Compléments alimentaires : comment les industriels ont relancé leurs ventes

Malgré une réglementation stricte et des consommateurs sceptiques, les producteurs de compléments alimentaires ne connaissent pas la crise. Leur secret : un produit repositionné et un réseau de distribution bien ciblé.
La nouvelle cible des compléments alimentaires : les personnes souffrant de carences nutritionnelles, et non plus le grand public.

Opération reconquête. Depuis les scandales des yaourts Essensis et Actimel de Danone en 2008 et 2010, qui revendiquaient des effets exagérés sur la santé, certains consommateurs se sont méfiés des compléments alimentaires et autres aliments enrichis en nutriments. La Commission européenne a donc voulu obliger les groupes agroalimentaires et pharmaceutiques à mieux justifier les bénéfices santé de leurs produits. Mais cette réglementation a peut-être eu un effet pervers. Ainsi, face à des preuves difficiles à apporter et des acheteurs sceptiques, certains industriels ont pris des chemins de traverse : mieux cibler leurs consommateurs et s'appuyer sur un réseau de professionnels de santé. Explications.

Une communication encadrée

Tout commence lorsque la Commission européenne décide d'encadrer la communication des groupes agroalimentaires et pharmaceutiques. À partir de 2012, ces derniers ne peuvent plus vanter comme ils l'entendent les propriétés de leurs compléments alimentaires. Ils doivent se contenter de phrases types détaillant les effets sur la santé des nutriments et substances chimiques qu'ils utilisent. 222 composants alimentaires dont les bénéfices santé ont été rigoureusement prouvés sont ainsi inscrits sur une liste établie par l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA en anglais). Les phrases décrivant leur effet sur la santé sont baptisées "allégations santé" (voir enrichissement).

Et si les industriels concernés veulent mettre en valeur les effets d'un composant alimentaire non mentionné dans la liste, ils doivent le démontrer par des recherches scientifiques effectuées selon les critères de l'EFSA : des études cliniques rigoureuses, similaires à celles menées pour autoriser la vente des médicaments. Au grand dam des groupes agroalimentaires et pharmaceutiques.

"Nous avons cessé d'effectuer des essais cliniques"

"La barre fixée par l'EFSA est extrêmement haute", déplore Anne Wagner, directrice de la recherche et développement au sein du groupe sucrier Tereos. Non seulement les études cliniques exigées par l'institut européen sont longues et coûteuses, mais "ses orientations sont indisponibles et ses objectifs trop difficiles à atteindre", renchérit le docteur Maneesh Nerurkar, vice-président recherche et développement au siège allemand du laboratoire Merck. Surtout, "les études sont menées alors que leur succès est trop incertain". Maneesh Nerurkar est sans appel :

"Nous avons cessé d'effectuer des essais cliniques pour les compléments alimentaires".

Difficile, dans ces conditions, de reconquérir le cœur de consommateurs sceptiques. Aujourd'hui encore, l'industrie des compléments alimentaires est confrontée à "un déficit d'image", confie Isabelle Haye, avocate spécialisée sur les produits en lien avec la santé, associée du cabinet Product Law Firm.

Marché lucratif

Pourtant, pas question, pour les laboratoires pharmaceutiques, de jeter aux oubliettes un marché aussi lucratif. En 2015 et 2016, les compléments alimentaires devraient encore générer une croissance de 3% par an, selon le cabinet d'analyses économiques Xerfi. Leur atout : ils génèrent une marge supérieure à celle des médicaments pour une commercialisation en temps record. Il faut en effet compter six à douze mois entre la conception d'un complément alimentaire et sa mise sur le marché, contre six ou sept ans pour un médicament.

Repositionnement

Les groupes agroalimentaires et pharmaceutiques se retrouvent donc face à un dilemme. D'une part, un marché en croissance susceptible de générer des profits, d'autre part, une réglementation stricte et des consommateurs méfiants. Les professionnels du secteur décident donc de repositionner leurs compléments alimentaires. La nouvelle cible : les personnes souffrant de carences nutritionnelles, et non plus le grand public.

Car, en effet, qui aurait l'idée de prendre des compléments pour lutter contre le cholestérol sans souffrir du cholestérol ? L'idée qu'une alimentation saine suffit à un organisme équilibré a fait son chemin. Les seules personnes pour lesquelles la consommation de compléments alimentaires s'avère nécessaire sont, à ce jour, les personnes malades.

"Les compléments alimentaires ne sont là que pour pallier un manque d'apports nutritionnels", résume Isabelle Haye. Notamment dans le cadre d'un traitement médical.

Les professionnels de santé au cœur du processus

Et c'est précisément sur les professionnels de santé que les industriels s'appuient pour mieux cibler leurs produits. Tout d'abord, "les laboratoires se renseignent auprès des médecins", rapporte Isabelle Haye. Le but : identifier les besoins des patients. Puis les professionnels de santé sont mis à contribution lors de la distribution des compléments alimentaires : si certains bénéfices santé ne peuvent plus apparaître sur l'étiquette, ils sont alors vantés à haute voix par le pharmacien.

C'est le cas pour la commercialisation des compléments alimentaires de Merck, par exemple. La communication sur ces produits se réfère "au cadre défini par l'EFSA qui permet d'expliquer les bienfaits des combinaisons de vitamines et de minéraux", explique Fabienne Allard, directrice marketing de Merck Médication Familiale France. Concrètement, seule la phrase type prévue par la loi est mentionnée. Qu'à cela ne tienne, "le résultat des multiples recherches scientifiques que nous menons en tant que laboratoire pharmaceutique sont transmises aux pharmaciens".

Une stratégie gagnante, à l'heure où "le consommateur, noyé dans l'information et les conseils contradictoires d'automédication, privilégie délibérément son pharmacien", conclue Fabienne Allard.

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Commentaires 6
à écrit le 19/04/2015 à 19:12
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Il est vrai que les compléments alimentaires sont du pipeau dont les bienfaits n'ont jamais été prouvés. La poudre de perlimpinpin a encore de beau jour devant elle tant qu'il y aura des gogos qui croiront qu'il suffit d'un comprimé pour améliorer le...

à écrit le 19/04/2015 à 16:34
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Ca en dit surtout long sur le degré de naïveté, de crédulité d'une population soumise aux diktats de la publicité, du jeunisme, de la beauté éternelle, du corps parfait...de l'immortalité? Le lavage des cerveaux orchestré par les médias, principaleme...

à écrit le 19/04/2015 à 8:04
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Je suis un Francais qui a aujourd'hui 72 ans. Genetiquement hypertendu, je me '' soigne'' sans prendre de medicaments depuis plus de 30ans. Je me souviens '' le medecin fonctionnaire'' de mon entreprise m'annoncait une '' mort prochaine'' a chaque vi...

à écrit le 18/04/2015 à 15:42
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Tant mieux que les gens depensent pour les complements alimentaires. Car force est de constater que les medicaments, ne '' guerissent que les biens portants''. Pour m'amuser : Asthme, Hypertension, Alzheimer, Parkinson, Cancers ( les vrais et non les...

le 18/04/2015 à 21:35
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+10.000 Victime de la vaccination aveugle du BCG à l'âge de 8 ans, j’ai fait une primo-infection de la tuberculose, et collectionné toutes sortes de pathologies de 8 ans à 22 ans (grippes, angines et rhumes plusieurs fois par hiver, j'ai eu 2 fois l...

à écrit le 18/04/2015 à 13:35
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Coquille "difficiles à apporter et des acheteurs septiques," sceptiques

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