Le saumon norvégien, un mets de Noël sous contrainte

Plébiscité par les Français, notamment pour les festivités, le saumon atlantique de Norvège fait l'objet d'une réglementation stricte qui limite structurellement la production, alors que la demande mondiale explose.
Giulietta Gamberini
Le roi Harald V de Norvège pendant une visite de l'entreprise Deutsche See Fischmanufaktur à Berlin en 2007.

Chaque Français en consomme 2,3 kilos par an. Et en 2015, la France en a importé quelque 121.000 tonnes, à savoir plus d'un dixième du total des exportations de ce produit. Le saumon norvégien, qui représente 53% (1,2 million de tonnes) de la production mondiale de saumon atlantique (2,3 millions de tonnes, assurée ensuite par le Royaume-Uni et le Chili), est désormais un classique sur les tables de l'Hexagone, notamment pendant la période des fêtes de fin d'année.

"La France constitue en effet un marché historique pour le saumon norvégien puisque à la fin des années 70, quand les exportations ont commencé, elle disposait déjà d'une tradition dans le fumaison ainsi que d'une chaîne de distribution développée qui facilitait l'arrivage et la mise sur le marché", explique Maja Richard, représentante en France de l'organisme dédié à sa promotion internationale, le Centre des produits de la mer de Norvège. Dans l'Hexagone, la demande porte en effet surtout sur le poisson entier et frais, qui est ensuite fumé et conditionné localement.

Une espèce protégée

Depuis la fin des années 1970, tout ce saumon, dont 95% est aujourd'hui exporté, est issu de l'aquaculture: la difficile reproduction de l'espèce sauvage, qui remonte de la mer à la rivière en nageant à contre-courant pour pondre ses œufs en eau douce, a en effet rapidement imposé une protection stricte. Aujourd'hui, la pêche du saumon sauvage est quasiment intégralement interdite en Norvège. "Et la rareté des ressources est même plus contraignante que la réglementation", souligne Selim Azzi,  chargé des programmes pêche et aquaculture auprès du WWF France: "Aujourd'hui, 80% des espèces de saumon sauvage sont décimées".

Puisque l'aquaculture a néanmoins elle aussi des conséquences sur l'environnement (développement de parasites, dispersion de traitements chimiques et antibiotiques dans l'eau de mer, concentration de déjections, consommation de poissons de fourrage, fuite de saumons d'élevage dans l'océan etc.), les élevages qui se sont ainsi développés sur les 100.000 kilomètres de côtés du pays, qui fonctionnent sur des cycles de trois ans, sont également soumis à des restrictions visant la préservation des écosystèmes marins, qui se traduisent en de véritables défis industriels.

L'installation difficile des bassins en eau de mer

Après avoir été élevé pendant un an dans des bassins d'eau douce sur terre, le saumon, dont la peau et la chair se transforment afin de lui permettre de vivre en eaux salée, doit être transféré dans la mer. L'installation de bassins d'aquaculture dans les fjords n'est toutefois possible qu'après un processus d'agrément de la durée d'un an: des tests sont notamment menés afin de vérifier que les caractéristiques du fond marin et des espèces présentes, la force des courants et l'oxygénation de l'eau permettent l'effacement de tout impact de la ferme au bout de deux mois.

Des contrôles, pouvant conduire au déplacement comme à l'arrêt de la ferme, sont également menés pendant et à la fin des deux ans d'élevage en eau de mer. La densité des poissons dans l'eau ne devra de toute façon pas dépasser 2,5% pour 97,5% d'eau et une période de suspension allant de 2 à 6 mois est imposée avant le début d'un nouveau cycle. "Pour pallier tout risque, les éleveurs ont ainsi souvent plusieurs fermes marines", souligne Maja Richard. "Plusieurs modèles sont d'ailleurs possibles: de l'entreprise qui gère l'intégralité du processus, éventuellement jusqu'à la transformation et à l'emballage, à celles qui se limitent à une phase de l'élevage", ajoute-t-elle.

Pas d'assouplissement face au pou de mer

La protection du bien-être des animaux, consacrée par la loi et étendue aux espèces marines depuis les années 70, est le deuxième pilier de la réglementation norvégienne de l'aquaculture de saumon: l'échappement d'un poisson d'élevage, pas adapté à survivre en milieu marin, constitue ainsi par exemple un délit environnemental. Cela impose un comptage régulier des espèces, par des moyens technologiques comme artisanaux, et constitue l'un des facteurs ralentissant l'installation de fermes en haut de mer, qui peuvent certes être plus étendues mais qui sont soumises aux mêmes exigences de résistance et sécurité.

Le défi représenté par la présence de poux de mer, qui depuis novembre 2015 sévit dans les élevages et en limite les capacités de production, a été abordée par les autorités de la même manière: aucun assouplissement des règles n'a été concédé. Le diflubenzuron, insecticide accusé de présenter des risques pour la santé, est toléré. Mais afin de libérer les saumons de leurs parasites et d'éviter la contamination des espèces sauvages, l'industrie a dû aussi développer des moyens plus durables: en introduisant par exemple dans les bassins des poissons nettoyeurs, ou en recourant à des scanners submergés qui localisent les poux afin de les neutraliser grâce à un petit laser.

Un régime de poissons et plantes

La législation norvégienne réglemente enfin l'alimentation des poissons, qui sont nourris de farines et d'huiles issues soit d'autres poissons pêchés selon des procédés durables certifiés, soit de plantes non OGM. Seulement 1% de la production est bio, dont le cahier des charges exige une plus grande proportion de poisson dans l'alimentation ainsi que des végétaux seulement bio. "Mais les règles générales sont tellement strictes que l'écart entre saumon bio et non bio est sensiblement réduit en Norvège", estime Maja Richard.

Autorisés, les antibiotiques sont toutefois utilisés  en des quantités 500 fois inférieures qu'au Chili, confiait en juillet à l'AFP Liesbeth van der Meer, directrice par interim du groupe écologiste Oceana-Chili. "Leur utilisation a baissé de 99 % depuis 1987 et aujourd'hui, moins de 1% de la production est traitée aux antibiotiques", précise Maja Richard. 
 L'aquaculture norvégienne a progressivement remplacé leur usage par des programmes de vaccination et des mesures de prévention, confirme le WWF.

12.000 échantillons de saumon sont soumis chaque année à des tests sanitaires, et un rapport annuel est envoyé à l'Union européenne, ajoute le Centre des produits de la mer de Norvège. L'acquisition de la certification de l'Aquaculture Stewardship Council, label international de durabilité créé en 2009 par WWF et l'organisation hollandaise IDH, est par ailleurs en cours d'acquisition ferme par ferme. Aujourd'hui, sur les 318 fermes labellisées, plus de 80 sont en Norvège: à savoir 30% des élevages norvégiens.

 La Norvège sous pression

"Nombre de ces améliorations ont été adoptées en réaction à la crise provoquée en 2013 par un reportage télévisé très critique sur les conditions d'élevage du poisson, qui a conduit à une baisse du chiffre d'affaires de l'industrie de 10% en un an entre 2013 et 2014", note Selim Azzi. Ainsi, après une multiplication de la production par deux entre 2005 et 2014, "l'ensemble de ces contraintes fait que la production n'augmente plus en Norvège depuis 2014", observe Maja Richard, et ce malgré l'existence de cours d'études consacrés aux métiers de la mer et plébiscités par les étudiants. Le WWF souhaite d'ailleurs aussi que les producteurs norvégiens  "améliorent encore leurs pratiques avant de grossir davantage".

Or, alors que la France, après une baisse due à la diffusion du reportage de France 3, vient de renouer avec ses niveaux historiques de consommation -qui en font le premier pays d'Europe-, les pays émergents arrivent également sur le marché. Cela implique une nette augmentation de la demande mondiale de saumon: 11% de plus chaque année en moyenne, selon les calculs du Centre des produits de mer de Norvège. La pression qui en résulte sur la Norvège est accentuée par les éventuelles crises de production dans les pays concurrents: par exemple au Chili, où au printemps les élevages de saumon atlantique ont été dévastés par une prolifération d'algues.

Une crise "sans précédent"

Inévitablement, cet écart entre demande et capacités de production a déclenché une augmentation des cours sur le marché global de ce poisson.  En novembre, les professionnels français du saumon fumé (27 PME regroupées sous la bannière d'ETF, Les entreprises du traiteur frais) ont déclaré être confrontés à "une crise exceptionnelle et sans précédent". Le prix moyen de la matière première, qui pèse pour "60% à 80% du coût de production d'un saumon fumé", "a bondi de 50 à 60% entre 2015 et 2016", et cette hausse "s'accélère ces derniers mois", ont-elles dénoncé.

En difficulté, et pas soutenue par la grande distribution, qui ne prendrait pas suffisamment en compte cette "flambée des prix", ces PME "se trouvent désormais dans l'incapacité de financer leurs achats de matière première", selon ETF, qui évoquait un "risque de ruptures d'approvisionnement dans les magasins". Le secteur représente plus de 2.500 emplois en France, pour un chiffre d'affaires de 527 millions d'euros en 2015 (+1,4%).

Peu de diversification

"Selon nos analystes, la hausse devrait se stabiliser vers la mi-2017", observe Maja Richard. Mais face à un déséquilibre désormais structurel entre offre et demande, une plus grande diversification de la consommation de poisson devient incontournable. Le WWF la promeut d'ailleurs dans un "Consoguide" accessible en ligne. En dehors du saumon, on compte environ 200 autres espèces dans les eaux norvégiennes: elles constituent la troisième marchandise d'exportation de la Norvège après le gaz et le pétrole. Toutes sauvages (à l'exception de la truite des fjords, "cousine" du saumon), elles sont toutefois issues d'une pêche elle aussi réglementée (taille minimale, zones fermées, quotas) et en grande partie certifiée par le Marine Stewardship Council. Or, 141.000 tonnes en ont été exportées en France en 2015, sur un total de 2,6 millions de tonnes destinées à l'exportation mondiale.

Giulietta Gamberini

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Commentaires 11
à écrit le 16/12/2016 à 8:02
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Voir article de ladepeche.fr "Le "bashing médiatique contre le saumon" a aussi "incontestablement" accéléré la montée en puissance de la truite, estime M. Dargelas. La diffusion en novembre 2013 d'un reportage d'Envoyé Spécial très critique su...

à écrit le 15/12/2016 à 19:09
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J' avais vu le reportage où il y est fait mention , à dire vrai cela faisait froid dans le dos .Une ministre Norvégienne était propriétaire de la principale chaîne de fermes. Des poissons avec des têtes difformes, invendables sur une étale .Il faut s...

à écrit le 15/12/2016 à 18:24
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Le saumon d'élevage norvégien dit "Atlantique" est un produit de l'industrie chimique des colorants. Le saumon sauvage naturel à une belle chair rose du fait qu'il se nourrit de krill, une crevette rose minuscule. Le saumon "Atlantique" est nourr...

à écrit le 15/12/2016 à 16:14
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J'achète de la truite fumée de Bretagne ou autre et franchement c'est tout aussi bon que la saumon fumé. Ce n'est pas une espèce protégée, il ya en à foison en France et en plus c'est moins cher.

à écrit le 15/12/2016 à 15:06
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excellent article, pour les amateurs de placement aussi, la côte (boursière) norvègienne recèle de belles entreprises salmonesques qui devraient attirer l'attention des investisseurs français peu informés de ce marché pourtant très accessible :NO...

à écrit le 15/12/2016 à 15:01
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Le saumon d'élevage norvégien ? Une véritable crasse qui devrait être interdite d'importation dans un pays qui prétend défendre les consommateurs et protéger leur santé. Hormis les gros poissons pêchés en mer qui sont plein de résidus toxiques (dont ...

à écrit le 15/12/2016 à 13:39
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whouahhh, le Chili comme producteur de saumon ... atlantique. Tres fort.

à écrit le 15/12/2016 à 12:49
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Le saumon d'élevage est identifié comme le produit alimentaire le plus pollué qu'il soit possible de consommer. Ca fait cher l'intoxication.

à écrit le 15/12/2016 à 12:14
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Il est vrai que de passer une grande partie de sa vie au-dessus de ses excréments et de ceux de ses copains, c'est pas terrible. Ensuite finir tous ensemble en darnes ou en filets, ça interpelle quelque part ?

à écrit le 15/12/2016 à 10:10
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Le réchauffement et la pollution massive des océans ne peut que favoriser les bactéries et autres parasites on s'en doute.

à écrit le 15/12/2016 à 9:29
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Le saumon n'est plus qu'un "produit" industriel qui concentre toutes les vicissitudes de l'élevage en batterie des animaux terrestres. Recours aux antibiotiques, à la vaccination, nourriture à base de protéines végétales OGM et de poissons issus de ...

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