L'automobile de plus en plus soumise au marketing des plans produits

Les constructeurs automobiles multiplient les modèles et les déclinaisons sur des cycles plus courts afin de maintenir une actualité produit forte. Au-delà des implications industrielles de cette nouvelle donne, les marques tentent de revisiter le marketing de leur histoire à des fins commerciales...
Nabil Bourassi
Les nouveautés automobiles conditionnent de plus en plus les ventes des constructeurs automobiles.

Les marques automobiles sont-elles devenues "nouveautés-dependantes" ? Ou, en bon français, sont-elles de plus en plus contraintes de lancer des nouveautés à rythme rapproché pour assurer une dynamique de ventes. L'exemple le plus emblématique de ces dernières années reste le cas Renault qui a renouvelé l'intégralité de sa gamme à un rythme effréné : pas moins de 9 lancements en quatre ans (11 si on ajoute les Kwid et Alaskan). La marque au losange a effectivement réussi à dynamiser ses ventes, à reconquérir des parts de marchés, mais surtout à restaurer son image de marque. À l'inverse, on peut citer son compatriote PSA qui a souffert d'un plan produit en panne et dont les ventes, notamment pour Citroën et DS se sont tassées, voir baissées.

"Un des facteurs qui influe les ventes c'est l'opinion sur la marque, or, le rythme des nouveautés permet de rafraichir et à entretenir cette bonne opinion", explique Hadi Zablit, directeur associé au Boston Consulting Group, et spécialiste de l'industrie automobile.

"Il faut une actualité produit pour générer du trafic en concession sinon les marques perdent de la compétitivité concurrentielle", avance Bertrand Rakoto, analyste indépendant du marché automobile basé à Détroit.

Comme les téléphones, on changera de voitures plus souvent

Pour les constructeurs, cette contrainte n'est pas sans conséquence. Ils doivent revoir leur agenda produit afin de réguler la cadence des nouveaux lancements. Une vraie difficulté pour les marques qui ont des gammes réduites comme Alfa Roméo ou Seat. A raison d'un temps de développement de quatre ans minimum, lancer un modèle par an est très contraignant pour elles. Mais même pour les marques généralistes, l'agenda doit être bien calibré.

Au-delà de l'ajustement des agendas de lancements, c'est bien le raccourcissement des cycles produits qui est en jeu. De 6 à 7 ans jusque dans les années 1990, on est passé à 4 ou 5 ans.

"On entre dans un monde où on change de téléphone portable tous les ans, l'automobile est naturellement influencée par cette tendance", illustre Guillaume Crunelle, associé chez Deloitte, et expert de l'industrie automobile.

Heureusement, il y a le "mi-vie"

Guillaume Crunelle rappelle toutefois que "le restylage permet d'animer une gamme tout en corrigeant les erreurs de jeunesse". Ces phases 2 dans le jargon des constructeurs, ou "mi-vie", permettent de toiletter un modèle à peu de frais. On revoit la signature lumineuse, on ajoute du chrome ci et là, on ajoute des nouvelles motorisations voire des équipements supplémentaires, et c'est reparti.

Pour Bertrand Rakoto, il y a un autre enjeu pour les constructeurs derrière le raccourcissement des cycles produits : "les cycles produits correspondent au temps que met un client pour revenir en concession pour renouveler sa voiture. Ce laps de temps est plus court dans le cas du leasing", explique l'analyste. Autrement dit, il peut être un levier de fidélité des clients, et à défaut, d'une perte de clients qui ne trouvent pas de nouveaux produits lorsqu'ils souhaitent renouveler sa voiture.

Cette nouvelle donne pose toutefois des défis d'un point de vue industriel. D'abord, les constructeurs doivent trouver le moyen d'amortir des produits sur des périodes plus courtes. Heureusement, les constructeurs ont largement usé (voire abusé) des partages de plateformes qui permettent de multiplier les modèles ce qui permet de les amortir. Certaines architectures ont donné naissance à près de 6 à 8 modèles. La plateforme CMF-CD développée par l'Alliance Renault-Nissan a ainsi permis de bâtir l'Espace, Talisman, Scénic, Koleos, Kadjar, mais également des Nissan Qashqai, X-Trail et Juke. On attend aussi le prochain Dacia Duster dessus. Près d'une dizaine de modèles sont donc prévus sur cette plateforme modulaire capable d'accueillir autant de modèles de segment C que du D. Le grand spécialiste des partages de plateformes reste Volkswagen avec sa célèbre architecture MQB lancée en 2012 et à partir de laquelle seront conçues une soixantaine de modèles.

Les Premium déclinent des gammes à l'infini

D'autres marques vont, elles, choisir de multiplier les modèles sur une même plateforme, mais avec une même marque. Ainsi, les marques Premium allemandes se sont faites les championnes de la déclinaison de gamme. Autant Audi, que BMW ou Mercedes, vont créer jusqu'à cinq modèles sur un même segment : une berline, un coupé, un cabriolet, un SUV et SUV coupé. Dès lors, ces marques peuvent organiser trois ou quatre lancements commerciaux par an. Elles saturent ainsi l'espace médiatique autour de leur nouveau modèle, mais prennent aussi le risque de saturer le consommateur lui-même.

"La multiplication des modèles et déclinaisons à l'infini peut parfois montrer ses limites et les constructeurs sont alors amenés à rationaliser leurs gammes", met en garde Guillaume Crunelle. Ainsi, BMW a annoncé en mars dernier dans le cadre de son nouveau plan stratégique, une revue de leur gamme.

Concevoir des modèles plus vite

Une fois la question du coût résolue, il faut toutefois aborder celui du temps de conception, et pour l'instant, le délai de quatre ans parait incompressible. "La réduction des cycles produits pourrait s'accentuer dans les prochaines années grâce à la digitalisation des process", observe toutefois Guillaume Crunelle. La conception 3D et la réalité augmentée sont autant de technologies qui permettront d'accélérer les process de conception de prototypes et donc de nouveaux modèles. Pour les constructeurs, l'enjeu est immense. L'histoire récente a montré à quel point certains marchés peuvent se retourner en l'espace de quelques mois. La Chine est ainsi passée d'un marché porté par les grandes berlines vers un marché stimulé par les seuls SUV. Impossible d'adapter le catalogue en aussi peu de temps.

La dynamique de marque, un préalable au plan produit

L'importance grandissant du plan produit dans les stratégies des constructeurs automobiles révèle surtout la prépondérance du marketing sur les innovations techniques. Le positionnement commercial d'un produit mais également les valeurs d'une marque (familiale, sportive, technologique, statutaire...) vont alors commander une même cohérence à travers une gamme. Certains constructeurs font même de la dynamique de marque leur priorité commerciale, comme un préalable à la définition d'un plan produit, à l'instar de Nissan. C'est également ce qui a retardé la reprise des plans produits chez Citroën et DS. La séparation des deux marques en 2014 a contraint Citroën à se réinventer une nouvelle histoire à raconter aux clients. Le risque étant de rompre la fidélité de ceux qui adhéraient à l'histoire précédente. Le lancement de la nouvelle gamme incarnée par la nouvelle C3 devrait donner des premières réponses sur ce repositionnement spectaculaire.

Mais le Graal pour une marque est de produire un plan produit qui préserve ses principaux marqueurs y compris entre les différentes générations. L'exemple le plus typique reste la Golf dont les trois derniers modèles ne présentent pas de ruptures majeures de style. Il s'agit de limiter l'impact sur la valeur résiduelle des unités vendues en fin de cycle. L'enjeu majeur est de ne pas se priver du canal flotte d'entreprises qui constitue aujourd'hui la moitié des ventes de voitures neuves en France.

Histoire de la Micra, d'ange à démon ?

Dernier exemple en date, le repositionnement de la Micra par Nissan. Terminé la petite voiture du segment A, la nouvelle monte en gamme et accède au segment B, elle sera plus agressive, plus sportive. Nissan veut reconstruire la gamme autour d'une nouvelle cohérence de style et autour d'une nouvelle histoire de marque. Un nouveau Juke arrivera en 2017 en échos au style Micra.

|Lire aussi: Nissan fait le pari d'une Micra radicalement repensée pour reconquérir les citadines

Jamais l'art du storytelling n'a autant imprégné la stratégie des marques automobiles... Celles-ci doivent toutefois prendre garde à rester cohérent avec leur histoire réelle et ce que l'idée que les clients s'en font. Cela leur évitera de raconter des histoires à dormir debout...

Nabil Bourassi

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Commentaires 3
à écrit le 08/10/2016 à 17:35
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Changer plus souvent ? Avec des revenus en berne ...

à écrit le 07/10/2016 à 13:21
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Merci pour cet intéressant article. On peut toutefois s'interroger sur les modèles clivants, notamment chez CITROEN qui sont parfois développés en 7 ans (concept/produit) pour des résultats très très moyens dans les volumes de ventes. Et ce d'aut...

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