Les vêtements innovants cherchent leur place en magasin

Les étoffes innovantes étaient à l'honneur lors du salon international Who's Next dédié au prêt-à-porter à Paris. Mais les jeunes créateurs de mode "intelligente" éprouvent toujours des difficultés à les commercialiser, malgré un plan industriel en amont dédié à la filière textile.
Marina Torre
L'édition de septembre du salon international du prêt-à-porter s'est déroulé du 4 au 7 septembre.

Tailleur catalyseur d'ondes NFC, chemise anti-tâches, foulards-filtre à air, ou encore maillots à séchage ultra-rapide... Ces vêtements innovants étaient les vedettes du salon biannuel de prêt-à-porter Who's Next dont l'édition pour le printemps-été 2016 s'achève ce 7 septembre. Dans un marché du prêt-à-porter qui peine à se rétablir, les textiles innovants sont souvent présentés comme une source potentielle de dynamisme. Reste que, comme pour les quelque 2.000 exposants présents lors de cette foire internationale, l'objectif est, même pour les jeunes marques mises en lumière par les organisateurs, de parvenir à convaincre des acheteurs de distribuer ces nouveautés. Et en la matière, les barrières à l'entrée restent élevées.

Propriété intellectuelle

Celles-ci sont d'abord financières. "Cela coûte une fortune de créer sa propre marque", reconnaît Magali Bonilla Roussel, créatrice de Dupuy de Lôme, dont les tailleurs à sept poches protègent, entre autres, contre les ondes émises par les téléphones ou bien permettent de recharger ses derniers.

Design, création, achat et développement des tissus... Ces premières étapes sont loin d'être les seules à supposer un investissement conséquent. Caroline Van Renterghem, créatrice de Wair, qui projette de fabriquer des foulards filtrants les particules de pollution, désigne ainsi un poste de dépense spécifique aux marques innovantes:

"Qui dit innovation dit risque de se faire copier, cela demande du temps et de l'argent pour se protéger. D'autant plus qu'il y a des endroits du globe où l'on est très exposés à la copie."

Chemises déperlantes à 120 euros

Les "textiles innovants" comptent parmi les projets d'industrie du futur pour lesquels le ministre de l'Economie a annoncé en mai une enveloppe de 3,4 milliards d'euros. Mais, nuance de taille, "les financements [publics] sont surtout dédiés à la filière du tissu, pas celle du vêtement. Nous ne fabriquons pas de tissu, mais bien des vêtements", souligne Sébastien François, fondateur de la start-up Le Lab. Le jeune entrepreneur espère commercialiser ses chemises anti-tâches à mémoire de forme sur internet d'ici le début de l'année 2016. Tout en insistant sur sa volonté de ne pas "vendre du tissu" mais bien des chemises, il envisage tout de même de collaborer avec des tailleurs pour proposer du sur-mesure, voire même avec d'autres marques de vêtements, pour des "collections capsule", un modèle de partenariat éphémère de plus en plus répandu.

Il pointe du doigt une autre confusion récurrente: vêtement innovant n'est pas toujours synonyme de vêtement "connecté". Dans le dernier cas, il s'agit souvent de pièces intégrant des nouvelles technologies numériques, permettant d'en faire des objets connectés, comme le tee-shirt développé par Cityzen Sciences.

"Nous lançons un projet de financement sur [le site de financement participatif] Kickstarter à la mi-octobre avec un minimum de 10.000 euros, mais notre objectif serait de lever 25.000 euros", confie-t-il à La Tribune. Pour ces modèles confectionnés en Roumanie avec un tissu déperlant fabriqué en Asie à partir de technologies inspirées des tissus techniques militaires, médicaux et sportifs, il en coûtera entre 120 et 180 euros pièce.

Le Lab

Deux centres pour la fashion tech

Pour ses premiers pas, la jeune pousse, dont les activités sont réparties entre Tourcoing et Paris, a tout de même réussi à trouver des parrains: l'incubateur Innotex qui accompagne des projets dans le milieu du textile depuis plus de 20 ans et le fonds LMI qui participe au financement des entreprises innovantes dans le Nord-Pas de Calais. En France, le vêtement de demain se crée aussi dans l'autre grand bassin historique du textile français, dans la région lyonnaise.

>> Rhône-Alpes : Terre de textiles innovants

Cette intégration dans un réseau déjà bien établi "nous a permis d'avoir des rendez-vous auprès des banques et c'est déjà bien", concède Sébastien François. Pour l'étape suivante, "nous chercherons des investisseurs privés dans six mois", ajoute-t-il. "Nous sommes tous deux d'anciens consultants et Sébastien, un ancien de HEC et du MIT, a déjà créé une autre entreprise", tient à préciser Pauline Guesné, directrice marketing de Le Lab. Une expérience dont tous les jeunes créateurs de mode innovante ne bénéficient pas toujours.

Crowdfunding pas toujours suffisant

Une autre créatrice avoue des difficultés lors du moment le plus crucial de ce type de projets, l'arrivée dans les rayons. Anne-Laure Courvoisier fabrique des patchs en tissus absorbants, vendus comme des solutions anti-auréoles (elles se collent à l'intérieur des vêtements à l'emplacement des aisselles. Elle constate:

"Avec la Banque publique d'investissement et le réseau entreprendre, on peut trouver des enveloppes pour la toute première phase, on peut aussi faire appel au crédit impôt-recherche. Mais c'est au moment de la commercialisation et de l'accélération que ça peut être très compliqué. Même le crowdfunding peut ne pas suffire, en tous cas, il faut bien l'anticiper. Ce qui est délicat, c'est de trouver des acheteurs et la communication."

La créatrice d'entreprise, qui a récemment changé de nom de marque (elle passe de Nu Dress code à Fresh Code), dit avoir besoin de 500.000 à 1 million d'euros pour cela. D'où, dans son cas aussi, un projet de financement participatif sur le site Kickstarter pour, une fois de plus, "faire la preuve du concept".

Moins de multimarques

Le fait que ces produits soient destinés au "grand public" rendrait leur commercialisation complexe. "L'industrie est organisée avec des mastodontes, il faut avoir de la résistance pour faire face à cela, et comme comme il y a de moins en moins de magasins multimarques, c'est très compliqué", estime-t-elle. A cet égard, la vente en ligne, qui se développe notamment sur des places de marché, ne remplace toujours pas la visibilité donnée par la présence dans un magasin physique.

La créatrice fait surtout face à une concurrence acharnée entre grands fournisseurs. Ses autocollants lavables sont déjà vendus chez Monoprix et E.Leclerc. Mais, ils y affrontent, par exemple, les patch Narta, produits par Lascad, une filiale de L'Oréal.

Des maillots de bain en pharmacie?

D'où des tentatives de contournement. Anthony Buisse, dirigeant de 4BB2, qui fabrique des maillots de bains pour enfants en microfibres qui renvoient les UV raconte ainsi avoir rencontré des représentants du ministère de la Santé afin de tenter de vendre ses produits en pharmacie. Pour l'instant, ils ne sont commercialisés que dans des magasins spécialisés dans les vêtements de sport nautiques ou des boutiques de vêtement pour enfants.

Pour aller plus loin:

>> Les petites boutiques de prêt-à-porter en voie de disparition à Paris?

>> Des cosmétiques pour booster la vente de vêtements

Marina Torre

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Commentaire 1
à écrit le 23/10/2015 à 13:36
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Pour ceux que ces vêtements intéressent, Le Lab a lancé son crowdfunding : https://www.kickstarter.com/projects/177538823/le-lab-shirt/

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