Le chalutage en eaux profondes reste autorisé malgré l'opposition de l'opinion

Alors que le Parlement européen a refusé d'interdire cette technique de pêche considérée comme dévastatrice par les ONG, le principal armateur du secteur promet de réorienter ses activités. Une pétition signée par 750.000 personnes semble avoir pesé sur cette décision.
Giulietta Gamberini
Casino et Carrefour ont déjà annoncé arrêter la vente d'espèces d'eaux profondes.

Le chalutage en eaux profondes, technique de pêche qui consiste à traîner de gigantesques filets à plus de 200 mètres en-dessous de la surface, accusée par les ONG écologistes de ravager les fonds marins, pourrait bien subir un coup de massue. Mais non pas par une décision institutionnelle: plutôt par l'initiative des industriels eux-mêmes.

La Scapêche, premier armateur du secteur et filiale du Groupement des mousquetaires, a en effet annoncé mardi s'engager "à tout mettre en œuvre pour ne pas cibler systématiquement les espèces de grands fonds" et à "réorienter ses activités vers d'autres espèces" dans les cinq ans à venir.

Le Parlement européen a refusé d'interdire le chalutage

La déclaration est intervenue immédiatement après la décision du Parlement européen de rejeter une proposition de la Commission de l'UE d'interdire radicalement le chalutage. Tout en se prononçant à une large majorité pour le principe d'une limitation de la pêche profonde, l'assemblée a ainsi opté pour un projet de règlement a minima.

La Commission devra notamment présenter une évaluation de l'impact environnemental de la pêche au-delà des 600 mètres dans quatre ans. Si le bilan est négatif, le débat sur l'autorisation pourra être rouvert. La Scapêche précise justement entendre profiter, pour son projet de réorientation, de cette "période probatoire".

Elle "tend également la main aux ONG et leur propose de s'associer à elle pour l'élaboration d'un cahier des charges de production".

Une âpre bataille a opposé les professionnels aux ONG

L'annonce est d'autant plus surprenante que la bataille qui a opposé l'armateur aux ONG avant la décision du Parlement européen a été virulente.

Dans une pétition ayant récolté 750000 signature (efficacement illustrée par une blogueuse, Pénélope Bagieu), demandant au Parlement européen d'interdire le chalutage, l'association Bloom reproche à cette pratique d'être aussi dangereuse qu'inutile. Alors que seules trois espèces sont recherchées (le sabre noir, la lingue bleue et le grenadier, vendus en grandes surfaces), une centaine d'espèces inutilisables seraient pêchées par les filets, dont quelques-unes en voie d'extinction. Le chalutage endommagerait également les récifs coralliens, alors que la pratique, non rentable, vivrait essentiellement de subventions. Son impact positif sur le marché de l'emploi serait d'ailleurs limité à une centaine de postes.

La Scapêche et Blue Fish, association créée en avril par les pêcheurs de Lorient et Boulogne-sur-Mer, rétorquent que depuis le début des années 2000 la pêche en eaux profondes est suffisamment règlementée et contrôlée pour éviter tout ravage, et que les efforts déjà menés par les pêcheurs vont même au-delà des interdits. Ils insistent sur le fait que les captures rejetées ne représentent que 20% du total, que les zones de pêche sont limitées aux plaines de sable et de vase et qu'une restriction de cette pratique impacterait entre 15.000 et 3.000 emplois directs et induits sur le seul port de Lorient en Bretagne.

L'opinion publique a gagné du poids

Bien que la demande formulée par la pétition n'ait pas été retenue par les parlementaires européens, la position de l'opinion publique qu'elle a révélée semble néanmoins avoir pesé sur la décision de la Scapêche.

"En dépit du contexte économique très difficile, nous voulons mettre en place une approche audacieuse, traduisant notre faculté à écouter les consommateurs de nos enseignes Intermarché et Netto (…). Rassurer nos 257 salariés s'intègre aussi totalement dans cette démarche", a souligné l'armateur.

Casino et Carrefour venaient notamment d'annoncer l'arrêt de la vente d'espèces d'eaux profondes.

Les ONG continuent de se méfier

"Cette contradiction entre la décision européenne et la position de l'industrie est aussi la preuve du manque total de vision des politiques. (…) L'industrie a utilisé cet aveuglement pour se ménager cinq ans de transition", a observé Greenpeace. "La nouvelle orientation de la Scapêche est un signe que les industriels eux-mêmes savent que ce modèle de pêche n'a pas d'avenir."

Si les ONG ne s'opposent pas à une coopération avec les industriels pour l'avenir, elles se méfient néanmoins. Bloom a notamment demandé à la Scapêche de rendre publiques un certain nombre de données sur ses pratiques et ses comptes.

Quant aux décisions institutionnelles, il appartient maintenant aux Etats membres d'approuver formellement la décision du Parlement. Jusqu'à présent, les plus farouches opposants à l'interdiction du chalutage en eaux profondes ont été la France, l'Espagne et le Portugal, principaux pays concernés. Entretemps, la pêche des 54 espèces définies comme profondes par la Commission européenne reste de toute façon soumise à des quotas.

Giulietta Gamberini

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Commentaires 3
à écrit le 22/12/2013 à 18:59
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BOYCOTT du poisson en général pour faire comprendre aux pécheurs qu'ils détruisent les réserves, on le voit rien qu'aux mouettes et autres oiseaux de mer qui rentre jusqu'à 50 Km dans les terres pour manger autour des déchetteries, où que l'on voit ...

à écrit le 13/12/2013 à 18:21
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Il ne reste plus qu'aux citoyens d'imposer leur loi (celle de la sagesse) en exigeant l'étiquetage "poisson prélevé en eau profonde" et de le laisser sur l'étalage. Les élections européennes sont pour bientôt. Il serait indispensable que le candidat...

le 21/12/2013 à 20:36
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Entièrement d'accord avec vous, nous voyons là l'incompétence de l'Europe et de ses instances face aux lobbyings, vivement les élections Européennes pour faire un grand dépoussiérage dans les instances lorsque l'on voit ce qu'ils décident, c'est comp...

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