Avant la COP21, L’Oréal affiche de prudentes ambitions environnementales

La multinationale promet de réduire son impact carbone et de rendre son approvisionnement plus “durable”. Trois mois avant la conférence de Paris sur le climat (COP21), le groupe français de cosmétiques a invité Nicolas Hulot, émissaire de l’Elysée et Christian de Perthuis pour en témoigner.
Marina Torre
Jean-Paul Agon, le PDG de L'Oréal vise un bilan carbone "neutre" d'ici 2020.

L'Oréal promet de teinter ses méthodes en vert. Le géant français des cosmétiques fait partie de ces grands groupes industriels français qui ont choisi d'exposer leurs engagements environnementaux en marge de la Conférence des nations unies sur le climat (COP21). Ce qu'il a fait ce 3 septembre lors d'une conférence au cours de laquelle il a rappelé ses engagements et fait de nouvelles promesses. Y étaient conviés le porte-voix du chef de l'Etat sur la question environnementale, Nicolas Hulot, ainsi que Christian de Perthuis, professeur d'économie à l'université Paris-Dauphine et fondateur de la chaire Economie du climat.

Ce dernier est même chargé par L'Oréal de présider un comité d'experts qui proposera une nouvelle mesure de l'impact carbone généré par le groupe. Lequel s'était déjà engagé à réduire le CO2 émis par ses usines et centrales, et en améliorant l'efficacité énergétique de ses activités au sein de ses sièges.

L'entreprise affirme avoir déjà réduit de 50% ses émissions depuis 2005, tout en ayant vu son activité croître de 22% en 10 ans. Il promet de réduire ce niveau (en valeur absolue) de 10 points de pourcentage supplémentaires d'ici les cinq prochaines années.

Patchouli, quinoa et puits de carbone

Ces ambitions étaient déjà inscrites dans le projet "Sharing beauty with all" ("partager la beauté avec tous") annoncé deux ans plus tôt. La nouveauté consiste non plus seulement à réduire les émissions de carbone mais à "générer des gains", en particulier chez les fournisseurs de matières premières des pays en développement.  Au programme: lutte contre la désertification et agroforesterie.

Il s'agira par exemple de soutenir, avec des ONG locales, des systèmes de gestion durable des productions de patchouli en Indonésie ou de quinoa en Bolivie (le son de cette céréale entre dans la composition de soins pour la peau). Ce type de projet visant au bout du compte à protéger, voire à recréer, des puits de carbone afin de retenir ce dernier et éviter qu'il ne s'échappe.

Au-delà de ces quelques initiatives visibles, l'ensemble de la chaîne de production, depuis les matières entrant dans la composition des crèmes, shampooing, etc., jusqu'à l'emballage serait promise à une transformation de très grande ampleur. "Nous fabriquons des millions de produits et nos 25 marques sont présentes dans plus de 100 pays", rappelle Jean-Paul Agon, le PDG de l'Oréal.

"Transformation copernicienne"

Ce dernier affirme avoir "changé de paradigme" et même engagé une "transformation copernicienne" en intégrant dans la création même des produits une dimension environnementale. Mais cela ne concerne pour l'instant que les nouveautés. "Quelque 64% de celles mises sur le marché en 2015 s'incrivent dans cette logique", explique par exemple le patron de L'Oréal.

Ce changement se traduit par une série d'indicateurs et d'objectifs qu'il faudra évaluer dans les détails. Ainsi le groupe affiche-t-il dans sont rapport de développement durable son voeu d'évaluer 100% de ses "fournisseurs stratégiques" sur des questions sociales et environnementales. Mais les fournisseurs en question représentent en fait 80% des achats directs. Tous n'ont pas encore pu être évalués. En 2014, les fournisseurs audités représentaient 67% de ces achats indiquait Alexandra Palt, responsable du développement durable pour le groupe, à la Tribune au mois d'avril.

Par ailleurs, cette fameuse "transformation copernicienne", est, pour partie, déjà intégrée par l'industrie des cosmétiques. En France, les produits biosourcés y sont déjà les plus répandus par rapport à d'autres secteurs rapporte l'Ademe. En outre, L'Oréal s'est engagé, comme certains de ses concurrents, à faire des efforts concernant l'huile de palme, qui entre dans la composition de nombreux produits. Après la dénonciation de pratiques des pratiques d'extraction en Indonésie par les Amis de la Terre et Greenpeace, Wilmar, premier importateur mondial d'huile de palme, s'est engagé à se mettre au pas. Plusieurs grands groupes; dont L'Oréal, ont suivi.

Nicolas Hulot bat le rappel avant la COP-21 qui aura lieu qui aura lieu à Paris du 30 novembre au 11 décembre.

Le "coach" Hulot

Une transformation plus ou moins complexe donc. Et non dénuée d'intérêt, même pour une entreprise visant avant tout l'accroissement de ses profits. Du moins est-ce le message de Nicolas Hulot. "Les entreprises voient bien quand même que parmi les facteurs de compétitivité, les coûts de énergie, des matières premières, les externalités négatives entrent en jeu", met-il en exergue.

Aux côtés du président de L'Oréal, l'ancien candidat à la présidentielle s'est présenté comme une sorte de "coach" et s'est même fendu d'un petit conseil en matière financière. Il suggère en effet de supprimer dans le portefeuille d'actifs de l'entreprise des valeurs les moins "durables".

Un coût inconnu ?

De même, l'idée centrale des "gains" de carbone est présentée comme compatible avec les objectifs d'une multinationale. "Aller au-delà de la neutralisation, pour participer à la réhabilitation, n'est pas forcément économiquement inaccessible", souligne par exemple Nicolas Hulot. Dans le cas d'espèce de L'Oréal, Jean-Paul Agon n'a pas voulu de donner de détails sur les coûts que représentent ce programme.

Assurant que leur montant était très marginal, le dirigeant met en exergue les bénéfices pour "l'engagement des employés". Il assure même à propos de ce montant: "Je ne le connais pas. je ne suis même pas sûr que cela ait un coût", tant ce programme serait imbriqué dans une politique d'approvisionnement qui concerne des milliers de produits.

Scope négligé

Face aux promesses de L'Oréal, Christian de Perthuis se montre pour sa part plutôt prudent. Il assure même avoir même hésité avant de rejoindre son comité. Ce qui ne l'empêche pas de saluer l'effort de l'entreprise pour "exprimer ses objectifs en valeur absolue et non relative" à la différence d'autres groupes. Il a toutefois émis un regret. Celui de ne voir intégrée dans la promesse du géant des cosmétiques qu'une partie seulement des émissions de carbone réelles de ce secteur auxquelles elle participe.

Pour l'instant, seuls deux niveaux de l'activité industrielle et logistique - appelés "scope 1" et "scope 2" - sont pris en compte ainsi qu'une partie du troisième niveau. Celui-ci correspond aux émissions indirectes comprenant par exemple l'extraction des matérieux mais aussi le transport des clients venant acheter les produits ou bien les déchets après leur utilisation.

Sur ce dernier point, L'Oréal se borne à promettre que des conseils de "bonnes pratiques" pourraient être inscrits sur les emballages. Il met en outre en avant des tests pour développer des produits moins gourmands en eau.

Tarification carbone internationale

Si beaucoup de ces nouveaux efforts n'en sont qu'au stade des promesses, L'Oréal s'est en tout cas doté d'un surveillant en chef pas vraiment connu pour sa complaisance. En octobre 2014, il a même claqué la porte du comité pour une fiscalité écologique que le gouvernement l'avait chargé de présider. En cause: le manque d'empressement de la part de l'exécutif à faire du sujet une priorité. Avec le nobel d'économie Jean Tirole, il plaide pour une tarification internationale du carbone incitative et de vraies sanctions contres les "passagers clandestins". Seules manières à leurs yeux d'atteindre d'agir de façon crédible.

Marina Torre

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