"Le marché automobile américain est plus compétitif qu'avant la crise"

A quelques jours de l'ouverture du salon de Détroit, Xavier Mosquet (Boston Consulting Group), fait le bilan de l'industrie automobile américaine qui a désormais retrouvé son niveau d'avant-crise. Cet analyste reconnu avait participé à la "Task Force" mise en place par Barack Obama pour redresser l'industrie automobile américaine. Il explique ce qui a changé sur ce marché, et les enjeux de cette industrie pour les prochaines années.
Xavier Mosquet est directeur associé senior du Boston Consulting Group à Détroit.

La Tribune: Le marché automobile américain semble avoir définitivement tourné la page de la crise au terme d'une année 2014 en hausse de 7%. Comment analysez-vous cette performance?

Xavier Mosquet: Avec un marché à 16,5 millions de véhicules, le marché américain a atteint, ou du moins, est proche de son maximum estimé à 17 millions de véhicules. Après la crise de 2008, on savait que la reprise serait longue mais elle était attendue, compte tenu de l'évolution de la démographie américaine notamment. Ce marché revient donc sur un cycle d'évolution plus classique avec un rythme de progression moins élevé pour les prochaines années.

Comment expliquez-vous que le marché européen, lui, n'a toujours pas retrouvé son niveau d'avant-crise?

L'Europe a beaucoup soutenu le marché en 2009 et 2010 via les dispositifs de prime à la casse. A cette époque, le marché a relativement peu baissé. Aux Etats-Unis, le dispositif de prime à la casse a duré deux mois. En somme, les Européens ont anticipé les achats de voiture par les consommateurs, repoussant la crise. Alors que le marché américain a touché son point bas en 2009, le marché européen a touché le sien en 2013. Autrement dit, ce marché entame tout juste sa reprise. Il faut également observer que les Etats-Unis ont une corde de rappel qui est beaucoup plus forte qu'en Europe. La voiture est un bien indispensable aux Etats-Unis hormis quelques exceptions comme New York ou Boston, beaucoup moins en Europe.

Quelle a été l'influence des taux d'intérêts bas, et de la baisse des cours du pétrole sur la reprise du marché américain ?

Les taux d'intérêt ont joué un rôle mais pas déterminant. L'accès au crédit n'a pas été facilité pour autant car les organismes de crédit sont restés très prudents dans leur politique d'octroie des prêts. Les taux d'intérêts n'ont pas permis une envolée des ventes aux particuliers. Quant aux prix du pétrole, il est vrai qu'on a observé une relâche du consommateur américain sur le choix des motorisations, lui qui a essayé d'être plus sélectif entre 2008 et 2013 pour des voitures plus efficientes et plus petites. La baisse du pétrole a interrompu ce mouvement. On a même constaté un retournement du marché des motorisations hybrides. Il faut dire qu'aux Etats-Unis, en l'absence de taxes, le prix à la pompe est très fortement corrélé à l'évolution du cours du brut. Ainsi, on a vu le gallon d'essence passer de 4 dollars à la pompe, à 1,5 dollar.

Le rappel de 60 millions de voiture en 2014, un record historique, n'a pas entamé la confiance des consommateurs, comme cela avait pu être le cas avec Toyota en 2009 et 2010... Comment expliquez-vous cela?

C'est un phénomène intéressant. Le plus touché dans cette vague de rappel, c'est General Motors avec près de 20 millions de rappels. Paradoxalement, cela n'a pas du tout influencé les ventes du groupe, bien au contraire, ces rappels ont fait revenir les consommateurs chez les distributeurs, augmentant ainsi les ventes. Il n'y a pas eu de rupture de confiance entre le consommateur et les marques automobiles. Ce qu'il faut observer c'est que l'ensemble des marques concernées par ces rappels ont immédiatement communiqué en acceptant d'endosser leurs responsabilités. Cela n'avait pas été le cas pour Toyota qui avait mis plusieurs mois à discuter pour savoir s'il était responsable ou non...

Qu'est ce que la crise a changé dans le marché automobile américain?

Le marché américain a gagné en compétitivité, ce qui n'était pas le cas avant. Les voitures américaines étaient des voitures de qualité médiocre. Les constructeurs gagnaient surtout de l'argent sur les gros SUV. Désormais, les modèles proposent, quels que soit le segment, de bons niveaux d'équipements, et des finitions de qualité. Autre changement notable, le marché des gros véhicules a baissé au profit de segments plus petits comme les crossovers de taille moyenne. Ce n'est pas uniquement conjoncturel, le consommateur n'est plus attiré par le pick-up plaisir, d'ailleurs ce segment a disparu en 2009. Le pick-up a désormais une finalité très professionnelle. Le retournement du prix du pétrole semble influencer cette tendance, mais nous ne pensons pas que ce soit durable. Cette évolution du marché n'était pas quelque chose d'évident en 2008 et 2009, au plus fort de la crise. Mais les constructeurs y ont été contraints notamment avec des réglementations plus contraignantes sur les émissions de CO2. Ils ont ainsi réduit de 30% la consommation de leurs véhicules.

Est-ce que ces changements ont profité aux constructeurs étrangers?

Le marché américain s'est renforcé sur le segment des SUV et crossover qui est le point fort des constructeurs nationaux. Pour la première fois depuis 50 ans, on a assisté à une remontée de la part de marché des constructeurs américains. Chrysler est ainsi passé de 8,9% de parts de marché en 2009 à 12,7% en 2014, cela n'était jamais arrivé. De son côté, Toyota est passé de 17 à 14,3% sur la même période.

Y a-t-il des marques qui, au contraire, n'ont pas profité de la hausse du marché?

Probablement Volkswagen qui, malgré la progression de ses ventes, ne peut pas être satisfait de sa performance sur le marché américain compte tenu de ses investissements.

Sur un marché qui est proche à son niveau maximum, quels sont les enjeux de l'industrie automobile américaine des prochaines années?

Les constructeurs vont poursuivre leurs efforts d'amélioration de l'offre produit. Leur défi sera notamment leur capacité à amener un bon produit au juste coût. Dans ce cadre, nous allons assister à une reprise des discussions entre les constructeurs et les fournisseurs. La question de la répercussion de la baisse de l'énergie sera également un sujet. Enfin, la question de la voiture connectée et autonome sera un des principaux enjeux technologiques de ces prochaines années, toujours avec la préoccupation d'un prix compétitif. Seulement, tout le monde ne le pourra pas, puisque la question de la taille suffisante sera essentielle dans cette équation qui doit faire passer cette technologie de dépense à revenu. C'est une nouvelle bataille qui s'ouvre.

Doit-on s'attendre à un mouvement de concentration?

Je crois que oui. La période de croissance des marchés est moins forte, y compris en Chine, même s'il existe un potentiel de rebond en Europe. Au fur et à mesure, la pression sur les prix et les marges va s'accentuer. Les constructeurs vont donc chercher des partenariats. Pour General Motors et Ford, la question ne se pose pas vraiment au contraire de Chrysler. Cela peut également concerner des marques comme Honda, Suzuki, Mazda, Volvo ou même PSA.

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Commentaires 3
à écrit le 15/01/2015 à 13:12
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"Enfin, la question de la voiture connectée et autonome sera un des principaux enjeux technologiques de ces prochaines années" : c'est pas possible ! On est (enfin !) en train de se rendre compte de la faiblesse désastreuse de l'informatique et de la...

à écrit le 15/01/2015 à 12:36
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Redresser une industrie automobile avec des crédits pourris (subprime auto) , je vois pas en quoi c'est une réussite de boucher un trou en creusant à coté (contamination dans le marché secondaire). Certains organismes de crédits provisionnent déjà de...

à écrit le 15/01/2015 à 9:28
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quid des enquêtes sur le crédit auto subprime (qui visent GM Financial notamment) ? on peut lire ailleurs que les rappels de GM approchent les 30 millions, et non pas 20. ou que c'est le segment des "trucks" qui cartonne toujours.

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