Du champ aux podiums des défilés, le lin cherche à prendre du galon

Malgré son excellente image, le lin est encore bien loin de rivaliser avec le coton sur le marché de la mode. En réponse, la filière européenne courtise les grandes marques de l’habillement.
Championne du monde de la culture du lin, la filière européenne est loin d'avoir exprimé tout son potentiel.
Championne du monde de la culture du lin, la filière européenne est loin d'avoir exprimé tout son potentiel. (Crédits : DR)

C'est la fibre superstar des magazines de mode et de déco, qui louent son caractère écologique à longueur de pages. Bon pour la planète, car peu gourmand en eau et en intrants, le lin se pare de toutes les vertus à l'heure du changement climatique. Le monde agricole l'a bien compris. Les surfaces cultivées à travers le monde ont plus que doublé (+133 %) au cours de la décennie 2010-2020. Une hausse spectaculaire.

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A ce jeu de gagne-terrain, le Vieux Continent fait la course en tête grâce à trois pays : la France, la Belgique et les Pays-Bas. Ils concentrent à eux seuls 80% de la production mondiale. En 2021, ils ont produit 240.000 tonnes de fibres, contre 170.000 dix ans plus tôt, selon une étude exhaustive publiée cette semaine par l'Alliance du lin et du chanvre européens, avec le soutien de l'Institut français de la mode et la Région Normandie. Laquelle peut s'enorgueillir de produire 40% du lin mondial.

« Le Nord de l'Europe est au lin, ce que le champagne est à Reims. On essaie d'en faire ailleurs, mais il n'est jamais aussi bon », fait valoir Marie-Emmanuelle Belzung, déléguée générale de l'Alliance.

Un taux de pénétration epsilonesque

La filière est pourtant loin d'avoir exprimé tout son potentiel, si l'on en croit l'interprofession. Malgré le regain d'intérêt qu'elle suscite, la plante à fleur bleue demeure impuissante à détrôner le roi coton dans l'univers de la mode, de loin son premier débouché (76%) avant celui de la décoration. Et l'on ne parle même pas du polyester, champion toutes catégories des fibres textiles. « Le taux de pénétration du lin sur les marchés finaux est inférieur à 2% », nous apprend la même enquête. Un niveau epsilonesque.

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Si en France, quelques enseignes du luxe telles Balmain, Max Mara, Hermès ou Jacquemus l'utilisent dans une fourchette comprise entre 5 et 10% de leurs gammes, le recours au lin reste aléatoire.

« Son territoire d'expression, certes grandissant, demeure restreint avec toujours, pour les marques, la tentation d'arbitrer en faveur d'une autre fibre », constate le cabinet Kea Partners, auteur de l'étude, qui a interrogé plus de 100 dirigeants de TPE et de PME en Europe, en Chine, en Inde et dans plus d'une vingtaine de marques du luxe au mass market.

Une fibre « trop sage »

De fait. Cantonnée à une typologie de vêtements décontractés (robes ou chemises d'été), cette matière première écologique peine à se ménager une place en toutes saisons sur les podiums et les portants, en raison de la réticence des designers. Alexandre Capelli, directeur adjoint à l'environnement du groupe LVMH peut en témoigner. « Ma principale difficulté et d'aller convaincre les équipes créatives », explique-t-il dans le média spécialisé Fashion Network.

Au sein de l'Alliance, on admet que le lin pâtit « d'une image trop sage et peu sexy de tissu beige ou blanc ivoire », comme l'exprime Marie-Emmanuelle Belzung, qui invite la filière à « sortir de sa zone de confort ». « Il ne faut pas avoir peur de pousser le bouton innovation », insiste-t-elle.

Certains tisseurs n'ont pas été insensibles au message. On voit apparaître des lins imprimés ou mélangés avec des matières nobles comme le cachemire, la laine ou la soie. L'interprofession promeut ces initiatives à travers sa nouvelle plateforme de sourcing (Linendreamlab.com), conçue pour « valoriser la créativité ». « J'ai envie de dire aux marques : misez sur le lin ! », tance en écho Bart Depourcq, son président.

Mais ce sont peut-être les stratégies RSE des grandes enseignes de l'habillement qui feront le lit du lin. Les lignes commencent à bouger. Le géant hispanique Inditex (Zara, Berschka, Oysho...), l'un des premiers vendeurs de prêt-à-porter au monde, a ainsi créé le label Join Life pour garantir la provenance durable de ses produits. Une vraie avancée pour la déléguée générale de l'Alliance. « A échéance 2025, ce label s'appliquera exclusivement au lin certifié European Flax. C'est-à-dire dont la fibre aura été cultivée et teillée (la première transformation, ndlr) en Europe », se félicite-t-elle.

Le fil, maillon manquant de la chaîne de valeur

Reste l'épineuse question du fil. Si le Vieux Continent produit 72% des fibres longues de lin, celles utilisées dans le textile, la Chine fabrique 73% du fil de tissage. Bien que quelques filatures aient vu le jour ces dernières années sous nos latitudes, elles ne représentent qu'une infime part du marché, rappelle Marie-Emmanuelle Belzung.

« Toutes les filatures européennes additionnées ne pèsent pas autant que la plus grosse filature chinoise, là où l'on aurait besoin d'économies d'échelle ».

En réponse, l'Alliance appelle à relancer la recherche technologique sur les équipements industriels, en panne depuis des décennies. Faute d'investissements, le secteur n'a connu ni robotisation, ni automatisation. Il faut encore à minima douze machines pour fabriquer du fil de lin. Peut-être l'Appel à Manifestation d'Intérêt que viennent de lancer conjointement les Régions Hauts-de-France, Normandie et Grand Est fera-t-il émerger de nouvelles solutions. Sait-on jamais. L'engouement pour les fibres naturelles ne se démentant pas, la fenêtre de tir semble bien choisie.

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