"Pas besoin d'être sur les Champs-Elysées pour capter la clientèle chinoise"

Le joaillier américain Tiffany's débarque sur les Champs Elysées. Plus qu'une vitrine, son président, le français Frédéric Cumenal, espère en faire la nouvelle tête de pont de la marque pour s'imposer dans les boites à bijoux des Européens et en particulier des Français. Entretien.
Marina Torre
900 m2 de bijoux en diamants, or, platine et argent remplacent désormais les burgers à l'emplacement de l'ancien Quick sur les Champs Elysées. DR.

Il a apporté dans ses bagages le fameux Tiffany Diamond. De bien coûteuses valises puisque le célèbre caillou jaune qu'Audrey Hepburn arborait au cours de son non moins fameux "Breakfast at Tiffany's" a en fait eu droit à son propre jet privé... Frédéric Cumenal, le président français de l'entreprise américaine inaugurait ce 10 juin sa nouvelle boutique à Paris.

Sur l'avenue des Champs-Elysées, sa sobre vitrine turquoise a remplacé les stores pourpres du Quick. Finis les hamburgers frites. Sur trois étages et 900 m2, diamants donc mais aussi, or, platine et argent scintillent de tous leurs feux dans ce nouvel écrin. Un luxueux débarquement sur les terres des champions du secteur, qui intervient en pleine période de tensions économiques entre le France et les Etats-Unis, secoués par l'affaire BNP et  suspendus au dossier Alstom... Parfois en "franglais dans le texte", le patron "frenchie" explique les raisons de cette ouverture aussi symbolique que stratégique.

Dans ce contexte de relations économiques franco-américaines un peu tendues, que représente cette installation en France pour une marque américaine, dirigée par un Français?

Je ne pense pas que nous soyons dans une période particulièrement difficile de nos relations. Rappelons-nous que la culture américaine repose sur la séparation de trois pouvoirs, la justice, le législatif et l'exécutif. Il se trouve qu'en France, notre culture repose moins sur cette séparation. Donc j'ai l'impression qu'une certaine incompréhension actuelle pourrait venir de l'histoire de chacun de nos pays. Quoi qu'il en soit, l'Histoire a démontré que les Etats-Unis et la France ont des cultures très proches et ont besoin l'un de l'autre. Et ce n'est pas seulement la France qui a besoin des Etats-Unis. La culture américaine est imprégnée de culture française. Il est bien sûr important pour moi, Français, de pouvoir contribuer au développement d'une marque comme Tiffany en Europe et notamment en France. Mais ce n'est absolument pas la raison sous-jacente, depuis que j'ai rejoint Tiffany il y a trois ans, de mon implication dans l'installation de la boutique sur les Champs-Elysées, dans le fait de trouver un emplacement et d'y installer mes équipes.

Tout de même, n'était-ce pas plus facile à réaliser pour un patron Français ?

Pour des raisons de connaissance de marché il est parfois plus facile de comprendre la logique de négociations sur les Champs Elysées, mais sincèrement non. J'ai suffisamment de "bouteille" sur le plan international pour savoir faire la même chose dans d'autres pays.

Justement, dans d'autres pays une ouverture telle que celle-ci est-elle plus aisée, plus rapide?

Chaque pays a ses spécificités. Aucune n'est remarquablement simple. La France n'est pas forcément la plus simple, mais pas forcément le plus complexe. Il n'y a pas d'achoppement.

Même sur des questions de fiscalité ? Pourtant, certains de vos confrères dirigeants d'entreprises s'en plaignent, en particulier en ce moment...

Non pas vraiment, le taux d'imposition de Tiffany est de 35%. Vous pouvez regarder le taux de taxes que vos marques françaises paient à l'Etat français: LVMH paie 30%. Richemont [entreprise de droit suisse ndlr]16%.

Je suis à la tête d'une maison qui se targue de jouer un rôle social, de pionnier même en matière de responsabilité sociale et environnementale et de ce côté-là on est beaucoup plus en avance que qui ce soit en France. Gouvernement compris.

Pourtant, outre-Atlantique, vous êtes poursuivis pour discrimination raciale...

La loi américaine fait que l'on ne peut commenter aucune affaire en cours. Nous employons 11.000 personnes, je ne commenterai nullement sur ce cas. Nous sommes une société extrêmement fière de nos pratiques éthiques, environnementales et sociales et nous avons toujours pris une série de mesures plutôt à l'avant-garde de ce qui se fait en la matière.

Tiffany se targue aussi d'être le premier vendeur de joaillerie au monde. Pourquoi avoir attendu 2014 pour vous installer sur les Champs Elysées? 

Nous avons été très présents à Paris au XIXe siècle et jusqu'au milieu du XXe. Ce sont les événements de l'histoire mondiale qui nous ont amenés à nous replier un peu et nous éloigner de l'Europe. 

Nous avons aujourd'hui 292 boutiques dans le monde, nous réalisons 48% de nos ventes sur le continent américain [130 boutiques en Amérique du Sud et du Nord]. L'Europe représente 12% de nos ventes et nous opérons 30 boutiques.

La vie est une question de priorités. L'Europe est passée au second plan. Pourquoi revenir aujourd'hui? Parce qu'étant les leaders mondiaux de la joaillerie, nous avons deux ambitions. La première c'est de faire connaitre aux Français et aux Européens la marque et la maison Tiffany, et ce, non pas juste comme un nom avec une certaine notoriété ou associé éventuellement à un film des années 1960 mais comme une marque au savoir-faire de 177 ans d'âge. Ensuite, Paris fait partie de ces grandes métropoles mondiales. Une marque mondiale se doit d'être à Paris, comme elle se doit d'être à Shanghai, Beijing, Londres, Los Angeles... Désolés de vous avoir fait attendre si longtemps, mais... "We are back" !

Des Français des Chinois, des Russes, des clients du Moyen-Orient, lesquels attendez-vous en priorité ?

Nous verrons au fil des mois. Nous savons que nous allons également faire appel à une clientèle internationale. Mais une des missions importantes qui a sous-tendu cet investissement, c'est de se doter d'un outil pour développer la clientèle française. C'est clairement le premier objectif. On a pas besoin d'être sur les Champs-Elysées pour capter la clientèle chinoise. A supposer que les 1,5 millions de Chinois qui viennent tous les ans en France passent tous sur les Champs-Elysées, cela ne représente que 1,5% de l'ensemble des visiteurs sur l'avenue. On parle de 100 millions de visiteurs par an, la majorité de ces visiteurs sont des Français, des Parisiens, des gens de l'île-de-France, des provinciaux ou d'autres Européens qui passent et repassent devant les boutiques. Bien sûr que nos amis chinois seront traités comme ils seront traités ailleurs par nos soins. Mais là réellement, l'ambition est Européenne.

Comment comptez-vous vous y prendre pour vous faire davantage connaître du public Européen et Français ?

La recette miracle, c'est d'expliquer ce que vous êtes. Nous voulons expliquer notre histoire, notre savoir-faire. Nous aimons l'expression "effortless elegance", une élégance sans effort, non feinte... qui correspond un peu à ce qu'est New York. 

Donc vous ne compter pas adapter les collections à un certain « goût » français?

Aucunement. On ne le fait pas en Asie, on ne le fait pas au Japon, on ne le fera pas à Paris. A New York, nous avons déjà cette espèce de fourmillement créatif mondial qui est retranscrit dans notre design. Nul besoin pour nous d'essayer d'adapter notre style à une dimension culturelle ou une autre.

Ce magasin n'est-il qu'une vitrine ou bien ses résultats sont-ils réellement stratégiques?

Il y a des sociétés dans le luxe qui réalisent une bonne partie de leur chiffre d'affaires en "wholesale" [en gros] donc elles bâtissent de très belles boutiques dont l'objectif n'est pas nécessairement d'être profitable mais de faire connaître la marque, d'élever son image et elles écoulent leurs collections au travers de revendeurs. Nous avons un contrôle parfait de la distribution de nos collections, celles-ci sont exclusivement commercialisées au travers de nos boutiques ou chez des partenaires dans certains cas où il est légalement impossible d'opérer en direct. Pour nous, chaque boutique doit contribuer à l'image de la maison mais aussi à des objectifs financiers.

Notamment grâce à 40% des ventes réalisées via les marques que vous baptisez "fashion", beaucoup plus accessibles en prix...

L'expérience nous montrera, en fonction de la demande, si les bijoux les moins chers seront les plus prisés. Une des forces de la marque c'est d'opérer dans trois catégories. A la fois les pièces qui coûtent un demi-million à 15 millions de dollars, la joaillerie fine qui vont des bagues de fiançailles à toute autre pierre précieuse plus ou moins complexes, et une série de pièces qui sont souvent plus accessibles en prix mais qui représentent une vision de ce design "effortless" et "timeless" [indémodable] et qui sont aussi commercialisés ici. 

Marina Torre

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