soit 97,1 % des ventes, contre 5 millions de bouteilles en France. Les plus friands de notre eau-de-vie ambrée sont les États-Unis, qui en consomment plus de 48 millions de bouteilles, suivis par Singapour et la Chine.« Le marché des qualités vieilles se développe en Asie, en particulier en Chine. Et celui des qualités plus jeunes tient toujours aux États-Unis. Nous avons un marché très florissant aujourd'hui, mais il ne faudrait pas qu'un marché nous lâche. C'est pour cela que je suis d'un optimisme mesuré », déclare Marlène Tisseire. En effet, la dernière crise, celle des années 1990, est venue du Japon, qui tirait alors les exportations de cognac, et a marqué les esprits. « Si une crise survenait aujourd'hui, la différence avec celles que nous avons connues auparavant, c'est que les ventes ne sont plus concentrées sur une seule région du monde », estime Michel Martinaud, qui dispose de 26 hectares de vignes en Petite Champagne et en Bons Bois.
La vente directe permet par ailleurs aux viticulteurs de conserver une source de revenus lorsque le marché s'effondre et que les grandes maisons ferment le robinet. « Certains essaient de faire de la vente directe quand ça va mal, mais ils relâchent ensuite leurs efforts quand ça va bien », observe Marlène Tisseire. Michel Martinaud, lui, n'a jamais délaissé la vente directe, lan-cée par son père en 1975. « En temps de crise, la vente en bouteilles génère plus de plus-values. Mais avec l'augmentation des taxes, c'est le pineau qui devient plus intéressant. » C'est pourquoi il a diversifié ses produits et propose du sémillant (pineau pétillant) et des liqueurs au cognac aromatisées à la menthe, à l'orange ou aux fruits rouges. En revanche, actuellement, « vendre une bouteille de VSOP [Very special old Pale, quatre ans d'âge minimum, ndlr] ne rapporte pas plus que la vente de cognac en vrac », ajoute-t-il.

La vente directe surtaxée

Paul Giraud, vigneron indépendant, qui gère une exploitation de 42 hectares à Bouteville en Grande Champagne, réalise 80 % de son chiffre d'affaires en vente directe. Il confirme que c'est sur le long terme que cette activité génère des marges : « Les producteurs qui font de la vente en bouteilles ont tendance à arrêter de le faire en ce moment car cela rapporte moins, alors qu'ils auraient tout intérêt à investir dans le marketing, les étiquettes, etc., pour se faire une clientèle. »Mais la vente directe n'est pas exempte de difficultés. Elle se heurte d'abord au fait que les Français boivent peu de cognac. Si Paul Giraud réussit à exporter 85 % de sa production dans 35 pays, nombreux sont les petits producteurs à n'avoir pas développé d'activité hors de France. « La difficulté du cognac en France, c'est son taux d'alcoolémie. Il se boit en digestif, il faut prendre le temps de le déguster », affirme Michel Gourinchas.
Dans son Dictionnaire superflu à l'usage de l'élite et des biens nantis, Pierre Desproges écrivait : « Le whisky est le cognac du con ». Il semblerait donc que les cons aient proliféré... Car en 2011, selon la Fédération française des spiritueux, le whisky arrive haut la main devant tous les autres spiritueux. Il représente en effet 39 % de la consommation en spiritueux des Français, contre 0,8 % pour le cognac et, à titre d'exemple, 28 % pour les anisés, 8 % pour les alcools blancs (tequila, gin, vodka) ou encore 10 % pour les liqueurs et crèmes de fruits.
De plus, les taxes que supportent les vendeurs directs de bouteilles de cognac sont devenues quasi prohibitives. en 2012, les spiritueux auront même été les seuls à subir une augmentation de 10 % à 45 % de leurs taxes.
Au final, les viticulteurs, conscients qu'un retournement du marché est bien vite arrivé, ne sont pas dupes de cet emballement, et se préparent toujours au pire. « Nous avons tellement été marqués au fer rouge par la crise des années 1990 et 2000, que je suis d'un optimisme prudent », déclare Michel Martinaud. Aurélien Grillet, lui, garde toujours en tête qu'en période de crise, « il faut avoir les liquidités nécessaires pour faire face, pour arriver à vivre sans rien vendre ». Et pour lui, les liquidités doivent couvrir les échéances de remboursement de ses prêts. Par exemple, si la prochaine crise dure deux ans, il devra alors avoir un matelas de sécurité de 200 000 à 300 000 euros pour garder la tête hors de l'eau. Sachant que le coût moyen de production s'élève à 6 882 euros pour 15 hectares, ou à 6 327 euros pour 40 hectares, selon le Bureau national interprofessionnel du cognac.
Pour voir loin, l'interprofession et les grandes maisons poussent alors au replantage, car le vignoble est vieillissant et certaines zones sont atteintes de la maladie du bois. Bernard Peillon, PDG d'Hennessy, affirme dans La Charente Libre du 14 juin : « Pour une évolution durable, il faut renouveler le vignoble, l'entretenir. C'est pour ça que nous proposons, dans un premier temps, d'augmenter la superficie du vignoble d'environ 10 %. »

Vingt-cinq ans pour rééquilibrer le marché

Et pourtant. Ceux qui ont connu la crise des années 1970, s'en méfient comme de la peste, ou du phylloxéra. Car c'est justement cette augmentation de superficie qui avait mené des viticulteurs à leur perte. Paul Giraud en sait quelque chose : « J'ai commencé mon métier en 1974, juste avant le choc pétrolier et la crise économique. Le vignoble avait quasiment doublé et nous avions triplé la production. Les négociants se sont frotté les mains : ils avaient tout ce qu'ils voulaient au prix qu'ils voulaient. Pour retrouver un équilibre entre l'offre et la demande, il aura fallu 25 ans. »La clé d'un avenir durablement rose pour les petits se cache donc peut-être derrière une totale indépendance des grandes maisons, qui leur permettrait de s'affranchir des effets de marque et de mode. « Le cognac a un talon d'Achille, son identité territoriale disparaît derrière des marques. Le luxe dans lequel il s'inscrit tient aussi de l'effet de mode. La marque a toujours un produit de substitution pour se sauver. Pas le vignoble. Célébrons le bonheur du moment. Avec la prudence charentaise qui convient », écrivait La Charente Libre dans son éditorial du 14 juin.

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