[ENQUÊTE] Scandale de la viande de cheval : pas si facile d'être un "flic" de la DGCCRF

En 48 heures, les enquêteurs de la répression des fraudes ont identifié les circuits par où a transité la viande de cheval, jusqu'à l'usine Spanghero. Et leur ministre de tutelle ne tarit pas d'éloges à leur sujet. Et pourtant. Mal-être au travail, chute d'activité, envol des arrêts maladie..., malgré leur succès du moment, les « flics de la consommation » n'ont pas le moral et vont faire grève...
Dans l'usine Spanghero de Castelnaudary, dans l'Aude, vendredi. Les ministres de l'Agriculture et de la Consommation, Stéphane Le Foll et Benoît Hamon, se préoccupent du sort des 300 salariés de cette entreprise et recevront lundi en fin d'après-midi les représentants du personnel et les syndicats concernés. Reuters

Ce vendredi 8 février 2013, les portes de l'usine Spanghero, à Castelnaudary (Aude), s'ouvrent comme chaque jour à huit heures du matin. Au milieu des ouvriers, trois enquêteurs de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF, rattachée au ministère de l'Économie et des Finances) qui ont été alertés par Findus, client de Spanghero : l'entreprise a trouvé de la viande de cheval dans des plats cuisinés étiquetés pur b?uf. Les agents filent d'un pas décidé vers les bureaux de la direction et réclament immédiatement documents douaniers, ainsi que toutes les factures liées à l'achat et à la vente de viande.

Le lendemain, le ministre annonce l'ouverture de l'enquête menée par la DGCCRF. Moins de quarante-huit heures plus tard les premiers résultats des investigations sont connus. Ils laissent clairement penser que la responsabilité de la société Spanghero dans l'importation de viande de cheval est engagée. Les enquêteurs ont trouvé dans les factures des produits dont le code TVA correspond à de la viande de cheval, en provenance des Pays-Bas.

"C'est un beau service, les Français peuvent en être fiers"
Moins de quarante-huit heures pour une enquête menée par une administration... Une telle célérité surprend l'opinion. Et ravit le ministre délégué chargé de la Consommation, Benoît Hamon, qui multiplie les interventions télévisées sur ce sujet à haute intensité médiatique. Enfin, il se fait connaître du grand public, s'appuyant sur l'action de ses services. Présentant peu après le bilan annuel de la principale administration dont il a la tutelle, Benoît Hamon se livre devant la presse à une véritable déclaration d'amour à « ses » fonctionnaires : « Depuis quinze jours, on a beaucoup parlé de la DGCCRF, tout le monde la connaît, maintenant, lance-t-il. C'est un beau service, les Français peuvent en être fiers. » Le grand public, il est vrai, a pu prendre conscience, grâce aux multiples reportages, que la France dispose d'une véritable police de la fraude avec ses fonctionnaires à Bercy capables de remonter les filières internationales de la tromperie sur la marchandise.

64 agents d'élite chargés des affaires sensibles
Si la police nationale a sa prestigieuse brigade criminelle - les célèbres inspecteurs du quai des Orfèvres -, la DGCCRF a, pour sa part, un service d'«élite » bien moins connu jusqu'à présent : le Service national des enquêtes. Le SNE ne réunit que 64 agents spécialisés sur 3000 fonctionnaires que compte au total cette direction. La DGCCRF ne le « dégaine » que pour les affaires sensibles, à dimension nationale ou internationale. Devant l'importance du dossier et l'émotion qu'il suscite, ils se retrouvent tout naturellement en première ligne pour traquer les filières de la viande de cheval. Le directeur du SNE, Didier Gautier, n'hésite pas à mettre 18 enquêteurs sur l'affaire. Il ne pourra pas aller au-delà, même si le dossier prend chaque jour une dimension plus large, puisque l'on parle aujourd'hui de cinq à six filières.

La DGCCRF va toutefois être aidée par les gendarmes de l'Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique (Oclaesp). Avec leur soutien, les agents de Bercy ont ainsi pu saisir, le 19 février dernier, l'ensemble des ordinateurs de Spanghero, auditionner les employés et avoir accès aux conversations téléphoniques. Ce que les fonctionnaires de Bercy ne peuvent faire seuls, puisqu'ils n'ont pas le statut d'officier de police judiciaire (ils ne sont donc pas en mesure d'aller ouvrir les tiroirs, de perquisitionner). Leurs enquêtes, ils les fondent sur l'ensemble des documents à caractère économique (factures, bordereaux de commandes, déclarations aux Douanes, etc.) que toute entreprise est contrainte de leur présenter illico presto dès qu'ils les demandent.

Des coquilles Saint-Jacques trempées dans l'eau pour augmenter leur poids
Au-delà du dossier en cours sur la viande, le gros des affaires pour le SNE relève de la « tromperie économique » du consommateur. De fait, c'est souvent l'agroalimentaire qui est concerné. Notamment les produits de luxe qui offrent une rentabilité supérieure pour les fraudeurs. Ainsi, le service a été saisi d'une affaire concernant de la brisure de truffe, importée d'Italie. L'expéditeur avait simplement remplacé, pour moitié, la brisure (300 euros le kilo) par un alginate, dont le coût ne dépasse pas quelques euros par kilo. Autre affaire, avec les coquilles Saint-Jacques. Pas besoin d'alginate ici : elles sont replongées dans l'eau, ce qui les fait gonfler et augmente leur poids... Simple et pas cher, mais frauduleux. Aux côtés de l'alimentaire, les opérateurs Internet et de téléphonie mobile sont à l'origine de nombreuses enquêtes, à la suite de plaintes de consommateurs.

Des pénalités trop faibles pour être dissuasives

« Les opérateurs Internet et mobile sont, de loin, les plus dotés en plaintes! », a rappelé le patron du SNE, dans une récente interview à l'hebdomadaire Le Point. C'est ainsi que son service a mené une enquête qui a conduit à faire condamner Free pour « pratiques commerciales trompeuses » : l'opérateur réduisait la bande passante de la box de ses clients afin de diminuer sa propre facture auprès de France Télécom. Free a donc été condamné par le tribunal correctionnel de Paris - les affaires de tromperie relèvent du pénal - à 100000 euros d'amende. Un montant important, eu égard aux critères de la DGCCRF. Mais dérisoire pour l'opérateur.

C'est tout le problème, a souligné le ministre en charge de la Consommation : les amendes sont plafonnées à 187000 euros pour les sociétés. Alors que, si la fraude est établie par la justice, les propriétaires de Spanghero ont peut-être gagné jusqu'à un million d'euros en vendant de la viande de cheval en lieu et place de b?uf... La future réforme de la consommation pourrait faire porter le plafond du montant des amendes à 1,5 million d'euros ou rendre celles-ci proportionnelles. Dans ce cas de figure, le juge pourrait alors aller, par exemple, jusqu'à une amende équivalente à 10% du chiffre d'affaires.

Deux mille enquêteurs tout-terrain

Les fournisseurs d'accès à Internet ne sont pas les seuls en cause. Nombre de sites d'e-commerce ou d'e-tourisme ne sont pas très honnêtes lorsqu'ils publient, par exemple, de faux avis de consommateurs. C'est une tromperie. Dix-sept procès-verbaux ont déjà été dressés à ce titre par la DGCCRF. Un grand site de réservations d'hôtels est aussi sous le coup d'une enquête. Fin 2011, le tribunal de commerce de Paris avait déjà condamné le groupe Expedia pour informations trompeuses concernant les réservations d'hôtels (la disponibilité était erronée, afin de favoriser la recherche uniquement sur le site d'Expedia). Au total, la DGCCRF a contrôlé 11.000 sites Internet en 2012, détectant près de 15% d'anomalies plus ou moins importantes...

Cette direction du ministère de l'Économie ne se résume cependant pas à son service d'enquêteurs d'élite. La gestion des crises est l'une de ses tâches majeures. Ainsi, quand l'explosion de Fukushima a eu lieu, un dispositif d'urgence a immédiatement été mis en place, afin d'identifier les importations à risque et mettre en place des contrôles aux frontières. « Nous avons dû faire cela en deux heures », a expliqué la « patronne » de la Concurrence et de la Répression des fraudes, Nathalie Homobono.

142 000 établissement contrôlés en 2012
Au niveau local, la DGCCRF s'appuie sur plus de 2000 enquêteurs, chargés de contrôler aussi bien les petits commerces que les hyper-marchés ; 142000 établissements l'ont ainsi été en 2012. Ces fonctionnaires exercent aussi des missions encore moins connues du grand public mais essentielles pour l'économie et les consommateurs, comme le contrôle des délais de paiement entre entreprises, la surveillance de l'équilibre des relations entre producteurs et distributeurs, etc. Ils ont enquêté, par exemple, sur les relations entre donneurs d'ordres et sous-traitants dans l'aéronautique, l'automobile, le BTP...Sans oublier la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles. De ce point de vue, le premier C du sigle DGCCRF, la « concurrence », a un peu perdu de sa superbe à Bercy, dans la mesure où c'est l'Autorité de la concurrence, sous l'égide de Bruno Lasserre, qui rend les décisions importantes, pouvant interdire des rachats d'entreprise en cas de trop forte concentration. Les enquêtes sont néanmoins conduites par Bercy.

« Démotivés », les agents feront grève le 21 Mars

Au-delà de la protection du consommateur, la DGCCRF se veut donc une direction des affaires économiques, au sens large. Complémentaire du Trésor, préoccupé par les grandes questions monétaires macroéconomiques, elle peut apporter sa connaissance de la réalité bien concrète, de la microéconomie, autrement dit du terrain. Elle connaît ainsi le fonctionnement et les pratiques de chaque secteur d'activité, les marges qui y sont pratiquées, etc.
Pour autant, tout ne va pas pour le mieux dans le meilleur des mondes pour cette police de la consommation et de la concurrence. La « révision générale des politiques publiques », alias RGPP, la fameuse réforme de l'administration voulue par Nicolas Sarkzoy, a mis la DGCCRF sens dessus dessous à l'échelon départemental, autrement dit là où les enquêteurs mènent un travail de terrain.

Une chute de 20% de l'activité des services

Afin de rationaliser les « fonctions support », le gouvernement Fillon a voulu rassembler les diverses administrations d'État, ce qui peut se comprendre. Sauf que 500 postes d'enquêteurs ont été supprimés (plus de 14% des effectifs!) au passage, et que la réforme a placé les agents sous l'autorité de directeurs n'ayant bien souvent aucune compétence économique. Ce qu'avait d'ailleurs dénoncé la ministre de l'Économie en place à l'époque, Christine Lagarde. « On peut voir des anciens directeurs de la Jeunesse et des Sports manager les enquêteurs de la Consommation et de la Répression des fraudes », confirme aujourd'hui encore Emmanuel Paillusson, du syndicat Solidaires, la première organisation syndicale dans cette administration.

Le résultat? « Une grande démotivation, que mesurent les enquêtes annuelles sur le bien ou le mal-être au travail, et un envol du nombre d'arrêts maladie, précise le syndicaliste. Avec, pour conséquence, une chute de 20% de l'activité, mesurée notamment par le nombre des contrôles. » Le 21 mars prochain, les fonctionnaires de la DGCCRF se mettront en grève. C'est tout juste si Benoît Hamon ne soutient pas leur mot d'ordre. Le ministre n'a cessé de dénoncer les suppressions de postes décidées par le gouvernement précédent et de promettre de sanctuariser la DGCCRF. Une véritable histoire d'amour...

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Commentaires 10
à écrit le 13/03/2013 à 14:20
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Manque de moyens ? M. HAMON joue le rôle du directeur général de la "DIRCONCON" (appellation ironique à Bercy de la direction de la concurrence et de la consommation et ...) mais fallait-il doubler le rôle du directeur par un ministre qui ne s'était...

le 14/03/2013 à 17:26
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Vous devriez réfléchir un peu à ce que vous écrivez. Qu'il faille ou non un ministre délégué à la consommation, ça peut sans doute se discuter, même si un ministre connaissant bien ce type de dossiers ça n'est pas inutile. Mais de toute façon croyez-...

à écrit le 13/03/2013 à 11:52
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@Ivan Best, vous dites: "Les enquêteurs ont trouvé dans les factures des produits dont le code TVA correspond à de la viande de cheval, en provenance des Pays-Bas" le site service-public.fr dit: Chaque type de marchandise a un code douanier ou numér...

à écrit le 13/03/2013 à 8:14
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Elles sont ridicules ! l'amende devrait être à minima du montant de ce qu'a rapporté la fraude, un moyen efficace de remplir les caisses de l'Etat.

à écrit le 12/03/2013 à 19:57
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Le corned-beef, rien de surprenant. Par contre, que les contrôleurs soient fatigués de contrôler, là a quand-même de quoi s'étonner. Ils faisaient quoi auparavant ? Bon, un Viandox au cheval, et ça repart !

à écrit le 12/03/2013 à 19:48
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La tromperie c'est mal, mais curieusement on ne parle pas ou peu de cette viande halal qui est distribuée dans les cantines et ailleurs. Le cheval en douce c'est mal, le cochon interdit et le halal c'est chut.

à écrit le 12/03/2013 à 14:03
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Il suffit que la fraude rapporte plus de 100 000 Euros... Bon plan : je me lance moi aussi.

à écrit le 12/03/2013 à 13:39
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C'est tous les jours qu'on constate combien les réformes de la fonction publique lancées sous Sarkozy ont été préjudiciables au bon fonctionnement de l'administration. Pour une fraude détectée (et encore pas par l'administration, mais par Findus et p...

à écrit le 12/03/2013 à 12:56
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Plus d'un mois après le début de leur enquête chez Spanghero, où en sont-ils? C'est bien long pour vérifier des factures et des bons de commandes...

le 12/03/2013 à 14:01
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C'était fini dans les deux jours. Sinon, vous auriez du lire l'article...

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