En Nouvelle-Zélande, la mode est devenue un moteur de l'économie locale

Née il y a seize ans, la Fashion week de Dunedin (Nouvelle-Zélande) fait défiler chaque mois d'avril les collections de créateurs australiens, chinois, américains mais surtout locaux. Avec plus de 6.000 visiteurs attendus cette année, l’événement est devenu une vitrine pour les nombreux stylistes que compte la ville et un moteur pour son économie locale.
Ici, pas de Zara, H&M ou autres enseignes à bas prix pour espérer s'habiller aux tendances du moment. Avec un passé de grand producteur et transformateur de laine et de cuir au XIXe siècle, la fibre vestimentaire est ancrée dans les gènes des entrepreneurs de Dunedin.

Se développer dans l'ombre de métropoles comme Sydney, Auckland ou Hong Kong tout en étant située à moins de 5.000 kilomètres du pôle sud, Dunedin pense pouvoir relever le défi. Plutôt que de s'avouer vaincue face à la mondialisation et la concentration, la plus ancienne ville de Nouvelle-Zélande, avec ses quelque 114.000 habitants (6e du pays), a choisi de miser sur la mode pour continuer de grandir.

Avec sa vingtaine de stylistes ayant pignon sur rue pour moins de 125.000 habitants, Dunedin aime se faire appeler « capitale du design de l'hémisphère sud ». Ce n'est donc pas un hasard si elle accueille aujourd'hui l'un des plus grand événements mode du pays.

Un défilé clé pour tout un territoire

Chaque mois d'avril, toute la cité côtière se mobilise pour que la Fashion Week soit une réussite. Les sponsors - depuis la compagnie Air New Zealand jusqu'au centre commercial local- mettent la main à la poche, les coiffeurs et maquilleurs offrent gracieusement leurs services, la ville verse 100.000 NZD (env. 70.000 euros), soit son plus important budget événementiel de l'année, et prête ses locaux pour l'occasion... Chacun sait qu'il est dans son intérêt que cette semaine soit un succès.

Et pour cause, avec plus de 6.000 visiteurs en moins de six jours, les défilés ne font pas le bonheur des seuls fashion-addicts. Susie Staley, présidente du comité d'organisation de la Fashion Week, détaille le phénomène ainsi:

"En 2014, près de 2 millions de dollars (1,4 million d'euros) ont été réinjectés dans l'économie locale à travers les dépenses touristiques, les ventes de tickets, les services commandés aux entreprises locales d'évènementiel..."

"On a également évalué à 6,1 millions de dollars NZ (4,3 millions d'euros) les retombées médiatiques pour la ville."

Un impact considérable dont l'agglomération et sa région ne pourraient aujourd'hui plus se passer. Les dernières données économiques l'attestent : Dunedin est à la traîne par rapport au reste du pays. Bien que son PIB ait progressé ces dix dernières années selon la chambre de commerce d'Otago, sa croissance se limitait en 2012 à 1,8% par an contre 2,3% pour l'ensemble de la Nouvelle Zélande.

Vitrine d'un secteur en expansion

Donner une vitrine aux nombreux stylistes qui font vivre son écosystème fait dès lors partie des priorités de ses responsables. Inspirée de la MittelModa italienne, l'iD Dunedin Fashion Week veut montrer ses talents, pour mieux les vendre au reste du pays et ses voisins du Pacifique. La présidente du comité d'organisation de la Fashion Week explique comment l'idée est née:

« Contrairement aux Fashion weeks européennes tournées vers des investisseurs importants qui ne feraient pas le déplacement jusqu'ici, la nôtre est orientée vers la vente au détail. Nous sommes partis sur l'idée d'attirer l'attention des amateurs de mode en montrant le travail de nos créateurs locaux. Un choix qui s'est révélé gagnant pour nos designers de mode car avec cette visibilité pendant cinq jours, leurs ventes sont trois fois plus importantes que lors d'une semaine ordinaire! »

Sur les vingt-trois stylistes qui font défiler leurs collections, la moitié sont ainsi originaires de Dunedin. Les ensembles vestimentaires que les spectateurs découvrent le soir sur le podium sont donc disponibles dès le lendemain dans les rayons.

Le défilé terminé, les clients se bousculent dans les magasins pour acquérir le manteau ou la robe repérés la veille sur un mannequin. « La plupart des acheteurs viennent chez nous une première fois avant la Fashion week pour se trouver une tenue pour l'occasion, et reviennent après avoir vu notre nouvelle collection » explique Sara Munro, jeune créatrice de la marque Company of Strangers. « Sans cet évènement, beaucoup d'entre nous n'auraient pas leur boutique aujourd'hui ». En plus de tripler les ventes des créateurs locaux, la Fashion week est aussi l'occasion de nouer de nouveaux contacts pour placer ses collections dans des commerces du reste du pays ou même à l'étranger.

Made in Dunedin

En quinze ans, l'industrie de la mode est devenue une pierre angulaire de l'économie locale. « Elle fait partie des premiers secteurs d'activité de notre ville, non seulement par la conception des vêtements, leur vente et les créations d'emplois qui en découlent mais aussi à travers notre école de design Otago Polytechnic » explique John Christie, directeur du département « Entreprise » de la ville. Plus ancien établissement universitaire de Nouvelle Zélande, Otago Polytechnic forme aujourd'hui une trentaine de designers et stylistes chaque année, dont certains ont été embauchés par les maisons Vivienne Westwood ou Benetton.

Selon les données de la Chambre de Commerce d'Otago, en additionnant les parts de PIB générées par la vente au détail et celles par l'éducation auxquels le design contribue, l'industrie de l'habillement fait ainsi jeu égal avec l'immobilier, qui représente 18% des sources de revenu annuel de Dunedin. Le domaine de la vente et de l'habillement emploie par ailleurs 11,5% du total des actifs de la ville, juste derrière le secteur hospitalier et éducatif.

« La créativité est devenu le symbole de notre agglomération dont nous avons fait la promotion notamment avec la Fashion week. Elle nous a donné une visibilité internationale et nous a permis de nouer des partenariats comme avec Shanghai. La moitié des mannequins qui défilent sont Chinois! Et amènent avec eux des clients... » se félicite John Christie.

Ici, pas d'enseigne à bas prix, comme Zara ou H&M

A l'échelle de l'Océanie, la mode Made in Dunedin reste une industrie de niche. Mais en se multipliant, ces TPE ont créé un tissu économique dynamique. Ses arguments sont simples : des pièces originales, uniques, locales et de qualité. Le cocktail semble fonctionner.

« Etant petit et loin de tout, nous ne pouvions pas nous positionner sur des marchés de masse et concurrencer des marques low cost » justifie John Christie.

Ici, pas de Zara, H&M ou autres enseignes à bas prix pour espérer s'habiller aux tendances du moment. Avec un passé de grand producteur et transformateur de laine et de cuir au XIXe siècle, la fibre vestimentaire est ancrée dans les gènes des entrepreneurs de Dunedin. Consciente de cet héritage, la ville s'active à créer un environnement attractif pour ses entrepreneurs en rénovant notamment des bâtiments désaffectés pour en faire des bureaux et des ateliers.

Une « tribu » de créateurs

En plus des loyers abordables, c'est son réseau d'artistes et de créateurs qui ont convaincu Sara Munro de revenir s'installer à Dunedin pour lancer sa marque Company of Strangers en 2008. Ses collections défilent aujourd'hui à la Fashion week, sont vendues à travers le pays et jusqu'en Australie.

« Ici les personnes et les institutions sont plus accessibles, le coût de la vie est plus bas et l'esprit communautaire est plus marqué » analyse la trentenaire, qui emploie quatre personnes à plein temps. « Quand j'ai lancé ma marque, c'est mon ancien employeur - la styliste de NomD - qui a fait ma promotion au près de son réseau! Les liens d'intérêts sont renforcés par l'isolement géographique ».

La jeune femme reconnait néanmoins qu'il est plus difficile d'établir des relations professionnelles et d'obtenir des contrats depuis Dunedin. La situation géographique excentrée l'oblige également à beaucoup voyager et donc à s'absenter de son atelier. Mais ces inconvénients semblent vite compensés par la solidarité qu'elle a trouvé à Dunedin. « Les designers d'Auckland nous envient pour cela » assure-t-elle.

Une analyse partagée par sa consoeur Dallas Synnott, membre de la coopérative de mode Guild :

"Nous sommes tellement loin de tout, que l'on doit s'entraider."

Avec neuf autres stylistes locaux, elle a ouvert il y a deux mois une boutique partagée où chacun possède 1m2 pour ses créations contre 1/10e du loyer.

"Nous sommes déjà rentables grâce au loyer séparé et parce que les gens adorent le concept. Nous fidélisons très vite car nos clients sont heureux de dépenser leur argent ici", explique-t-Dallas.

Et ils semblent d'ailleurs prêt à payer le prix : les robes sont vendues à 200 NZD (175 euros) en moyenne, quand un chemisier atteint facilement les 95 NZD (70 euros).

L'isolement, frein... et atout de développement

La Nouvelle Zélande est en cela un marché très particulier : "10% des consommateurs Kiwis achètent leurs vêtements chez des créateurs locaux", explique Doris de Pont, historienne de la mode néo-zélandaise et ancienne styliste.

Pour elle non plus, se trouver à des milliers de kilomètres des flux commerciaux principaux n'est pas un inconvénient économique. Contrairement aux Australiens, les "Kiwis" voient l'isolement comme un moteur qui les pousse à la créativité. "L'influence extérieure réduite nous incite à être débrouillard et à repousser les limites... quitte à être excentrique", souligne-t-elle dans un sourire.

Une inventivité "débordante", reconnaît la styliste invitée de la Fashion Week, l'américaine Doris Raymond.

"Les Kiwis expérimentent aussi bien de nouvelles matières que de nouvelles formes. Ils repoussent les limites de la mode", assure-t-elle.

Après s'être bien ancrée dans le paysage de la mode néo-zélandaise, australienne et chinoise, l'ambition de la Fashion Week de Dunedin et de toute son industrie de la mode est à présent de continuer son expansion à l'international et de parvenir à garder ses talents.

Mais pour réussir à se développer davantage à l'étranger, « les stylistes kiwis devront travailler davantage leur sens des affaires », prédit Doris Raymond. « Ils possèdent aujourd'hui toute la créativité et le talent nécessaire.

Reste à présent à faire les bons choix commerciaux et à trouver les partenaires qui sauront les aider à atteindre de nouveaux marchés ». Le pari qu'ont fait les créateurs de mode de Dunedin de remplacer le mot « concurrence » par « fraternité » semble en tout cas avoir fonctionné à l'échelle de la ville.

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Dunedin FashionWeek

Dallas Synnot, styliste à Dunedin et membre de la coopérative de designers Guild. (Photos: Pierre Trihan)

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